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5 paradigmes des filles dans la vingtaine

Par
Catherine Chabot
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La vingtaine est le lieu de tribulations multiples. Je pense que ceux qui y survivent rencontrent les mêmes écueils, les mêmes espoirs, les mêmes désenchantements. Sur mes sept ans passés en son sein, je n’ai pas l’impression que le monde devient meilleur, je n’ai pas l’impression que je le deviens non plus, je suis juste plus lucide.

Voici donc les 5 paradigmes des filles dans la vingtaine:

1. Carpe diem sur un t-shirt

Ce qui est problématique pour les filles dans la vingtaine, c’est qu’on sait que c’est la fin du monde. Le discours du jugement dernier est reconduit par les religions depuis des millénaires, sauf que ce qui est plus plate en notre ère, c’est la possibilité d’y assister concrètement. On sait qu’on va mourir dès notre mise au monde, mais le fait que la planète aussi s’éteindra assez bientôt, ça implique une double finitude et ça, ÇA, c’est beaucoup d’anxiété à gérer.

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Notre lucidité est exacerbée par les médias qui relaient les différentes crises et nous donnent accès à toutes les étapes de l’effondrement. Inconsciemment, la fin du monde finit par se profiler dans nos actions, nos pensées, nos existences en créant du yolo pis du carpe diem (Ardène profite de cette angoisse pour vendre des t-shirts).

Cette légère déprime qui en latence soutient le cours de nos jours, peut nous guider vers divers anxiolytiques efficaces comme le sexe, l’alcool et la drogue, et eux à leur tour d’alimenter un mal de tête, un mal de vivre, un mal à notre planète. Faque on s’autodétruit un peu, on devient des Marie-Stone qui veulent vivre, vivre encore, parce que la vie ça s’évapore, parce qu’on souffre de la vanité de notre propre existence dans un monde qui est en train d’en finir avec lui-même.

2. La-po-li-tique! 1-2 / 1-2-3! On-s’en-ca-lisse!

La vingtaine est le lieu de l’aménagement de l’esprit. On affirme une identité, on se constitue une posture existentielle et on se fixe sur quelques concepts qu’on a trouvés pas pire en philo 3. La plupart d’entre nous sont apolitiques par choix, parce qu’on sait que ça sert plus à rien de voter parce que de toute façon on est pogné dans des logiques économiques mondiales qu’on peut pas défaire par référendum, parce que les deux tentatives de sortir de notre stand-by national ont échoué pis que la ferveur pour le pays a étouffé son dernier cri.

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Y’en a d’autres pour qui c’est pas tant par choix que par paresse intellectuelle, parce que les conditions de leur existence ne sont pas mises à l’épreuve parce que leur statut d’enfant-roi leur confère le confort, donc l’indifférence totale face à ce qui se passe ailleurs.

Et puis, y’a surtout celles qui ont vu leur lyrisme politique fondre sous le soleil d’un certain printemps 2012, comme si l’écho des slogans ne relevait dorénavant que du folklore.

3. Dupes de l’espèce

Les filles dans la vingtaine doivent explorer les possibles. Elles ne veulent pas s’engager/commencer une série sur Netflix avec quelqu’un, parce que préserver son diamant pour une seule personne, ça relève de la sottise suprême. On sait que l’amour est liquide, que son concept même a été décapité par Tinder.

Notre sexualité est fluide, mouvante : on se verrait toutes sortir avec une fille (parce qu’on a toutes déjà couché avec une fille). Pis on est comme triste parce qu’on ne se courtise plus, parce que c’est rapide et qu’on balaie à gauche parce que son selfie nous dévoile un tribal sur l’avant-bras. On sait aussi qu’on s’en remet à ça, parce que de toute façon pour citer Musset : “Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées”, pis qu’on sait que tout le monde trompe tout le monde tout le temps.

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Parce que l’amour, ça fait aussi peur que la mort, mais l’amour avec nos orgasmes, nos bulles de bave pis nos moments tendres, ça cache la fin, que tout finit toujours par finir. Mais on pourrait se dire au fond d’arrêter de capoter, parce qu’en dernière instance, c’est la nature qui crée l’illusion de l’amour pour poursuivre l’espèce et répondre bassement à l’instinct.

4. Lente adolescence

Les filles dans la vingtaine sont en proie à une sorte d’errance. Elles ont le luxe de réfléchir au sens de la vie, de se questionner sur leur identité, de se chercher esthétiquement (elles passent par des phases gothique/skateuse/hippie), de faire du tourisme pour changer les paradigmes de leur déprime ou de faire dans l’humanitaire pour faire plus de sens et inconsciemment reconduire le principe colonisateur.

De voir un psy pour pas reproduire les handicaps familiaux, de boire des cafés chers parce qu’elles n’ont pas encore d’enfants, de se coucher saoules deux-trois fois par semaine parce qu’elles n’en mesurent pas encore les conséquences, de se payer des études dans lesquelles elles ne vont pas nécessairement s’émanciper d’être prises dans le vortex de la précarité pis de trouver ça correct, d’angoisser sur cette grosse masse noire et informe qu’est l’avenir, d’en paralyser pis de meubler le chaos intérieur en s’enlignant des toppes, de dépenser toute leur argent de poche, pis de se dire, yooo c’est chill man!

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5. Féministes FÉMINISME, subst. masc.

Mouvement social qui a pour objet l’émancipation de la femme, l’extension de ses droits en vue d’égaliser son statut avec celui de l’homme, en particulier dans le domaine juridique, politique, économique; doctrine, idéologie correspondante. Comprendre ici que ça ne veut PAS dire : excès pileux, excès de colère, excès de langage (à mort les hommes!). Celles qui le sont, se retrouvent quelque part là dedans : égalitaires, réformistes, radicales, matérialistes, anarchistes, de la spécificité, de la fémelléité, différentialistes, culturalistes, gynocentristes, essentialistes, post-modernes, queer et individualistes. Celles qui ne le sont pas sont ben smattes, mais elles ne doivent pas savoir ce que ça veut dire : la grosse base.

*** Note de l’auteure : Ce texte reflète la pensée du collectif Chiennes, constitué de Vicky Bertrand, Marie-Anick Blais, Rose-Anne Déry, Catherine Chabot, Sarah Laurendeau, Marie-Noëlle Voisin et Brigitte Poupart. L’utilisation du terme “les filles dans la vingtaine” fait évidemment référence aux occidentales de la classe moyenne, moyenne élevée, dans le contexte historique, géographique et politique précis du Québec.

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*** Catherine Chabot est coauteure, avec Brigitte Poupart et le collectif Chiennes de la pièce de théâtre Table rase qui est présentée jusqu’au 5 décembre au Théâtre Espace Libre.

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