Le Festival TransAmériques, festival de danse et de théâtre qui présente des productions en provenance du Québec et, comme son nom l’indique, du reste de l’Amérique, s’est amorcé le 22 mai dernier.
Dans la programmation, on retrouve le spectacle GENDERF*CKER de la jeune actrice trans Pascale Drevillon. Dans sa pièce, présentée du 31 mai au 3 juin à l’Espace danse, elle propose de « faire exploser notre vision du monde binaire » et ça, ça nous parle.
Ce n’est pas un spectacle autobiographique de l’artiste, mais plutôt une exploration du genre humain qui est plus multiple que l’on pourrait le croire.
On a donc voulu savoir quelle musique accompagnait Pascale dans sa propre identité, unique, comme de celle de chaque individu.
5 questions
Qu’est-ce que tu penses de l’idée des « genres musicaux »?
Il y a tellement de termes aujourd’hui pour parler de musique (des classiques historiques jusqu’à toutes les nouveautés électro), sans compter les fusions et mélanges en tous genres. Je pense que ça peut nous aider de créer des catégories, mais c’est encore mieux quand un morceau est simplement actuel, sensible et inclassable! Les genres musicaux aident peut-être les algorithmes à nous faire de meilleures suggestions… mais quand on aime un peu de tout, on se fie d’abord à son oreille, pas à une étiquette.
Quelle place occupe la musique dans ta pièce GENDERF*CKER? Est-ce que tu as participé à l’univers sonore?
La musique est primordiale dans le show. Je dis très peu de mots, c’est une performance qui ressemblerait presque à de la danse. Les mots qu’on entend sont ceux d’autres artistes LGBT, queers ou allié.e.s, et la musique provient de plusieurs sphères de ma vie. Il y a Marilyn Manson et sa folie androgyne, sa rage de vivre, son besoin de se faire entendre; il y a Maria Callas et sa voix de cristal, pure et absolument féminine; il y a aussi du Massive Attack et du Boy Harsher, avec des sons synthétiques, du rythme aliénant et juste assez d’attitude pour me faire bouger et réagir de tout mon corps. J’ai aussi eu la chance de collaborer avec Bibi Club (Adèle Trottier-Rivard et Nicolas Basque) pour le thème d’ouverture du spectacle, un morceau atmosphérique qui se déploie dans l’espace pour les 20 premières minutes de la représentation.
Qu’est-ce que tu trouves le plus difficile dans l’univers culturel québécois par rapport à l’identité de genre?
Je pense que le manque d’imagination et d’originalité est ce qui m’embête le plus. On passe à côté de grandes conversations, de celles qui vont en profondeur et qui remettent tout en question – pour refaire le monde et le rendre plus coloré! Je comprends bien sûr que ce soit une idée relativement nouvelle pour certaines personnes, mais il ne faut pas non plus prendre les Québécois pour des imbéciles. On ne comprend pas mieux la diversité des identités de genre en me demandant si « j’ai toujours su que j’étais une fille »… C’est un immense cliché qui ne représente pas toutes les femmes trans. On a encore un peu trop tendance à tomber dans le piège de l’histoire unique – croire qu’une seule histoire d’une seule personne représente la majorité des réalités. C’est exactement à l’opposé des identités queers et non-binaires, entre autres, qui existent partout autour de nous, avec un peu d’hommes, un peu de femmes, et surtout avec une beauté complexe qui mérite qu’on s’y attarde.
Est-ce qu’il y a un ou une artiste trans qui est iconique pour toi?
Il y en a tellement que j’idolâtre depuis si longtemps! Zackary Drucker, Kate Bornstein, Amanda Lepore… Juste dans ces trois artistes, il y a une diversité incroyable. Leur point commun est d’ouvrir nos esprits. Amanda est un plaisir visuel presque douloureux, une vraie showgirl comme il ne s’en fait plus… C’est sans doute la première que j’ai connue, à 17 ans. Ça a changé toute ma vision de la féminité et de son côté performatif. Zackary et Kate ont quant à elles créé leur beauté grâce à leurs mots et leurs paroles fortes, franches et nuancées. À découvrir!
Est-ce que tu écoutes de la musique avant d’entrer sur scène ou en processus de création?
Je passe ma vie à écouter de la musique (en ce moment même, Sterling Grove ft. Monsoonsiren – Parallel Lines)… Je me prépare mentalement à perdre l’ouïe d’ici mes 70 ans tellement mes écouteurs sont greffés à mes oreilles. Pourtant, le théâtre, qui est mon métier, appelle en moi un sérieux presque religieux, un côté sacré qui (la plupart du temps) m’encourage à profiter du silence le plus total possible. De la paix, de la tranquillité, du silence et des lumières tamisées, en complète opposition avec celles qui seront éblouissantes sur scène l’heure d’après. Je suis toujours surprise des acteurs qui mettent de la musique à tue-tête dans les loges avant un show. Je me prends beaucoup trop au sérieux… et je m’assume!
5 chansons
5 chansons qui ont accompagné ta quête identitaire.
Voici en ordre chronologique mes découvertes…
Enigma – Gravity of Love
J’ai 14 ans et je sens que je ne suis pas exactement le jeune garçon gai que je croyais être. Je suis gothique, new age et trop spirituel, alors j’écoute du Enigma avec ma meilleure amie. Internet vient d’arriver dans nos vies et je découvre le vidéoclip de Gravity of Love, une histoire de bal masqué. Je tombe en amour avec toutes les femmes du clip, leurs robes, leur peau, leur sensualité… pas parce que je les désire, mais parce que je désire être elles.
Marilyn Manson – Long Hard Road Out of Hell
Immense révélation à 15 ans… Il existe toutes sortes d’hommes et de femmes qui expriment leur genre de manière non conventionnelle? *Explosion de cerveau* Une immense bombe dans ma vie ce Monsieur Manson. Il m’inspire à plonger dans le maquillage et l’extravagance, il me donne le droit d’explorer ma noirceur et ma souffrance. Ça me fait un bien fou.
A Perfect Circle – Weak and Powerless
Un jour au (feu) HMV, je tombe par hasard sur la pochette de l’album Thirteenth Step et j’adore la grosse limace jaune qui rampe sur le visage d’une femme mystérieuse. Coup de cœur pour toute l’imagerie et pour l’immense mélancolie de cet album, sorti de l’esprit tordu du créateur de Tool. Le clip de Weak and Powerless me fascine, avec cette femme à la peau pâle et son ventre comme une plaie béante.
Hedwig and the Angry Inch – Origin of Love
L’un de mes premiers vrais contacts avec les identités trans et non-binaires a lieu dans le salon de mon amie, une fin de semaine en secondaire 4, devant la télé avec sa famille. Je ne suis pas du genre « comédie musicale », mais presque chaque chanson de ce film me touche sincèrement. Au-delà du tragi-comique, il y a une authenticité et une réelle quête identitaire chez Hedwig qui me rejoint encore aujourd’hui.
Metric – Dead Disco
Découverte montréalaise, pour moi qui ai trop tendance à idéaliser les Américains (cette période est bien finie, promis!). J’ai 17 ans et je viens voir Metric dans la grande ville! J’étudie en théâtre à Lionel-Groulx et je sors de ma zone de confiance, toute seule pour voir ce band assez inconnu à l’époque. J’adore Emily Haines, une autre femme que je rêve d’être. Vilain tour du destin, je rate le dernier bus et je passe la nuit dans un hôtel ultra-miteux, rue Sainte-Catherine, avec odeur de cigarette et draps graisseux en prime. Une grande aventure qui me donnera le courage l’année suivante de tout laisser tomber et de déménager en ville, puis de switcher de garde-robe et de mettre mes rêves à exécution.