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À propos de votre ami.e qui mange épicé

Pisser épicé, ça s'peut.

Par
Benoît Lelièvre
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« Ben, ça vas-tu? »

« Oui, oui. Donne-moi juste deux minutes. J’ai comme le vertige. »

C’était pas la première fois que ça se produisait, mais ça ne m’était jamais arrivé en public auparavant. La toute première fois, j’avais agrémenté un Bloody Caesar de sauce aux piments fantômes achetée en Nouvelle-Orléans. Disons que j’avais exagéré un peu et ma blonde m’avait trouvé à quatre pattes dans la cuisine, suant à grosses gouttes en luttant pour rester conscient. Elle m’avait trouvé niaiseux. La deuxième fois, c’était avec des nouilles ramen de couleur radioactive trouvées au Marché Oriental sur St-Denis. Une chance que j’étais tout seul à la maison.

C’était la troisième fois que je mangeais le Scoville Burger aux Carolina Reapers du Boucan. Ça c’était très bien passé à mes deux premières tentatives. Un petit mal de ventre pendant une heure, suivi d’une extraordinaire attaque de dopamine pour le restant de l’après-midi. Assis sur le trottoir de la rue Notre-Dame, suant ma vie sous le regard bienveillant de mon collègue émotionnellement minimaliste Nico qui en profitait pour faire le plein de nicotine, je me suis demandé où avais-je échoué? Avais-je manqué de respect envers le Dieu piment? Le cuistot du Boucan avait-il beurré épais avec la sauce?

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Mon collègue Alex, membre honoraire de notre groupe de dîner du jeudi, m’a regardé avec une dose égale de jugement et d’inquiétude à mon arrivée au bureau environ 30 minutes trop tard. «Man, pourquoi tu te fais violence comme ça? Ç’a pas de bon sens.”

Bon, OK. Fine. Tu mérites des réponses, Alex. Celles et ceux parmi vous qui regardez vos amis épicuriens de l’extrême comme s’ils étaient des extraterrestres méritez des réponses. Voici quelques précisions à propos des mythes et légendes entourant la culture des enthousiastes de piments forts.

« Toi là, tu dois pu rien goûter. »

À ma connaissance, mon sens du goût est aussi développé que les autres. La science me donne également raison. La sensation épicée est causée par une substance qui s’appelle la capsaïcine et c’est, au contraire, bon pour la santé. Au départ, c’est un moyen de défense développé par certaines plantes pour ne pas se faire bouffer par les animaux. En simulant la sensation d’irritation, la capsaïcine provoque un engourdissement de la langue. Cette substance était utilisée comme antidouleur par les Aztèques et l’est encore aujourd’hui.

La sensation épicée est causée par une substance qui s’appelle la capsaïcine et c’est, au contraire, bon pour la santé.

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Bref, la tolérance au piquant est quelque chose qui se bâtit. Les nerfs de la langue se désensibilisent avec le temps, mais suffit de mettre la pédale douce pendant environ vingt-quatre heures afin de retrouver le même thrill. C’est pour ça que je commande toujours du poulet Vindaloo chez Bombay Mahal. Parce que chaque fois, ça brûle comme la première fois. Le thrill que je recherche est tout le temps là et ça ne m’empêche pas d’apprécier le délicieux risotto à la pancetta et au citron de ma blonde le lendemain.

Manger épicé, c’est comme avoir une jambe engourdie. On fonctionne croche pendant un petit bout, mais on finit toujours par retrouver tous nos morceaux.

« Tu profites pas de ton plat quand tu manges épicé. Ça goûte juste ça. »

Ça dépend. Plus on acquiert une tolérance aux piments forts, plus on est capables d’apprécier leur contribution à un plat. Parce que c’est ça le deal. Manger un piment fort tout seul, ça va juste faire mal. L’idée c’est de l’incorporer à un plat pour en changer la dimension. Les tacos en sont le parfait exemple. Pourquoi se contenter d’une saveur de bœuf, quand ça peut goûter le bœuf, le piment et l’incendie à la fois?

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Ceci dit, il y existe quand même une gradation et passé un certain cap, ça devient pas mal plus une game d’égo qu’un plaisir culinaire. Pour vous donner une base, voici quelques piments populaires dans le milieu:

Jalapeno: C’est le plancher pour n’importe quel amateur de piments qui se respecte. Ça a un goût délicieux, mais ça goûte d’abord et avant tout le piment. Ça débouche à peine les narines.

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Scotch Bonnet: Petit piment des Caraïbes pas piqué des vers du tout qui s’incorpore très bien à des sauces. La Pimenterie en fait une très bonne avec du Scotch Bonnet et des fourmis. C’est très accessible lorsque bien incorporé à un plat.

Habanero: Le piment favori d’à peu près tous les amateurs que je connaisse, moi-même y compris. Parce qu’il goûte simplement très bon. C’est la porte d’entrée des ligues majeures en matière d’épicé.

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Scorpion: Pas un gros fan. Je trouve que ça goûte pas mal juste le feu et la mort. C’est très possible que ça scrape votre plat, mais ça peut être intéressant si utilisé avec parcimonie. Ce piment va vous faire payer vos excès.

Bhut Jolokia: Aussi appelé le piment fantôme. On rentre dans la zone des crampes d’estomac et de l’évanouissement ici. Quelques gouttes seulement suffisent à relever un chaudron complet de risotto. Oui, j’ai déjà essayé.

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Carolina Reapers: Le champion poids lourd des piments forts en vente libre et faciles d’accès. Le truc avec les reapers c’est qu’ils goûtent relativement bon. Même si votre plat ne goûte que le reaper c’est quand même intéressant. Conseil de pro: la salade de patates est un excellent accompagnement. Elle adoucit et permet de mieux apprécier les nuances de l’expérience. Fun fact: c’est aussi fort que le poivre de cayenne dans les bonbonnes de police.

Si vous n’êtes pas sûrs, cherchez l’échelle de Scoville via Google. C’est une unité de mesure complètement non scientifique pour calculer la sensation de brûlure d’un piment, mais si vous restez en bas de 100 000, vous ne gâcherez pas votre repas.

«Spicy in, Spicy out?»

Je parle ici d’un point de vue personnel, mais les piments forts m’ont rarement causé de la douleur lorsqu’est venu le temps de leur dire adieu. La fois la plus douloureuse, je mangeais des ailes épicées avec un ami à El Paso, au Texas. Je lui ai demandé « Bro, pourquoi ces ailes-là s’appellent les Pecker Wreckers?»

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Je l’ai compris le lendemain. Pisser épicé, ça s’peut. Ça m’est d’ailleurs arrivé pour la deuxième fois après l’épisode du Boucan.

« Pourquoi tu te fais ça à toi-même? »

La question qui tue.

Parce que c’est moins dangereux que sauter en parachute? Parce que c’est une manière de se donner un peu d’adrénaline dans un environnement contrôlé. Bien sûr, il faut respecter la game, ce que je n’ai pas nécessairement fait jeudi dernier. Il y avait beaucoup de clients au Boucan et peu de staff. On a donc mangé et réglé l’addition vite parce que notre heure de dîner fondait à vue d’œil. J’aurais dû rester assis et prendre plus d’eau. On ne peut pas juste s’enfiler du Carolina Reaper comme un repas normal. Il faut prendre le temps de le laisser passer.

Ça peut aussi simplement nous pincer dans une mauvaise journée. Quand on est plus sensible, ça brûle plus. C’est aussi moins le fun et l’évanouissement est plus proche.

Ça peut aussi simplement nous pincer dans une mauvaise journée.

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Ne jugez pas vos amis qui mangent épicé. Le geste même ne leur cause pas violence. Exagérer ou manger épicé dans ces circonstances qui ne s’y prêtent pas provoque certains risques, mais sinon il s’agit d’une expérience corporelle moins dommageable que de s’enfiler quelques bières. C’est comme de la drogue qui ne cause pas de dépendance, d’hallucinations ou d’impairs de comportement. Si on respecte le piment, tout se passe bien.

Faites toutefois attention au Carolina Reapers. Ça ne se mange pas au-dessus d’un comptoir en vingt minutes. Pas si vous ne voulez pas suer votre vie, au bord de l’évanouissement, assis sur un trottoir de la rue Notre-Dame devant vos collègues.