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« A la surment pas finii :-)”

Par
André Péloquin
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En quatrième année, j’étais un sapristi de bon joueur de ballon chasseur.

Même qu’une fois, lors d’une joute sur l’heure du dîner, j’ai éliminé un « grand » de sixième alors qu’il n’y avait plus que deux joueurs sur le terrain : lui et moi. Un événement qui, bien sûr, a inspiré le scénario de « Rocky IV »…

Lors de la récréation suivante, le « grand » de sixième m’a fait savoir assez physiquement merci qu’il n’a pas apprécié cette « défaite ». Je n’irai pas jusqu’à dire que j’ai souffert d’intimidation, mais disons que pendant quelques mois, j’en ai bavé… et que ça a surement influencé mon penchant pour désamorcer les petits drames de la vie avec des blagues douteuses (d’où la référence à « Rocky IV »).

Si seulement c’était pour me taxer. Si seulement c’était pour se moquer de moi (après tout, mes lunettes semblaient avoir été taillées à même des fonds de bouteilles de boissons gazeuses et je portais un manteau d’hiver Daffy Duck… non, non pas de Taz… de Daffy Duck!). Mais non, c’était gratuit. Il faut spécifier que pour communiquer, on a fait mieux que des coups de poing dans les côtes ou des menaces à la « si je te revois au centre-ville, je te brûle un œil avec mon “botch” de cigarette » (parce que, comme tout bon vilain de série Z, il fumait le salaud)…

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Puis, quelques mois plus tard, les coups ont cessé, mais pas mon mutisme. Est-ce que Claude (parce que c’était son nom) a finalement vu la lumière? Est-ce que mon grand frère l’a rossé (OK, j’ai une sœur cadette en fait, mais avec l’altitude qu’elle a, elle l’aurait sûrement mis K.O.)? Est-ce que la direction de l’école est finalement intervenue (meuh non, les gars, ça ne parle pas de ça aux professeurs ou au directeur. On n’est pas des téteux)?

Non, Claude s’est fait frapper par une voiture alors qu’il faisait du vélo. La dernière fois que je l’ai vu, c’était dans la section nécrologique du journal local. Je n’aurai jamais eu l’occasion de répliquer à la George McFly, d’élucider le mystère entourant cette animosité (d’où le fait que je m’en tiens à la théorie « le-gars-enviait-vraiment-mes-talents-au-ballon-chasseur »), d’en parler avec mon entourage ou les bonzes de l’école, voire de ressentir quoi que ce soit à son sujet. Après avoir croulé sous les coups de Claude, celui-ci est passé sous les roues d’une bagnole et, des années plus tard, je ne ressens toujours rien. Suis-je normal, docteur?

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Ce mercredi, on se désolait tous d’apprendre que Marjorie Raymond, une adolescente de 15 ans, s’est enlevé la vie après avoir subi de l’intimidation pendant trois années à l’école Gabriel-le-Courtois de Sainte-Anne-des-Monts. Selon une de ses intimidatrices, elle multipliait les « petites conneries » – les mots rapportés par le 98,5 FM, pas les miens – comme piquer le petit ami de l’une ou parler dans le dos de l’autre. Donc, de « petites conneries » à classer dans la corbeille « activités tout à fait normales qu’on fait quand on est un(e) ado… et même plus tard ».

Marjorie allait peut-être devenir « ze » chercheuse qui allait trouver « ze » remède pour enrayer le cancer de la prostate ou, pourquoi pas, vivre une vie « ben normale » une fois l’âge adulte atteint. C’est sûrement c’est ce qui le plus cruel de l’affaire : on ne le saura jamais.

Pendant toute la journée, le Québec s’est dit consterné. Alors que plusieurs ont répété le processus qui a mené Marjorie Raymond à commettre l’irréparable et l’inconsolable en intimidant la fameuse jeune fille qui s’est vantée d’avoir été suspendue sur Facebook et qui – cerise sur un sundae – ajoutait dans ses commentaires que la victime « A la surment pas finii :-)” d’en baver, des médias vous invitaient aussi à cliquer ici et là afin d’émettre votre opinion. Même Jean Charest et la ministre de l’Éducation Line Beauchamp se disaient désolés.

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Bien qu’on sait tous le « pourquoi » de ce geste funeste, une question demeure : combien encore?

Combien de « A la surment pas finii :-) » (oui, oui, avec une émoticône souriant à la fin, soulignant toute la naïveté de l’instigatrice) va-t-on encore subir avant qu’on s’équipe d’un cours, d’une politique, voire d’une pilule miracle pour limiter l’intimidation et/ou le suicide chez les adolescents?

On investit 70 000 $ dans un programme pour implanter Twitter dans les classes (désolé de vous casser les oreilles avec ça!) et on annonçait ce mercredi que le remplacement des tableaux vert par des tableaux intelligents coûterait 160 M$, mais l’intimidation et le suicide demeurent des bêtes noires méconnues qui échappent autant aux directeurs d’école qu’aux professeurs ou aux parents des « bullies » et des victimes… sauf lorsqu’ils se transforment en faits divers et en statistiques, bien sûr.

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Ne vous méprenez pas! J’adore le progrès et les percées technologiques. Je rêve du jour où je pourrai avoir une connexion Wi-Fi dans mes bobettes, même!, mais peut-on investir des montants semblables, sinon plus généreux, dans la résolution – ou, du moins, l’atténuation – de problèmes aussi présents que graves?

Hier, on apprenait aussi sur Canoe.ca que la mère de Marjorie Raymond a multiplié les rencontres avec la direction afin de régler la situation, des discussions qui avaient mené à quelques suspensions (« Yé! Congé! »). Pire encore, la commission scolaire des Chic-Chocs n’a pas voulu commenter l’affaire, mais a annoncé qu’« une cellule de crise a été mise sur pied ». Là, là? Seulement qu’après le suicide de Marjorie Raymond? Décidément, le plan d’action déposé en 2008 par le ministère est foutrement à revoir…

Huit mois avant Marjorie, une ado de Sorel-Tracy victime d’intimidation s’élançait dans le vide, la corde au cou. C’est ce geste qui a inspiré Maxime Collard, un autre gamin qui en a bavé… et qui a été honoré ce lundi d’ailleurs. Ce dernier a lancé une page Facebook et une marche contre l’intimidation qui le mènera notamment sur le plateau de Tout le monde en parle. Et c’est là, là que les commissions scolaires et nos élus se disent « affligés » et « inquiets »?

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L’image est clichée, mais bon : plusieurs écoles américaines sont équipées de détecteur de métaux. Pourquoi n’aurions-nous pas de détecteurs de bombes à l’entrée de nos écoles? Parce qu’un suicide, ce n’est pas qu’un acte isolé, la tombée du rideau, un dernier cri du cœur ou une statistique de plus, c’est une grenade à fragmentation qu’on dégoupille. C’est une explosion qui fait un mort, bien sûr, mais beaucoup de victimes, de blessés, d’éclopés…

Tiens, une chanson quand même de circonstance…