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À quand la semaine de 15 heures?
En 1930, l’économiste britannique John Maynard Keynes annonçait que d’ici 2030, nous n’aurions plus qu’à travailler 15 heures par semaine grâce à l’augmentation de la productivité.
Mais à cinq ans de l’échéance, rendons-nous à l’évidence : cette prédiction ne se réalisera pas.
Pour comprendre pourquoi, j’ai discuté avec Kevin J. Johnson, professeur à HEC Montréal et spécialiste du changement organisationnel, et avec Julia Posca, sociologue, chercheure à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) et autrice de l’essai Travailler moins ne suffit pas.
Travailler pour consommer
« Cette prédiction économique d’il y a 100 ans ne prenait pas en cause la complexité de notre monde d’aujourd’hui », résume d’emblée Kevin J. Johnson.
Keynes ne s’était toutefois pas trompé sur tout puisqu’effectivement, nous travaillons aujourd’hui moins qu’il y a 100 ans. « Au début de l’industrialisation, les semaines de travail étaient très longues. Souvent, elles s’étendaient sur six jours, pour environ 60 heures de travail par semaine », explique pour sa part Julia Posca.
C’est toutefois au 19e siècle, avec le début des revendications ouvrières, que la semaine de travail raccourcit progressivement, et que les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sont passés d’environ 3 500 heures travaillées par année, à environ 1 700 heures.
Néanmoins, « depuis les années 1970 et 1980, le temps de travail moyen stagne dans les pays riches », poursuit-elle.
Les raisons derrière cette impasse?
Les crises économiques, la baisse du pouvoir d’achat, et le recul de la syndicalisation.
Par ailleurs, Keynes n’avait pas anticipé que le progrès technique s’accompagnerait de l’apparition de la société de consommation. « Si on peut produire plus de biens avec une main-d’œuvre réduite, ça veut dire qu’il y plus de biens à écouler, et donc, ça suppose que les gens travaillent ou disposent d’un revenu pour les acheter », ajoute la chercheure. De plus, « le coût de certains biens, comme le logement, a continué à augmenter, ce qui fait que non seulement il faut travailler autant qu’avant pour les payer, il faut également s’endetter, et ce, beaucoup plus qu’avant. »
La solution à tous nos maux ?
« Quand le temps de travail est réduit, les travailleurs sont mieux reposés, ont plus de temps à investir dans leur vie personnelle, et donc, reviennent au travail plus motivés et disposés à être efficaces. C’est donc certain que le fait de réduire le temps de travail aurait des effets bénéfiques », pense Julia Posca.
Si plusieurs entreprises proposent une semaine de travail de quatre jours à leurs employés afin d’attirer et de retenir des talents, cette stratégie se heurte assez rapidement à des limites. En effet, les secteurs économiques qui souffrent le plus de la pénurie de main-d’œuvre, par exemple la santé, sont également ceux qui reposent le plus sur la force de productivité des individus. Réduire les heures de travail de salariés déjà pas assez nombreux mènerait rapidement à la catastrophe.
« Est-ce que c’est vraiment la promesse de moins d’heures travaillées par semaine qui rend les gens plus en santé? », se demande toutefois Kevin J. Johnson. « Avoir des climats de travail plus sains, des gestionnaires plus compétents, des coéquipiers avec qui on a plus de cohésion, des rôles professionnels moins routiniers, des possibilités de croissance ou de développement personnel : c’est plutôt ça que j’améliorerais plutôt que le nombre d’heures travaillées. »