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À la dĂ©fense de l’humour scatologique

Les jokes de pet ont mauvaise réputation. Il faut remédier à cela.

Par
Audrey PM
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« Le Pet qui ne peut sortir
À maints la mort fait sentir
Et le Pet, de son chant, donne
La vie Ă  mainte personne..
Si donc un Pet est si fort
Qu’il sauve ou donne la mort,
D’un Pet la force est Ă©gale
À la puissance royale. »

Pierre de Ronsard n’écrivait pas que des odes Ă  Cassandre. Il composait aussi de sublimes poĂšmes sur le pet.

L’Ɠuvre d’Aristophane regorge de blagues de flatulences. Les Romains adoraient CrĂ©pitus, dieu des pets. Mozart saupoudrait ses correspondances de blagues de caca. À travers l’Histoire, le pet fait du bruit. Parfois rĂ©primĂ©e, parfois cĂ©lĂ©brĂ©e, parfois accueillie avec dĂ©goĂ»t et froideur, la relation entre l’Homme et les fonctions de son pĂ©teux a toujours Ă©tĂ© ambivalente.

Fervente défenderesse des jokes de pet
 pas simple.

Je m’appelle Audrey et mon premier texte pour Urbania portera sur les jokes de pet et de caca, merci.

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Je suis en effet une fervente dĂ©fenderesse de l’humour scatologique, et ce, malgrĂ© les regards hautains, les silences awkwards et les amitiĂ©s naissantes anĂ©anties que cela m’occasionne parfois.

Bien entendu, je n’ignore pas que ce type d’humour est gĂ©nĂ©ralement qualifiĂ© de puĂ©ril, vulgaire, de mauvais goĂ»t ou tout simplement pas drĂŽle. À cela je rĂ©ponds : « Certes, mais pas tout le temps. »

Ma thĂ©orie est la suivante : lorsque bien construits, un rĂ©cit de diarrhĂ©e-surprise ou une blague de pet peuvent ĂȘtre extrĂȘmement drĂŽles et pas vulgaires du tout.

Anatomie d’une (bonne) joke de pet.

Tout d’abord, je propose qu’un bon gag de pet est tout simplement un bon gag, puisqu’il se construit de la mĂȘme façon que n’importe quelle autre blague.

Louis CK a un jour expliqué en trois points pourquoi le pet est drÎle :

  1. Ça sort des fesses
  2. Ça sent pas bon
  3. Ça fait un bruit de trompette
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C’est tout à fait vrai, mais essayons de fouiller le sujet un peu plus creux. Pourquoi rit-on d’une blague de pet ou de caca?

Parce qu’une telle blague n’est drĂŽle que si elle contient au minimum les 3 Ă©lĂ©ments suivants : l’incongruitĂ©, la supĂ©rioritĂ© et la surprise. Je m’explique.

L’incongruité : le pet, dernier grand tabou.

On peut tout de suite affirmer qu’il n’y a rien de plus incongru (dans le sens de contraire aux rĂšgles de savoir-vivre) que la mention de flatulence, d’urine ou d’excrĂ©ment dans un contexte autre que mĂ©dical ou scientifique. Par exemple, si je suis en entrevue pour un emploi convoitĂ© et que la madame des RH me demande comment ça va, j’éviterai de lui dire que ma sauce Ă  spag bolognaise de la veille m’a fait changer trois fois de bobettes ce matin, sous peine de provoquer et un malaise, et une non-embauche immĂ©diate.

L’incongruitĂ© est un Ă©lĂ©ment intrinsĂšque Ă  la joke de pet puisque (et je ne vous apprends rien) ce genre de mention est fortement rĂ©primĂ©e.

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En effet, les flatulences et les excrĂ©ments constituent les derniers grands tabous de notre sociĂ©tĂ©. Depuis notre plus tendre enfance, on nous interdit de rire de ces Ă©vacuations. Parce que c’est sale, parce que ce n’est pas poli, parce que ça appartient au domaine de l’intimitĂ© et donc du tabou.

À 6 ans, rire d’un prout sonore est une dĂ©licieuse façon de dĂ©roger aux rĂšgles parentales, mais c’est vĂ©ritablement une rĂ©action instinctive Ă  la catharsis de se retrouver confrontĂ© Ă  un tabou. Ensuite, la sociĂ©tĂ© nous apprend Ă  ressentir de la honte face Ă  l’étalement de ces fonctions corporelles.

Rire d’une blague de pet Ă  l’ñge adulte, c’est transgresser la honte, rĂ©gresser en enfance et se libĂ©rer momentanĂ©ment de cette interdiction sociĂ©tale.

La supériorité : au coeur du pet.

En plus de bouleverser nos conventions sociales, une bonne blague scato vient Ă©galement satisfaire notre besoin viscĂ©ralement humain de se sentir supĂ©rieur, que ce soit par rapport Ă  notre environnement, aux autres ou Ă  nous-mĂȘmes.

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PĂ©ter ou avoir la diarrhĂ©e en public, c’est un des accidents sociaux les plus embarrassants qui puisse nous arriver, et sur lequel nous n’avons aucun contrĂŽle.

Par exemple, il paraĂźt qu’une fois Ă  la cour Ă©lisabĂ©thaine, un courtisan ayant violemment pĂ©tĂ© en se penchant pour faire une rĂ©vĂ©rence Ă  la reine, aurait Ă©tĂ© tellement mortifiĂ© qu’il serait parti en exil volontaire pendant cinq ans. Et lorsqu’il est revenu Ă  la cour aprĂšs ce laps de temps, tout le monde l’a reconnu comme le dude qui s’est cachĂ© pendant cinq ans parce qu’il avait fiousĂ© devant la reine.

C’était honteux au 16e siĂšcle, et ce l’est encore aujourd’hui. Rire de l’embarras de l’autre et de son manque de contrĂŽle sur son corps et sa situation nous fait sentir supĂ©rieurs et nous contente.

La surprise : le pet comme ponctuation.

L’effet de surprise, lorsque bien calibrĂ©, est souvent l’aspect le plus apprĂ©ciĂ© dans les gags scato. J’irais mĂȘme jusqu’à dire que c’est l’élĂ©ment le plus important dans l’apprĂ©ciation critique d’un gag scatologique.

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Syntagmatiquement, on peut retrouver l’effet de surprise Ă  la fin d’une blague, sous la forme d’un pet. Autrement, le pet peut ĂȘtre un Ă©lĂ©ment de surprise qui contribue au punch d’un gag. L’absurditĂ© de la prĂ©sence de pet ou d’excrĂ©ments dans un contexte (lieu ou moment) oĂč on ne devrait pas en voir/sentir/entendre compte Ă©galement comme un Ă©lĂ©ment de surprise qui provoque le rire.

Par exemple, lorsque ce dude a dĂ©couvert qu’un de ses pets constituait un arpĂšge majeur 7 en si bĂ©mol et qu’il a composĂ© un morceau de musique classique avec, l’effet de contraste entre le son vulgaire d’un pet et la dĂ©licatesse d’un arpĂšge fut assez surprenant pour me faire pleurer de rire et ĂȘtre responsable de 85% des lectures de ce vidĂ©o.

À ces trois Ă©lĂ©ments vitaux (incongruitĂ©, supĂ©rioritĂ© et surprise), se greffent parfois des Ă©lĂ©ments corollaires, des figures de style qui rehaussent l’effet comique de la blague scatologique. À cet Ă©gard, mon exemple favori est la section commentaires des bonbons Haribo sans sucre, sur Amazon, oĂč les acheteurs se plaisent Ă  dĂ©crire avec moult comparaisons, exagĂ©rations et mĂ©taphores les effets dĂ©sastreux liĂ©s Ă  l’ingestion de ces bonbons.

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Le pet, ce rassembleur.

LĂ  oĂč la magie opĂšre, c’est quand tous ces Ă©lĂ©ments mis ensemble contribuent Ă  crĂ©er chez le spectateur un processus d’identification qui lui fait apprĂ©cier ce genre d’humour. Tout le monde pĂšte, tout le monde fait caca. Tout le monde a un jour vĂ©cu une situation d’inconfort par rapport Ă  ça. Comme le disait mon ami Olivier avec qui je discutais du sujet: « GrĂące au caractĂšre transgressif d’en parler, il se dĂ©veloppe une complicitĂ©, un dĂ©lice de faire un mauvais coup, une digression consciente au bon goĂ»t, universelle mais conjurĂ©e d’une omertĂ . Tout le monde peut se mettre dans les shorts de ces jokes-lĂ , tout le monde. »

Bien entendu, je sais qu’il ne suffit pas de dĂ©cortiquer savamment mes gags scato favoris pour provoquer un concensus heureux Ă  propos de ce type d’humour. C’est qu’au final, la sensibilitĂ© de chacun contribuera Ă  dĂ©terminer le degrĂ© d’apprĂ©ciation d’une joke de fiouse.

De toute façon, le but de cet essai n’est pas tant de vous convaincre d’aimer l’humour scato, mais bien de vous inviter Ă  reconsidĂ©rer d’un Ɠil critique ce genre d’humour, parce qu’il est selon moi trop souvent et trop rapidement rĂ©duit au mauvais goĂ»t ou Ă  la stupiditĂ©.

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Certains clament que l’humour existe parce que l’Homme cherche un sens universel Ă  la vie. Quel sens peut-on dĂ©gager de l’humour scatologique? Que la vie est absurde? Que nos complexes sociaux sont rĂ©pressifs? Personnellement, je cherche encore. Mais si le pet provoque le rire et que rire fait du bien, alors je n’ai pas de problĂšme Ă  conclure que rire des pets est bon.

AprĂšs tout, comme le dit Louis CK : « On n’a pas besoin d’ĂȘtre intelligent pour aimer les gags de pet, mais on serait stupide de ne pas en rire. »

Pour lire un autre article dans le sujet: « Montre-moi ta crotte ».

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