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À la recherche des « morning women » du Québec

Elles existent, mais pas encore dans les postes de grande envergure.

Par
Benoît Lelièvre
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La grande rentrée radiophonique s’amorce avec comme toile de fond une nouvelle rivalité matinale : Patrick Lagacé au 98,5 contre Mario Dumont sur QUB radio. Un véritable choc des titans, comme l’a dramatiquement formulé le 7 Jours.

C’est littéralement ce dont tout le monde parle en ce moment dans le milieu.

Il faut dire que dans le monde de la radio, le poste de morning man est à la fois l’un des plus exigeants et prestigieux. Si, d’une part, on doit se lever de bonne heure et être sur le piton en titi pour livrer la marchandise, devenir la voix qui accompagne les Québécois du réveil au bureau et alimenter leurs conversations pendant toute la journée est la plus grande consécration offerte par le médium.

Et je dis bien morning men parce que ces voix sont traditionnellement masculines. De Paul Arcand à Alain Gravel en passant par Lagacé, Dumont et Patrick Masbourian, on s’est historiquement pas mal toujours fait réveiller par des hommes. Ce n’est pas systématiquement le cas (allô, Marie-France Bazzo!), mais le matin, les femmes sont l’exception plutôt que la règle.

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Et pourquoi donc? Est-ce qu’une femme aurait pu prendre la place d’un des antagonistes de ce CHOC DES TITANS?

Même si j’ai déjà ma propre idée sur la question, j’ai décidé de partir à la recherche des morning women du Québec afin de mieux comprendre la place qu’elles occupent dans le paysage radiophonique de la Belle Province.

Un milieu sexiste? Pas exactement

Quand j’utilise l’expression morning woman, je fais référence à une animatrice d’émission d’information qui traite des actualités de la journée. Oui, il existe plusieurs émissions matinales de variété sur les ondes avec une foule d’intervenants et intervenantes et qui sont animées par des femmes, mais ce n’est pas ce dont on parle ici.

Les morning women du Québec ne sont pas majoritaires dans le milieu, mais elles ne se sentent pas nécessairement victimes d’un milieu sexiste. J’en ai trouvé quatre, dont deux qui ont accepté de me parler pour cet article : Julia Caron, animatrice de Quebec AM sur les ondes anglophones de CBC à Québec (oui, oui! Ça existe!) depuis 2020 et Catherine Gaudreault qui a animé Que la Mauricie se lève pendant plusieurs années sur les ondes régionales du 106,9. Elle a cédé sa place à Alexis Samson en 2022 pour prendre la barre des émissions du midi et du retour à la maison.

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Je suis certain qu’il y en a d’autres (et qu’il y en a eu d’autres que celles nommées dans cet article par le passé), mais elles ne sont tout de même pas très nombreuses dans le domaine de l’information et dans ce milieu, l’animation c’est LA grosse job.

L’émission Quebec AM été animée par plusieurs femmes (mais pas que!), depuis le tout début », m’explique Julia Caron au téléphone. Elle me révèle notamment que l’autrice à succès des romans de l’inspecteur Armand Gamache Louise Penny fut l’une d’entre elles dans les années 80 et 90. « J’ai eu ma chance en 2019 lorsque l’animatrice de l’époque, Susan Campbell, a décidé de retourner sur le terrain. C’était une décision très atypique. Quand on obtient un poste d’animation, d’habitude, on le garde jusqu’à la fin de sa carrière. »

Si Julia admet avoir été victime de sexisme de la part d’auditeurs (un de ses voisins qui la surnommait « miss météo » ) et en périphérie du milieu, en rapport à son habillement ou même à sa taille, mais jamais par le monde de la radio. Même son de cloche du côté de Catherine Gaudreault.

« J’ai été poussée et mise de l’avant par des hommes et des femmes formidables », affirme l’animatrice trifluvienne.

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Catherine a obtenu son poste après les attentats d’Ottawa en 2014, alors que ce qui devait à la base être un bulletin spécial s’est transformé en émission de deux heures où elle a pu démontrer toute l’étendue de son talent. Elle prendra les rênes de Que la Mauricie se lève et un rôle de co-animatrice à l’émission du Doc Mailloux dans les mois suivants.

« J’ai jamais senti qu’on me plaçait là parce que j’étais une femme. J’ai eu des rétroactions d’auditeurs qui me disaient qu’ils n’étaient pas convaincus par l’idée d’avoir une femme à l’animation le matin pour leur parler, entre autres, de sport, mais ce n’était pas hostile », explique Catherine.

Les deux femmes s’entendent toutefois pour dire que la tradition de confier à des voix masculines l’animation des émissions matinale à la radio vient d’habitudes profondément ancrées dans les mœurs de la province plus que d’un milieu ouvertement sexiste.

« Les gens ne peuvent pas entrevoir une possibilité si elle n’a jamais existé pour eux. S’ils n’ont jamais entendu de femmes à la barre d’une émission matinale, c’est pas quelque chose qu’ils vont prendre en compte », affirme Julia Caron de CBC.

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« À l’époque, il y avait peut-être une crainte. Il faut aussi prendre en compte que ces postes viennent avec beaucoup de pression dans les grandes villes. C’est pas tout le monde qui veut ça », renchérit Catherine Gaudreault.

La prochaine grande morning woman du Québec

Bien sûr, cet article ne se veut pas un désaveu du travail de Patrick Lagacé, de Mario Dumont ou même de Patrick Masbourian qui lui aussi tire son épingle du jeu, le matin. C’est juste que… mettons qu’on vivrait dans un univers alternatif où une femme avait un de ces postes, qui aurait pu être la candidate idéale?

« Wow! c’est vraiment une bonne question », se sont exclamées les deux animatrices avec à peu près la même intonation.

Après quelques secondes de réflexion, le choix de Julia Caron s’est arrêté sur la journaliste Nantali Indongo. Celle-ci anime présentement l’émission culturelle The Bridge sur les ondes de CBC et contribue à Plus on est de fous, plus on lit, à la radio de Radio-Canada. « C’est quelqu’un qui a une excellente compréhension de la société québécoise et de ses enjeux », me dit-elle.

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Le nom d’Élisabeth Crête vient spontanément à Catherine Gaudreault. En plus, la journaliste anime déjà une émission matinale, la fin de semaine, sur les ondes du 98,5. Les auditeurs étant familiers avec elle, une transition vers un rôle en semaine serait semblable à celle que vient de faire Ève-Marie Lortie à la barre de Salut Bonjour en juin dernier.

Les morning women ne sont peut-être pas encore en vue dans les postes d’envergure comme celui qu’occupait Paul Arcand, mais elles font néanmoins partie du paysage médiatique de cette heure de grande écoute et elles réussissent en leurs propres termes.

« Moi, j’irais pas faire une job comme ça en ville. Je suis très heureuse dans mes fonctions actuelles », affirme Catherine Gaudreault.

Si une conclusion émerge de mes rencontres, c’est que les mentalités évoluent, et ce, même dans un milieu perçu comme plus conservateur comme la radio. Selon moi, c’est une simple question de temps avant qu’on ait une morning woman à la barre d’une émission d’envergure.

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Maintenant, reste plus qu’à trouver un nom plus original (et inclusif) aux rivalités des grands micros que « le choc des titans » et on sera prêt.