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À deux pas de la liberté : vivre un meurtre en tournage
En juillet dernier, alors qu’elle était au volant de sa voiture, la co-réalisatrice Érika Reyburn de la série documentaire À deux pas de la liberté reçoit un appel du co-réalisateur Martin Paquette. « Range-toi sur le côté », lui demande-t-il. Eugène Morin, protagoniste de leur série, aurait assassiné sa conjointe Kim Racine. Il sera accusé plus tard d’homicide involontaire, de négligence criminelle ayant entraînée la mort et de voies de faits ayant causé des lésions à une femme de 24 ans [NDLR L’enquête est toujours en cours.]
« C’est à ce moment qu’on réalise qu’on ne fait pas juste de la télé », avoue Érika en revenant sur cet événement. S’armant de tout son courage, elle se rend seule à la maison de transition où elle tourne depuis quelques semaines pour capter en temps réel les réactions des intervenants, mais aussi des hommes qui y séjournent.
Immersion dans les coulisses de l’épisode « Gestion de crise » qui, c’est le moins qu’on puisse dire, n’était pas prévu au scénario initial.
Comment réagissez-vous lorsqu’un événement aussi inattendu survient?
On se prépare, on a écrit des scénarios en disant « ok, voici ce qu’on va aborder », mais sur le terrain il y a toujours des situations où l’on doit s’adapter. On voulait déjà suivre la puck et le déroulement de ce qui se passait avec nos personnages, mais on pouvait pas prévoir ça.
On base toujours le scénario sur des anecdotes racontés par les intervenants au préalable pendant les 10 jours d’observation. C’est ce qui m’inspirait pour écrire des synopsis qui allaient probablement changer au cours du tournage.
J’imagine que vous ne vous attendiez toutefois pas à un événement aussi troublant qu’un homicide?
On avait rencontré Eugène Morin pour une première entrevue, c’était initialement un personnage de la série. Ça faisait un certain temps qu’il était à la maison de transition et on savait que sa date de départ était imminente, il partait au mois d’août.
Le drame dont il est accusé s’est déroulé pendant la période des vacances alors que toutes les intervenantes quittent, dont celle d’Eugène Morin, Nancy. C’était dans une période où nous n’étions pas en tournage.
Quand j’ai reçu l’appel, j’ai vraiment eu un choc. Tu rencontres tous ces gens en maison de transition et tu ne peux jamais prévoir ce qui va se passer. C’était un gars qui avait ses problèmes, mais qui était aussi vraiment attachant. Tu sentais qu’il voulait s’en sortir. C’était très bouleversant comme sentiment.
De penser aussi qu’une femme est morte, c’est très troublant. On ne documente pas une chicane pour de la vaisselle, comme dans d’autres épisodes, mais un événement grave et infiniment triste.
Comment avez-vous réussi à mettre ce drame en images tout en respectant l’équipe et les hommes de la maison de transition?
Je suis partie avec une petite caméra du bureau chez URBANIA, seulement pour capter sur le vif comment ça se passait à la maison.
Je leur ai dit : « On va filmer. Je ne sais pas si je vais me servir de ces images, mais puisque ça vient de se passer, on veut avoir vos réactions à chaud et voir comment vous vivez avec ça ».
Ce ne sont pas des évènements qui arrivent souvent. Josée (coordonnatrice clinique qu’on voit dans la série) a d’ailleurs dit que dans ses 29 ans de carrière, c’est peut-être la deuxième fois que ce genre de situation se produit.
Est-ce qu’ils étaient réticents à ce que tu filmes dans ces conditions?
Non. C’est étrange parce que je pense que ça a comme un effet réparateur. En parler, c’est une façon de surmonter l’épreuve, de passer à travers ces évènements qui sont difficiles. J’ai l’impression que la maison de transition voulait que le public sache que les intervenantes prennent ça à coeur et que ça fait partie des réalités de leur emploi. Il faut que tu apprennes à dealer avec ça.
La journée où j’y suis allée, il y a eu une rencontre des intervenants autour de la table en dinant. Ça donnait la possibilité à chaque personne de s’exprimer et de dire comment elle se sentait.
Ce que j’ai trouvé beau dans tout ça, c’est de les voir s’épauler les uns, les autres. Il y a une certaine résilience également, on voit qu’elles ont choisi le bon métier. Elles comprenaient qu’elles n’étaient pas responsables des actes présumément posés par Eugène.
Bien entendu, elles se sont remises en question par rapport à leurs interventions préalables. Elles se demandaient si elles avaient tout fait pour empêcher que ça arrive, même si au moment où on se parle, les allégations n’ont pas été prouvées. Conclusion : il était encadré, il allait bien. Le reste ne leur appartenait pas.
Il est arrivé tellement de choses pendant l’année où on a tourné! Même Josée n’avait jamais vu une année aussi mouvementée.
Ça nous donne un éventail de ce qui peut arriver. C’est très riche. Mais pour les filles, c’était moins évident.
Il doit y avoir un grand lien de confiance pour pouvoir assister à tout ça. C’est quand même « intrusif » une caméra.
On a tourné une quarantaine de jours, on était très présents à la maison de transition. C’était aussi ça l’idée d’avoir une petite équipe de tournage. Les lieux sont tellement petits qu’il fallait se faire discrets.
Le processus pour gagner leur confiance s’est fait tranquillement et je pense que c’est aussi l’une des forces de notre équipe. Au départ, ils étaient réticents, ils ne savaient pas ce qu’on allait faire avec le matériel, mais il y avait une ouverture pour qu’on entre dans leur bulle.
On a cherché à comprendre leurs craintes et on a fait du mieux qu’on pouvait pour répondre à ça. Au fil du temps, ils nous appelaient pour nous dire ce qu’ils se passaient et leurs horaires de rencontres. Ils ont été d’une grande générosité.
Au moment de la diffusion, l’enquête d’Eugène Morin est encore en cours.
L’épisode Gestion de crise de la série À deux pas de la liberté sera diffusé ce jeudi 21h à UNIS TV.