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À chaque époque sa discothèque mythique

Ces clubs mythiques ont façonné leur époque… ou l’inverse.

Par
Judith Lussier
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On dit du Lime Light qu’il aurait servi d’inspiration à la célèbre discothèque Studio 54, à New York; les X se souviennent du Business et de sa faune bigarrée à l’époque où on écrivait trop souvent l’expression « faune bigarrée » dans le journal Voir; et le Sona a parti le bal des after-hours au moment où se concluait l’ère des raves. Ces clubs mythiques ont façonné leur époque… ou l’inverse.

Lueurs vertes

Dans les années 70, la musique disco passe autant à la radio que le rap de Naya Ali aujourd’hui : pas beaucoup. Pour entendre — et parfois voir — les Gloria Gaynor, Grace Jones et Boule Noire, il faut se rendre au Lime Light, sur la rue Stanley, à Montréal. « Au début du mouvement disco, le Lime Light était la seule place où les gens pouvaient danser sur ce que je faisais jouer, ce qui donnait au club un côté très underground », se souvient Robert Ouimet, le DJ qui a donné au Montréal des années 70 ses soirées les plus chaudes.

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L’accès à la musique à l’ère des « longs-jeux » est, de manière générale, plus laborieux. Robert Ouimet explique qu’il se rendait à New York presque chaque semaine pour aller chercher des primeurs.

Mais c’est ainsi, avec la musique la plus hot de l’heure, que le Lime Light attire les David Bowie, Donna Summers et autres James Brown à Montréal. « C’était LA place où se tenir à l’époque. Le Tout-Montréal était là, et les vedettes qui étaient de passage à Montréal passaient automatiquement par le Lime Light », se souvient l’un de ses clients célèbres, Michel Girouard. Celui-ci avait l’habitude d’y enregistrer des émissions de son fameux rendez-vous télévisuel Le Jardin des étoiles, qui a vu passer autant Michel Louvain et Dominique Michel que Dalida et Serge Lama.

« Montréal avait un maire, Jean Drapeau, qui était un relationniste exceptionnel pour la ville. Il avait réussi à obtenir l’Expo en 1967, et les Jeux olympiques en 1976. Tout ça a fait de Montréal le pôle d’attraction qu’elle était pour les vedettes de l’époque », explique Girouard.

Pour Robert Ouimet, c’était une question de timing. « Le Lime Light est arrivé au bon endroit, au bon moment », dit-il. Et la boîte de nuit était en phase avec son époque : « La politique de la place était principalement le respect de la personne, qu’elle soit gaie, straight, noire, blanche, etc. », se rappelle le DJ, qui tourne encore ses platines dans les festivals.

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L’ère industrielle du Business

À la fin des années 80, les The Cure, Depeche Mode et New Order cèdent tranquillement leur place à un son tout nouveau, le house. Et le point d’entrée de ce mélange de synth-pop, de funk et de techno à Montréal, c’est ce nouveau bar de 200 places qui filtre minutieusement ses clients à la tête. « On avait une politique un peu détestée qui consistait à choisir le monde à l’entrée », confirme Richard Holder, l’un des fondateurs du Business. « On choisissait ceux qui allaient faire partie du show. Si t’avais la moitié des cheveux orange et l’autre verte, c’était un bon départ ! Mais on n’aurait jamais discriminé en fonction de l’orientation sexuelle ou de l’origine », précise-t-il.

La stratège Marie-Annick Boisvert est l’une des heureuses qui ont pu mettre les pieds dans le lieu culte. « Tu pouvais pas avoir plus underground que le Business. Les vedettes se tenaient là; c’était ultra artistique; le décor avait été conçu par Zïlon », se souvient-elle. Ce dernier, un graffiteur, est l’une des figures de proue de l’art underground de l’époque, tout comme les architectes, designers et autres éclairagistes ayant donné le ton à l’endroit.

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Richard Holder et son frère jumeau, Maurice, se donnent trois mots d’ordre dès le début du projet : « Théâtral, urbain et industriel. Cette direction était dans tout ce qu’on faisait. C’était le premier bar, par exemple, où il n’y avait pas d’éclairage de discothèque; à la place, on avait des gros spots de théâtre. Et si on voulait que ce soit théâtral, il fallait que le staff le soit. Il devait s’habiller freak, se maquiller. »

Ouvert en 1986, le Business a fermé en 1990 sous la pression des descentes policières constantes. « Dans les dernières années du Business, les policiers pouvaient venir trois fois par soir sous prétexte qu’on dépassait la capacité légale, mais ils laissaient les autres places tranquilles », regrette Richard Holder. À la sortie du Business, les clients recevaient parfois des dépliants indiquant l’adresse d’un entrepôt désaffecté où aller terminer la soirée, ce qui annonçait le début d’une nouvelle ère : celle des raves et des afters.

Suer pour la peine

Fin des années 90, le DJ Tiga commence déjà à être connu de la scène électro montréalaise. Son nom figure sur la plupart les flyers des raves de la belle époque où il fallait appeler le numéro d’une pagette pour connaître, quelques heures à l’avance, le lieu du rassemblement ou du départ en autobus qui allait nous conduire dans un champ quelconque pour danser jusqu’au petit matin.

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À cette époque, François Bazinet est propriétaire du Angel’s, qui organise des soirées technos. « On est devenus amis, Tiga et moi, alors qu’il avait à peine ses cartes pour venir jouer chez nous ! » se souvient-il. Oiseau de nuit et globe-trotter, François Bazinet cherche à reproduire l’ambiance des clubs d’autres grandes villes qui ne ferment jamais. « J’ai visité 100 places avant de trouver l’endroit magique. Avec des avocats, on avait trouvé une faille où, si on avait une adresse avec un permis d’alcool, une autre adresse avec un permis de réunion, et une porte entre les deux, les gens pouvaient danser toute la soirée jusqu’aux petites heures du matin », se rappelle-t-il. Avec Tiga, il ouvre donc le Sona en 1996.

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« Tu entrais par la ruelle de la rue Bleury, et là, à 3 h du matin, une porte s’ouvrait sur une pièce où il n’y avait pas d’alcool. On était à Montréal, mais on se sentait comme à New York », se remémore l’éternelle party-goer Marie-Annick Boisvert.

Grâce à la réputation de Tiga et des Productions 514, qui ont mis sur pied une expertise pointue dans le booking de DJ, le Sona réussit à attirer les plus grands noms de l’époque, comme Carl Cox, David Morales ou Erick Morillo. « Dans ce temps-là, tu pouvais avoir Tiësto pour 3 000 $. C’était avant que les compagnies de cigarettes s’en mêlent et “bookent” les DJ pour 20 000 $ par soir », explique François Bazinet.

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Pour Tiga, c’est une époque d’apprentissage. « Les gens ont de bons souvenirs du Sona, mais moi, je me souviens surtout du travail, du drama et de la business. Sur le plan créatif, ce n’était pas ma meilleure période », dit-il, même s’il reconnaît avoir parfois appris des DJ internationaux qui passaient par son club. « Une chose que j’ai apprise d’eux, surtout, c’est que souvent, à Montréal, on pense que les DJ des grandes villes sont meilleurs que nous. Mais finalement, Montréal, on est hot ! Ça m’a donné confiance pour poursuivre au niveau international. »