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Le vélo fantôme de Calixa-Lavallée

À Calixa-Lavallée, un vélo blanc sème l’émoi

Les proches de Justin Bertrand veulent honorer sa mémoire.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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« Un cycliste est décédé ici. Justin Bertrand, 7 mai 2024 », peut-on lire sur l’écriteau accroché à un vélo blanc posé à la mémoire d’un jeune père de famille de 30 ans, décédé l’an dernier lors d’un accident de vélo survenu dans la municipalité de Calixa-Lavallée, près de Verchères, en Montérégie.

Quelques jours après une cérémonie où le vélo fantôme a été dévoilé, les bouquets de fleurs et photos trempées subissent les effets d’une météo capricieuse. Mais c’est bien peu en comparaison avec la polémique qui éclabousse actuellement cette bourgade de 500 âmes.

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En gros, le conseil municipal s’opposerait à ce que le vélo fantôme soit placé sur les lieux de l’accident de manière permanente – comme c’est la coutume depuis l’installation de ces premiers mémoriaux, en 2013.

Lors d’un conseil, la municipalité aurait décidé de le retirer, quelques jours après la cérémonie. On aurait évoqué comme prétexte qu’il n’est pas dans l’intérêt de la communauté – encore ébranlée – de le maintenir en permanence et à la vue de tous, directement en face de l’hôtel de ville, faut-il mentionner. « Le conducteur du véhicule de ferme qui a happé le cycliste passe là tous les jours, plusieurs fois par jour », a notamment fait savoir le maire Daniel Plouffe à La Presse.

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Le hic, c’est que le retrait – voire le simple déplacement (une des options évoquées) – du vélo fantôme créerait un précédent grave aux yeux du collectif Souliers et vélos fantômes Québec, qui n’a jamais vécu une telle situation en 12 ans.

Les proches de Justin Bertrand et le collectif espèrent donc que le conseil municipal revienne sur sa décision. Au moment d’écrire ces lignes, des pourparlers seraient toujours en cours entre les deux camps.

En attendant, le vélo demeure accroché à un poteau électrique, à l’endroit même où, par un tragique mardi de mai, un jeune père de famille qui avait l’habitude d’y rouler est entré en collision avec un tracteur agricole qui effectuait un virage.

« Il y a juste des victimes, là-dedans »

Camille Thibault, la conjointe de Justin Bertrand, m’a donné rendez-vous sur les lieux de l’accident. Le couple, qui résidait à Verchères, à quelques kilomètres de là, avait roulé ici des centaines de fois avant le tragique accident qui a coûté la vie à Bertrand.

J’arrive avec un peu d’avance, le temps de faire le tour du village.

À la mairie, des employées me confirment que des discussions sont toujours en cours au sujet du vélo. Dans les jours précédents, j’ai aussi tenté de rejoindre le maire à deux reprises, sans succès. Le malaise est palpable autour de cette patate chaude où l’on assure s’efforcer de vouloir respecter tout le monde. « Il y a juste des victimes, là-dedans », résume une employée évoquant le chauffeur du tracteur impliqué dans le drame, en choc post-traumatique.

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De retour à l’extérieur, j’entreprends un porte à porte pour prendre le pouls sur l’épineux dossier.

Sur le chemin de la Beauce sont alignées de magnifiques maisons rustiques. Je me laisse guider par le son des tracteurs à gazon. L’odeur du lilas embaume l’air.

« Je pense au monsieur qui a frappé le cycliste et qui passe devant le vélo chaque jour. Je suis d’accord avec la prévention, mais il faut voir les deux côtés de la médaille », croit Serge, qui coupe le moteur de sa tondeuse pour nous partager ses réflexions. « Il n’y a que des victimes dans tout ça », ajoute-t-il à son tour, avant de remettre sa tondeuse en marche, faisant fuir la poule qui gambadait sur son terrain.

Louis, un voisin, avoue que tout le monde est un peu gêné par cette histoire. Il espère pour sa part que le conseil municipal change d’avis et maintienne le vélo en place. « Le relocaliser lui ferait perdre son sens. C’est comme si je mettais la pierre tombale de ma mère dans le cimetière voisin », illustre le Calixois dans le portique d’une maison qui a dû affronter au moins cent hivers.

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« Je suis conscient du traumatisme vécu par le chauffeur de tracteur, mais vélo ou pas, il doit y repenser chaque fois qu’il passe devant », ajoute Louis.

Donner un sens à son accident

Je reprends le chemin de la mairie, où Camille Thibault se recueille en silence devant le vélo fantôme. Ça lui fait du bien, admet-elle. « C’est l’endroit où mon conjoint a passé les derniers moments de sa vie, c’est sûr que ça a un sens pour moi. C’est un tour de vélo qu’on faisait vraiment souvent ensemble. Aujourd’hui, que ça soit son lieu de décès, c’est sûr que pour moi, c’est pas évident », confie la jeune femme, la gorge nouée.

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La symbolique du vélo blanc est importante pour elle et ses proches. « Pour nous, c’est une façon de rendre hommage à Justin et de donner un sens à son accident, son décès et que la vie continue à faire son petit bout de chemin », croit Camille, d’avis que le déplacement du mémorial lui ferait perdre son sens.

La jeune maman compatit avec le chauffeur du véhicule agricole impliqué et assure ne pas en vouloir à qui que ce soit. « Mais par rapport au vélo blanc, c’est différent… », reconnaît-elle.

En plus d’honorer la mémoire de Justin, la jeune femme souligne que le vélo fantôme contribue aussi à un effort de sensibilisation. « Quand on voit un vélo blanc, peu importe où, comme cycliste, c’est un rappel que la vie est fragile et qu’on n’est pas seul sur la route. Même chose pour les automobilistes, c’est un reminder. »

Entre-temps, elle attend le rapport du coroner, susceptible d’éclaircir un peu les circonstances exactes du décès, sans toutefois s’attendre à des surprises.

Un accident tragique, certes, mais un accident.

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Pour les proches, c’est évidemment plus que ça. « Justin, c’était un jeune papa dévoué envers ses amis, sa famille, qui prenait souvent des nouvelles de ses proches qu’il aimait profondément. Il avait des convictions qui lui tenaient à cœur. Son chien, sa famille, le vélo, le triathlon. Il vivait pour ses passions », louange Camille.

Justin aimait aider son prochain et travaillait au CHU Sainte-Justine, un emploi qu’il adorait.

Âgé d’à peine 2 ans, Édouard, le fils du couple, n’aura malheureusement pas eu le temps de connaître ce gentil géant au cœur d’or. « Je ne sais pas sa compréhension sur l’accident. Quand on lui montre une photo, il dit papa. Dimanche, il regardait les fleurs, le monde présent à la cérémonie, et je crois qu’il ressentait la peine des gens… »

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«Je me dis tout le temps que Justin aurait fait comme moi »

Alexandre Rolland-Déry était le meilleur ami de Justin. Celui-ci vient de lancer une pétition visant à maintenir le vélo fantôme à son emplacement.

« Je me dis tout le temps que Justin aurait fait comme moi. C’est ce qui me pousse à agir. Il avait un grand sentiment de justice et se serait mis en action pour réparer ça », souligne ce médecin de famille qui a côtoyé Justin pendant 15 ans. Un privilège, à l’entendre. « Je l’ai connu au secondaire, on a vécu plein de moments importants ensemble. J’étais là quand il m’a présenté sa fiancée et à la naissance de son fils », souligne Alexandre, bien conscient du poids symbolique du vélo blanc. « Le gars impliqué dans l’accident va s’en rappeler tous les jours, avec ou sans vélo. Mais pour les autres, ça aide à se rappeler de Justin. C’est un message de paix et d’espoir pour éviter que d’autres gens vivent de tels drames. »

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Alexandre ajoute que ça peut également encourager les véhicules à ralentir et à bien vérifier leurs angles morts au tronçon où est survenu l’accident.

Il n’en veut pas au village, peu habitué à recevoir une telle attention médiatique. Il espère simplement que sa pétition et la pression du public pèsent dans la balance lorsque la question sera à nouveau débattue pendant le prochain conseil municipal.

La peur de créer un précédent

« Le vélo blanc, ça met un petit plaster sur la blessure. Ça donne un sens à cette mort-là », assure pour sa part Sophie Lavoie, porte-parole du collectif Souliers et vélos fantômes Québec.

Depuis sa fondation, l’organisme a installé 32 vélos fantômes à travers la province, sans jamais se heurter à la résistance d’une municipalité.

« J’espère qu’il (le vélo) va rester là un bon moment, parce que ça pourrait créer un précédent. On ne veut pas que ça donne envie à d’autres municipalités de faire pareil », redoute la porte-parole.

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Elle affirme que les vélos contribuent parfois à donner un sens politique aux accidents. « Et ça, c’est sans compter la sensibilisation sur les lieux où la personne a perdu la vie. On n’a pas vu le rapport du coroner, mais sur place, dimanche, on s’est rendu compte que l’état de la chaussée (en gravelle) peut s’avérer très dangereux pour un cycliste », explique Sophie Lavoie.

S’il n’est ici pas question de négligence, les vélos fantômes peuvent interpeller les autorités quant à l’importance d’améliorer des tronçons problématiques.

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La porte-parole profite aussi de l’occasion pour sensibiliser la population aux dangers entourant le partage de la route avec des véhicules agricoles, dont la visibilité est souvent réduite.

Enfin, le collectif dénonce l’absence de dialogue avec la municipalité afin de dénouer l’impasse.

Au moment de mettre sous presse, Daniel Plouffe, le maire de Calixa-Lavallée m’a écrit pour m’assurer d’un suivi « dès que nous aurons un retour du côté de Souliers et vélos fantômes». Ce dernier trouve dommage que beaucoup d’informations fausses aient été véhiculées sur la place publique et assure que la décision du conseil sera prise dans le respect de toutes les personnes concernées.

En terminant cet article, j’ai au moins une certitude : peu importe ce qui adviendra du vélo fantôme, il n’y a ni bon ni méchant dans cette histoire.

Juste des gens, qui tentent de donner du sens à quelque chose qui n’en a pas.

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