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5 types de figurants croisés sur les plateaux

Et... action! (ou pas)

Par
Jeremy Hervieux
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Il y avait une fille à mon école secondaire qui faisait de la figuration, et on l’appelait la « vedette ». Ce n’était pas ironique, on le pensait vraiment. À part elle, personne à notre école n’avait eu la chance d’avoir son image captée et diffusée massivement (sauf cette autre fille qui s’était ramassée sur Google Street View alors qu’elle fumait sa tope en pyjama à côté d’un char de police.)

Bref, quand je voyais mon amie figurante passer entre deux personnages de 30 vies, je mettais le terminal Illico sur pause et j’observais sa figure floue en me disant : Bon sang, cette fille est la personne la plus chanceuse du monde. Et quand je la voyais sur scène pendant les cours d’art dram, je trouvais que ça paraissait qu’elle avait de l’expérience d’actrice, qu’elle avait côtoyé les grands.

C’est incroyablement simple de devenir figurant : suffit de remplir deux ou trois formulaires sur les bons sites.

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Le jour où je lui ai demandé comment elle était devenue figurante, elle m’a répondu d’un vague : « Euh c’t’à cause de mon agence ». Le message était clair : la figuration, c’est un emploi mythique auquel seuls quelques heureux élus ont accès.

J’avais tout faux. Beaucoup plus tard, j’ai compris que c’était incroyablement simple de devenir figurant : suffit de remplir deux ou trois formulaires sur les bons sites.

En enchainant les tournages, j’ai eu la surprise de constater qu’il existait à Montréal un noyau dur de figurants, des vétérans de la profession qui se saluent entre eux avec un léger hochement de tête et un sourire tendre, comme des retraités qui se croisent à la marina, tellement habitués qu’ils ne prennent même plus la peine de passer des commentaires sur les costumes qu’ils ont sur le dos.

Outre ce groupe de vétérans, j’ai réalisé qu’il existait cinq types bien distincts de figurants, et c’est à travers ce prisme que j’ai eu envie de parler de ce beau métier.

LES CINQ TYPES DE FIGURANTS

D’abord, il y a le figurant groupie, qui est là pour le glam. Il sera déçu d’apprendre qu’il n’a pas le droit de parler aux acteurs, mais il s’émerveillera de pouvoir luncher en leur présence. Au moment de se servir au buffet, le figurant groupie ne va pas en revenir d’utiliser les mêmes cuillères en métal que les comédiens. Ce figurant va regarder Naomi Watts hésiter entre un pavé de saumon et une salade d’orzo et il va s’en rappeler toute sa vie. S’il est assez courageux, il osera même lui chuchoter : « Gosh, Naomi, everything looks so yummy, doesn’t it?! »

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Il y a aussi le figurant qui en a vu d’autres, celui qui est tout fier de dire : « Moi ça m’impressionne pu, ces affaires-là » quand Jennifer Lawrence passe à côté de lui. Habituellement, il reste assis à l’écart afin d’éviter de se faire convoquer sur le plateau. Son but est de revenir de sa journée de tournage et de pouvoir dire à ses amis : « Yo j’ai été payé 180$ pour rien crisser!!! »

Au moment de se servir au buffet, le figurant groupie ne va pas en revenir d’utiliser les mêmes cuillères en métal que les comédiens. Ce figurant va regarder Naomi Watts hésiter entre un pavé de saumon et une salade d’orzo et il va s’en rappeler toute sa vie.

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Puis il y a le figurant opportuniste, celui qui s’arrange toujours pour être vu par les caméras. Quand la costumière demande quelque chose comme : « On aurait besoin de quelqu’un qui chausse du 12 », les figurants opportunistes se lèvent de leur chaise en criant « MOI! » même s’ils portent du 9, parce qu’ils sont prêts à tout dans l’espoir d’obtenir un upgrade, c’est-à-dire être promu de « figurant » à « troisième rôle ». Ils ont souvent un quelconque scénario à la main pendant le break de lunch afin de montrer qu’ils sont également comédiens.

Les figurants opportunistes sont au courant de toutes les règles qui encadrent leur métier. Ils savent, par exemple, que si le réalisateur s’adresse directement à eux, ils sont en droit de s’attendre à une augmentation de salaire (car ce n’est jamais le réalisateur lui-même qui donne des instructions aux figurants).

Souvent, le figurant opportuniste est convaincu qu’il n’a pas été rémunéré à sa juste valeur. Une telle figurante m’a déjà raconté: « L’autre jour j’faisais une serveuse, pis Louise Portal me regardait direct dans les yeux pour me dire merci quand j’lui apportais son café, donc techniquement j’devrais être payée plus cher qu’une figurante normale, parce que mon personnage avait une complicité avec celui de Louise Portal. » Elle avait marqué une pause, puis avait répété: « J’avais une complicité d’actrice avec Louise Portal! »

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Le figurant créatif, c’est celui qui a plein de « bonnes idées ». Une fois, alors qu’on filmait dans un bar, un figurant créatif m’a dit : « Quand la caméra va passer à côté de moi, j’vas souffler ma boucane de cigarette sur la lentille, ça va faire un bel effet de fumée! » (L’équipe de tournage a rapidement mis un frein à ses ambitions artistiques.)

Une autre fois, toujours dans un bar, un figurant créatif m’a suggéré : « Si on se colle ensemble un peu, pis qu’on montre qu’on est game de se toucher, peut-être que le réalisateur va nous demander de nous frencher! » Le truc, c’est qu’un figurant est payé plus cher si la production lui demande d’embrasser quelqu’un d’autre (ce qui était arrivé à plusieurs reprises sur ce plateau-là). Ce figurant et moi avions alors appuyé nos pelvis l’un contre l’autre dans l’attente d’une augmentation salariale qui n’est jamais venue. Il y avait peut-être un peu d’opportunisme chez cet individu.

La plupart des figurants d’expérience savent qu’il ne sert à rien de se présenter sur un plateau avec l’espoir de lancer sa carrière.

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Pour finir, il y a le figurant rêveur. C’est celui qui s’attend à devenir connu. C’est une naïveté parfaitement normale: la plupart d’entre nous passent par là. Contrairement au figurant opportuniste, le figurant rêveur n’essaie pas de déjouer le système : il est convaincu que ça va arriver d’une façon ou d’une autre.

Bien sûr, il y a des contes de fées, des histoires de figurants qui se font miraculeusement offrir un rôle une fois sur le plateau, mais les Mathieu Baron de ce monde se comptent sur les doigts d’une main.

Quand je me suis présenté à ma première journée de tournage, une partie refoulée de moi s’attendait à ce qu’il m’arrive quelque chose d’extraordinaire : j’allais me faire remarquer sans trop le vouloir, j’allais percer malgré moi. J’ai déchanté au moment précis où j’ai vu les barres tendres qu’on avait disposées sur la table des collations pour les figurants. C’était des belles barres tendres, probablement très nourrissantes et fibreuses, mais elles ont quand même eu pour effet de me ramener les deux pieds sur Terre et de me rappeler que nous vivons dans un monde où les contes de fées sont rares (les collations en général me font cet effet-là).

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La plupart des figurants d’expérience savent qu’il ne sert à rien de se présenter sur un plateau avec l’espoir de lancer sa carrière. S’ils sont là, c’est parce qu’ils aiment observer la dynamique d’un tournage, ou encore, s’ils sont comme moi, parce qu’ils trouvent ça émouvant de regarder un bac à DVD en rabais au Wal-Mart et de pouvoir se dire : « Je suis quelque part là-dedans; j’ai laissé une petite trace sur le monde; j’ai fait un clin d’œil à l’univers. »