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À GIGI!

À la mémoire de ma mère

Par
Julie Artacho
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Ce samedi, je suis allée assister à la pièce Encore une fois, si vous le permettez au théâtre Jean-Duceppe. Ce que j’ai réalisé devant le magnifique texte de Michel Tremblay qui évoque, en cinq tableaux, des souvenirs avec sa mère, c’est à quel point Michel Tremblay a plus de mémoire que moi (et en a fait meilleur usage).

Faut dire que pendant que j’étais occupée à être une ado qui écrivait sur ce qu’elle vivait, cachée dans ma chambre, je ne prenais pas tant la peine d’écrire sur ma mère. Avoir su que ma mémoire serait la chose dont je suis le moins fière en vieillissant, j’aurais troqué une couple d’heures d’écoute intensive de Radiohead à écrire de la poésie adolescente pour quelques carnets où j’aurais écrit, moi aussi, les souvenirs de ma mère.

Ma mère est décédée le 31 mars 1999. J’ai donc récemment célébré ce 17e anniversaire en braillant très fort par-dessus un album photo.

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À 32 ans, c’est le constat que j’ai vécu la plus grande partie de ma vie sans elle et c’est aussi le dur constat que la femme que je regarde sur les photos dans sa fin vingtaine-début trentaine, je ne sais pas vraiment qui elle est.

J’essaie parfois de m’imaginer ce qui nous unit, ma mère et moi. À part notre passion pour les cheveux très longs et la petite courbe que j’aime dans mes yeux et qu’elle avait aussi.

Ma mère fut l’une des premières à s’inscrire en sciences de l’éducation physique. Y’a une pas pire part d’audace à aller dans un domaine majoritairement masculin. Tout comme il faut pas mal de courage pour se lancer en photographie, ce que j’ai fait il y a quelques années. Un lien pour le goût du risque qui, pour moi, se manifeste seulement par mon choix de métier et de dates, mais qui, pour elle, consistait à faire de la corrida sur des vaches quand elle était enfant, grimper n’importe où et étudier dans un autre domaine que celui attendu de la majorité des femmes de l’époque.

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Ma mère avait définitivement plus de guts ainsi que, manifestement, un plus grand amour du sport que moi.

Ses études l’ont menée à enseigner l’éducation physique dans un collège à Terrebonne, assez longtemps pour que je sois son élève. J’ai souvenir de ce jour où j’ai crié MAMAN! devant tout le monde dans le gymnase et de cet encore plus glorieux jour où j’ai été en larmes sur les barres asymétriques avec la chienne de faire une roulade arrière dans les airs.

Mes souvenirs les plus clairs avec ma mère sont donc reliés à des traumatismes sportifs… Rendue là, je n’ai pas d’autre choix que de dire que la vie veut définitivement que j’aie un sens de l’humour.

Enfin.

Au final, j’ai beaucoup plus de questions que de souvenirs.

J’aimerais ça lui demander si c’était un véritable amour de la course qu’elle avait ou s’il y avait des jours où c’était juste de la fuite. Lui demander si son rapport au corps et aux régimes, ça avait toujours été présent ou si c’était à l’annonce de son premier cancer qu’elle avait commencé à écrire des recettes de crème Budwig dans des cahiers. Lui parler de comment c’est triste que même si elle ne m’a jamais fait sentir mal dans mon corps, j’ai quand même fini par ne pas me sentir bien avec celui-ci pendant des années.

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J’aimerais ça qu’on parle du fait qu’elle a incroyablement souffert sans avoir l’air d’en avoir parlé à personne et de comment, de mon côté, j’ai décidé de ne plus souffrir en silence. Je voudrais parler de déni avec elle, de pensées magiques, de croire que tout va se placer par soi-même pis de la tristesse de constater que parfois, c’est pas du tout ça qui arrive. Lui demander si c’est vrai qu’elle était autant aimée des autres, comme j’ai pu le constater le jour de ses funérailles, quand tout le monde venait me dire combien ma mère était extraordinaire. J’aimerais ça lui dire que moi aussi, j’espère être aussi extraordinaire et aimée des autres.

J’aurais aimé ça qu’elle voie la femme que je suis devenue.

J’aurais aimé ça savoir d’avance que mes mécanismes de défense fermeraient tant de portes sur mes souvenirs. J’aurais voulu les écrire, les photographier et parler plus avec ma mère. J’aurais aimé réaliser que le souvenir de ma mère me glisserait entre les doigts en vieillissant.

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J’essaie fort aujourd’hui de ne pas laisser le souvenir des gens que j’aime m’échapper. Tout comme j’essaie de faire revivre ma mère à travers des textes et des images et, de temps à autre, par des shooters entre amis où on crie “À GIGI!”

***

Vous pouvez comme moi aller pleurer devant ce texte et admirer la performance émouvante de Guylaine Tremblay.