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Chère Adele,
Bonne fête! T’as 29 ans ces jours-ci. J’ai 6 ans de plus que toi, et pourtant, je te voudrais comme grande sœur. (Je m’excuse, Vicky, t’es une super grande sœur, mais tsé, Adele, c’est Adele.)
Si j’avais été ton petit frère, Adele, je pense que le courant aurait bien circulé, entre nous. Tu m’aurais partagé tes parents. Penny Adkins, une mère masseuse et fabricante de meubles, et Marc Evens, un père plombier. Je me serai greffé dans ta petite maison à Tottenham, même si c’est un des quartiers les plus chauds de toute l’Angleterre. On aurait veillé l’un sur l’autre.
On aurait passé notre enfance à imiter les Spice Girls devant le miroir de ta chambre. Tu m’aurais laissé incarner Sporty Spice, parce que je fais la roue plus droite que toi, pis moi, je t’aurais laissé tous les autres rôles, parce que tu chantes mieux que moi.
À 16 ans, tu m’aurais fait écouter ta première toune: «Hometown Glory», et j’aurais tellement braillé devant tant de beauté que t’aurais tout de suite catché ton unicité. Pis comme j’aurais été britannique comme toi, j’aurais tout compris de ta poésie anglophone:
Y a-t-il quelque chose que je peux faire pour vous, ma chère? Quelqu’un que je peux appeler?
Non merci, madame. Je ne suis pas perdue, j’erre seulement.
Crap que c’est beau. J’aurais été le petit frère admiratif, pâmé, encourageant, un peu gossant, que j’ai été pour Vicky, ta rivale. Je t’aurais rassurée sur ta craque de fesses de menton: «Si c’est sexy sur John Travolta, je vois pas c’est quoi le problème sur une fille, bâtard!» Pis t’aurais été ben d’accord avec moi. Notre féminisme se serait nourri l’un de l’autre.
J’aurais ri de chacune de tes jokes salaces. J’aurais bu ton accent british, je me serais saoulé de ton slang londonien. J’aurais passé notre adolescence à déposer mes backs vocals sur tes impros musicales et à te faire des tresses françaises, pour mettre un peu de ma vraie langue maternelle dans ta tête.
J’aurais partagé ta page MySpace à tous les René Angelil de la terre. J’aurais été ta Maman Dion, rempli de ferveur. Quand t’aurais enregistré «Ninety-nine», à 19 ans, je me serais dit: «Y était temps, joualvert! Ça fait des années que je sais que ma grande sœur est un joyau.» Comme t’aurais toujours trouvé que je fais des beaux moves, tu serais montée aux barricades auprès des producteurs pour que ce soit moi, le dude accidenté qui danse couché sur un trottoir avec une belle madame dans ton clip «Chasing Pavement».
Quand ton criss de petit chum à marde t’aurait laissée, pour la seconde fois, je t’aurais offert mon épaule, mes bras. Je t’aurais caressé les cheveux pour faire ma job de petit frère, te montrer combien que je t’aime. Mais aussi parce que tes cheveux ont toujours senti bon. (Ça, ça se sent, même derrière mon écran.)
On serait sortis faire les boutiques. Ton désarroi aurait repris du service devant les vêtements extra small des présentoirs.
T’aurais dit: «Y a rien qu’y me fait, je suis trop grosse.»
Je t’aurais dit: «C’est pas vrai!»
T’aurais dit:« Je vais devoir m’enrouler dans un rideau pour le reste de ma vie!»
Je t’aurais dit: «C’est beau, des rideaux. Pour tout ce que ça cache, et tout ce que ça révèle, selon l’heure du jour. C’est beau, des motifs floraux sur des grands tissus vaporeux! À chaque enjambée, ça remue et le soleil passe à travers pour illuminer les passants.»
Mon plaidoyer t’aurait convaincue de tripper sur les rideaux. Tellement que des années plus tard, grâce à moi, t’aurais enfilé la splendide robe rouge-tapisserie Valentino aux Grammys 2013, ou encore la maxi robe fleurie dans ton magnifique clip «Send My Love», l’an passé.
Puis le succès serait venu férocement. «Someone like you», pour te venger du petit criss, «Rolling in the deep» pour faire frémir Céline Dion, «Turning Tables» pour que Gwyneth Paltrow la chante joliment dans Glee, «Set Fire to the Rain» pour que des concurrents de The Voice aient du matériel pour émouvoir eux aussi. Même si, je te le répéterai tout le temps, personne peut émouvoir autant que toi, sensuelle contralto, soul au cœur brisé.
Être ton petit frère m’aurait ravi. J’aurais été le parrain du petit Angelo James, pis dans mes bibliothèques, pour retenir mes livres, j’aurais deux ou trois de tes Grammys, parce que tu sais pus trop quoi en faire. Mais surtout: tu m’aurais ému quand bon te semble. En ouvrant la bouche seulement.
Il y a quelque chose en toi, Adele, qui nous donne envie de nous greffer à toi, de grimper dans tes rideaux pour parvenir à ton cœur, à tes bras. Y a quelque chose de bon et de rassurant, jusqu’au bout de tes ongles de fée. Tu incarnes la grande sœur tolérante, la défenderesse LGBTQ, la défenderesse des femmes… Tu embrasses large, avec tes bras généreux. Tu bouleverses haut avec ta voix profonde. Tu interromps et reprends FastLove en plein milieu de ton hommage à George Michael, parce que t’es pas contente de ce que ça donne. Eh bien, Adele, toi que je voudrais pour grande sœur parce que tout est grand chez toi, continue d’exiger le mieux. Continue de prendre ton temps pour bien faire les choses dans cette ère rapide. Continue d’être ma grande sœur fictive.
Je t’aime. Bon 29e anniversaire, ma sœur!
Simon Boulerice
*Cette lettre d’amour a été lue à l’émission On dira ce qu’on voudra le 5 mai 2017
Pour lire un autre texte de Simon Boulerice: «Je peux-tu être votre mononcle fou?»