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Il n’y a rien de pire que de magasiner
J’haïs magasiner.
Si j’appelais à Info-Santé et qu’ils me demandaient d’évaluer sur une échelle de 10 mon niveau de douleur quand je magasine, je le mettrais à 8. Genre, je ne suis pas mourante, mais j’agonise quand même.
Je suis convaincue de ne pas être la seule à vivre ça comme ça, or, on dirait que ça fait partie des choses qu’on n’est pas vraiment censé dire. Ne pas aimer magasiner, c’est suspect.
À chaque changement de saison, on doit tous se diriger gaiement bras dessus bras dessous dans des boutiques climatisées qui sentent bon afin d’acheter dans une parfaite plénitude des bouts de tissus cousus ensemble qui nous garantiront d’être la personne la plus populaire du monde cet été. MAIS C’EST UNE CONSPIRATION. Magasiner, c’est chiant.
- Parce que ça gratte
D’abord, j’évalue qu’environ 50 % des vêtements destinés aux femmes sont à la base conçus pour être inconfortables. Ils sont soit trop ajustés, ou trop échancrés, ou trop courts, ou trop texturés, ou toutes ces options en même temps. Ensuite, un autre 40 % ne tombe bien que sur un type de corps précis, et si le tien ne fit pas avec la mode en cours, tant pis pour toi. C’est ton corps qui doit s’adapter au vêtement, pas l’inverse.
J’haïs aussi ça parce que nos vêtements ont une grande portée symbolique et qu’ils proclament insidieusement notre place dans la hiérarchie sociale sans qu’on ait besoin de la verbaliser. Ils crient pour nous : « voici ma classe, voici mon statut! »
Selon mes calculs, donc, pour trouver LE morceau qui convient, il me faut en essayer 9 autres avant qui ne marche pas du tout. Et il n’y a pas de miroir dans la cabine et le chandail a des traces de désodorisant et je ne peux pas porter ça sans brassière et ça gratte et mes cheveux sont en statique.
- Parce que j’aime encore mon vieux linge
Magasiner, ça coûte cher pour rien. Chaque saison, c’est la même histoire : j’ai plein de vêtements encore en parfait état dans ma garde-robe. Mais ils datent d’une autre ère vestimentaire (l’été 2016), et si je les porte en cette nouvelle ère (l’été 2017), j’ai l’air de la chienne à Jacques. Je ne me sens franchement pas cool à côté de ceux qui se sont renouvelés. Et je veux avoir l’air cool moi aussi. Je veux faire partie de la gang. Aimez-moi.
Mais je les trouve encore nice, moi, mes jeans bootcut taille-basse. Pourquoi vous ne les aimez plus, vous?
- Parce que je me sens coupable
Dès que j’achète un nouveau morceau de linge à petit prix – ce qui me permet d’amoindrir mon impression de jeter par les fenêtres mon argent de millennial occidentale – je sais que je participe à un système qui exploite des femmes dans des situations précaires ailleurs dans le monde. Et en plus, je pollue.
Et ces réflexions, alors que je magasine, me font perdre beaucoup du plaisir initial de la consommation. J’ai la consommation triste.
Acheter du linge alors que j’en ai déjà est probablement le geste que je fais qui incarne le mieux l’essence du capitalisme. Je me sens comme si j’étais une citoyenne du Capitole dans Hunger games qui se fait vomir dans les banquets lorsqu’elle arrive à satiété pour s’empiffrer à nouveau de nourriture. Et ces réflexions, alors que je magasine, me font perdre beaucoup du plaisir initial de la consommation. J’ai la consommation triste.
- Parce que les vêtements, c’est politique
J’haïs aussi ça parce que nos vêtements ont une grande portée symbolique et qu’ils proclament insidieusement notre place dans la hiérarchie sociale sans qu’on ait besoin de la verbaliser. Ils crient pour nous : « voici ma classe, voici mon statut! »
De plus, quand tu es une femme, il y a énormément de pression qui s’ajoute à ça parce que ton corps est lui-même politique et il est donc soumis à toutes sortes de règles dont tu dois te rappeler quand tu magasine. Il faut trouver le moyen de plaire, tout ne se préoccupant pas de l’avis des autres, tout en attirant les regards, tout en ne cherchant pas à attirer les regards, tout en se dévoilant, tout en se cachant, tout en calculant de savants agencements, tout en ayant l’air au-dessus de ça.
Je ne sais pas pour vous, mais moi, ça me demande énormément de jus de cerveau que je pourrais consacrer à la place à des activités que je préfère faire, comme écouter Netflix.
- Parce que je suis faible
Finalement, j’haïs magasiner, parce que malgré la certitude que j’ai de bonnes raisons de ne pas aimer ça, je le fais quand même.
Je finis quand même par trouver deux ou trois boutiques qui me plaisent et je finis quand même par être fière de moi quand je fais un bon achat.
Je suis faible, et la joie que me procure le sentiment de me conformer aux attentes esthétiques de ma société tout en me faisait croire que « je le fais pour moi »…« parce que je le vaux bien » (TM L’Oréal) annule au moins en partie mon désagrément.
Donc oui, je vais continuer à magasiner. Mais parce que le rythme infernal des cycles de la mode n’a quand même pas d’allure (et parce que c’est une conspiration), je vais aussi continuer à chialer.
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