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5 artistes qui ont poussé l’échantillonnage plus loin.

Le «sampling» est un art en soi.

Par
Guillaume Mansour
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Au-delà des accords, des mélodies et des gammes, au-delà des instruments, des couplets et des refrains, la musique peut aussi s’ancrer dans cette pratique encore plus ou moins moderne que l’on appelle affectueusement « l’échantillonnage ». Même si emprunter des sons ne date pas d’hier (la musique concrète, ça vous dit quelque chose?), le phénomène ne cesse de surprendre. Nos chansons préférées actuelles remettent en scène, dans des contextes différents, les chansons préférées de nos frères et sœurs, nos parents, nos grands-parents ou même nos ancêtres.

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Un des maîtres en la matière, William Basinsky, est notamment connu pour avoir enregistré la mort de sa propre musique en échantillonnant des extraits de vieilles expérimentations sonores en train de se défraîchir dans un magnétophone pas très conciliant. Ses œuvres ont su brasser un peu les affaires en donnant un nouveau sens au concept de « sample », mais rien ne nous prépare à ce que prépare le New Yorkais. On a appris cette semaine qu’un nouvel album est en route et qu’il contient, supposément, le son de trous noirs en train de fusionner, rien de moins. J’entends les poils de 2 ou 3 fans d’astronomie se dresser sur leurs bras en lisant cette alléchante nouvelle. De notre côté, c’est le fan de samples exubérants en nous qui s’émoustille. La nouvelle nous a donné l’idée de partager quelques échantillons pas piqués des vers du tout.

John Lennon et Yoko Ono — Pulsation d’un cœur fragile

Le premier exemple fesse quand même fort et touche à une grosse corde sensible, on préfère vous en avertir. En 1968, Yoko Ono, quand même pas mal enceinte, prend la direction des urgences après des complications. Elle apprend sur la civière que la vie de sa progéniture est en danger. Avec John à son chevet, l’idée vient d’enregistrer les battements de cœur du petit. Malgré la fausse couche qui s’en est suivie, le couple aura immortalisé la trace de l’enfant en gravant à jamais sa pulsation cardiaque sur l’album Life With The Lions, sorti l’année suivante. L’échantillon est suivi de quelques minutes de silence. C’est un exercice radical, pas tout à fait bien reçu ni du public ni des critiques; une œuvre qui pourtant semble si vitale après les décennies qui nous éloignent de sa sortie originale.

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Matmos — Couper sur le gras.

S’il fallait asseoir quelqu’un sur le trône de l’échantillonnage, Matmos serait un candidat de choix. Des samples, en veux-tu, en v’là. Derrière le pseudonyme se cache un autre couple composé de Martin Schmidt et Drew Daniels. Armés de micros, ils sont prêts à tout capturer pour fabriquer d’hallucinants albums galvaudés par des idées fantastiques. Sur The Rose Has Teeth in the Mouth of a Beast, on peut entendre, entre autres, les bruits de roses, de dents (ok… quand même évident), de vaches, d’oies, d’escargots, alouette. Dans la catégorie « toffer son concept jusqu’au boutte », le duo fait preuve d’une inventivité inépuisable avec A Chance to Cut Is a Chance to Cure, album enregistré de A à Z dans des salles d’opération, utilisant à bon escient chaque petit son produit par diverses chirurgies. Jamais une liposuccion n’aura autant donné le goût de trémousser ses hanches.

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Tori Amos — Prendre le taureau par les cornes

Même quand la musique fait pop, rien n’empêche ses samples de provenir des plus abjectes situations. Tori Amos a toujours été fougueuse, tout en s’attirant cahin-caha l’amour d’un vaste public. Sur ses premiers albums, une certaine irrévérence domine. L’artiste est allée elle-même capter la douce mélodie de taureaux en train d’évacuer, puis les fracas de fermiers pelletant vigoureusement les selles, pour inclure en catimini ses trouvailles au creux du backbeat de Professional Widow. Un peu comme la subtile odeur de fumier pendant une ballade en auto dans les rangs de campagne, l’échantillon rend légèrement inconfortable, mais donne un certain kick de vivre.

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Matthew Herbert — Le sample politique

En 2013, un climat politique tendu en Libye culmine jusqu’à ce que les bombes explosent dans les rues. Une vidéo virale de 5 secondes enregistrée avec un cellulaire capte sur le vif un avion dégainant les armes dans un quartier résidentiel. Déjà en 2013, le concept d’instantanéité des nouvelles à l’ère des réseaux sociaux était un sujet sensible. Matthew Herbert, artiste phare du house expérimental, déjà pro des samples, décide d’utiliser le pouvoir de l’échantillonnage pour faire réfléchir. Les menues 5 secondes du vidéo sont distordues, étirées, triturées, jusqu’à devenir un album de presque une heure. Une méditation sur le concept du drame et du temps que nous passons, en tant que spectateurs, à le digérer et à passer à autre chose. Comme quoi les emprunts sonores peuvent arriver à instiguer une certaine forme de conscientisation.

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Et au Québec? Daniel Bélanger — Voyager dans notre histoire

C’est peut-être pas l’exemple le plus vertigineux d’utilisation d’échantillons dans la musique, mais Daniel Bélanger a quand même réussi tout un tour de force en sortant un album tenant dans l’interstice entre le rap et le spoken word et bourré à craquer de samples fabriqués au Québec depuis les années 50. On parle ici de clins d’œil à Donnez-moi des roses d’un Fernand Gignac encore fringuant, de références au Ville-Émard Blues Band, à Muriel Millard, Raymond Berthiaume et à une multitude d’autres artistes semi-oubliés, semi-légendaires, qui s’étiolent tranquillement dans les racoins de notre constellation musicale. En les réunissant tous sur son album-collage, Bélanger réussit à donner une sorte de second souffle à un paquet d’œuvres qui, au final, n’ont pas encore fini de faire rêver.

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