.jpg)
Bon, qu’on se le tienne pour dit, ça ne sera pas un billet larmoyant dans lequel j’essaie de vous convaincre du martyr émotionnel que j’ai vécu aux mains de 1825 jours «pas de blonde», avec les violons, l’éveil du phénix de ses propres cendres et une leçon d’espoir proactive forcée à la fin. Non, malheureusement ça ne sera qu’un de ces typiques textes sentimentalement gris sur une période de ma vie que j’ose considérer comme un petit défi. Veuillez d’ailleurs noter que j’ai pris le temps de mentionner «petit» défi; en tant que blanc, Nord-Américain, hétérosexuel, tout va quand même pour le mieux, et à mon avis les enfants soldats du Congo le prendraient mal si j’affirmais avoir vécu l’enfer sur terre parce que ma vie n’a pas été une comédie romantique avec Catherine Heigl.
Néanmoins, cinq ans tout seul c’est un peu de la merde. Aujourd’hui encore je sais pas trop comment c’est arrivé. J’ai toujours eu de longues périodes de célibat pour de très courtes relations. Première copine à 18 ans, on a été ensemble trois ans, deuxième copine à 24 ans on a été ensemble six mois, troisième copine à 26, on a été ensemble huit mois… et voilà!
Pourtant, j’aime ça être en couple. C’est beaucoup d’intimité à partager avec quelqu’un, laisser tomber les barricades sociales que tu as érigées parce qu’on t’a écoeuré au secondaire, faire confiance, se partager, se mettre à nu (dans tous les sens du terme) et c’est fantastique de réaliser qu’au moins une autre personne sur terre veut vivre ça avec toi. Complicité, moments confortables, avoir des insides de couple qui font rouler les yeux des gens qui attendent impatiemment que vous sortiez de cette phase de votre relation, tempête d’émotions parfois, rupture souvent, mais je crois dur comme fer que rien ne soit jamais vraiment comparable au sentiment de rentrer à la maison sous la neige un soir de décembre avec quelqu’un qui t’aime ou encore d’élaborer un concept de costume d’Halloween à deux en se trouvant super cute nous-mêmes. J’aime ça être en couple, c’est ma chose préférée et bien souvent on a tendance à préférer les choses qui nous arrivent rarement.
Bref, il y a 5 ans j’étais officiellement «de retour sur les étagères», prêt à profiter d’une « brève période de sexe bohème avant de trouver la perle rare », bien loin de me douter que les étagères en question étaient celles d’une boutique de souvenirs Premières Nations peu fréquentée et le sexe bohème une oasis d’eau stagnante peinant à maintenir en vie jusqu’à la prochaine escale mon… Touareg affectif? Bon pour être honnête je me suis un peu enfargé dans ma propre métaphore, le sexe était une déception, voilà ce qu’il y a à savoir.
Vient alors la solitude. L’implacable solitude, opaque comme une colonne de stationnement, peu importe les projets, peu importe les distractions, rien n’en vient à bout. Peu à peu, tu commences à faire les choses par dépit, pour combler quelque chose, combler rien, combler le vide. C’est frustrant la solitude. Tout le monde a l’air tellement heureux. En plus, je suis le roi du mauvais timing, il semblerait que tout le monde autour de moi: amis, famille, étrangers dans le métro, soient casés quand je ne le suis pas, la situation idéale pour bien se sentir comme elephant man qui espionne les piques niques dans un parc en soupirant dans un buisson. À partir d’un moment, tu finis par ne plus tolérer les amoureux, parce qu’ils ne font que te rappeler toutes les choses que tu voudrais.
Par vague tu essaies de t’en sortir, petit boost d’espoir spontané, tu te dis «Hey! J’ai un ami qui a rencontré sur un site de rencontres, peut être que…» ou encore «Hey! Tinder, tout le monde parle que de ça, ça doit être la clef des relations interpersonnelles à notre époque!». Tu t’essaies, tu fais des compromis, tu te sélectionnes un humain dans le catalogue qui s’apparente le plus à ta fantaisie floue, tu la rencontres chez Tim Hortons, elle t’ennuie… Tu te fais poser un lapin… Ta photo avait un angle plus avantageux que ta face… Tu rentres à la maison, finalement tu décroches parce que le site commence à te faire pression comme un shylock pour que tu accèdes aux «privilèges des membres», et tu as encore suffisamment d’estime pour te rappeler que tu peux ne pas avoir de rendez-vous avec des filles hors de ta ligue tout à fait gratuitement.
Affamé tu demande conseil.
-Comment vous vous êtes rencontrés vous?
-Ah, c’était un coup de chance, on avait mélangé nos manteaux au party de (anecdote sonnant vraiment plus cute aux yeux de la personne qui la raconte).
Alors tu commences à essayer de créer ta propre chance, aller aléatoirement dans des endroits, les clubs, les bars, les raves. Tu réalises que la musique est trop forte et que tu sais pas danser. Tu réalises que des gens rencontrés dans un endroit préfabriqué pour avoir le moins de conversations possible ne sont peut-être pas les meilleures cartes à piger dans le deck du magicien de la rencontre inespérée.
Tu te fâches. Tu vas te coucher fâché. Tu te lèves fâché. Tu commences à te trouver difforme et monstrueux. Tu cries la face dans un oreiller, tu te trouves un peu ridicule de le faire pour une raison aussi stupide qu’«être tout seul», mais tu le fait quand même, tu t’endors fatigué de tristesse.
Un jour tu tombes sur une mauvaise personne, quelqu’un qui voit l’attention que tu as à donner et décide de se servir sans retour. Tu te dis que c’est normal, à la limite que c’est pas correct, mais mieux que rien, tu te brises le dents.
Tu réalises que ça fait quatre ans que tu es célibataire, tu te trouves un peu pitoyable.
Un jour tu te lèves et il fait beau dehors. Étrangement tu es motivé, productif, bien avec toi-même. Tu as une rage d’être toi-même. Rien à foutre de quoi que ce soit, tu es toi même, c’est la personne que tu aimes le plus. Les gens te trouvent rayonnant, c’est dépaysant, on te demande ce qui se passe.
-T’as l’air bien! As-tu rencontré quelqu’un?
-Nonon, j’ai plein de travail et j’ai pas le temps en ce moment, mais merci!
Tu te redécouvres, tu te remets à lire des livres, aller au cinéma, courir juste parce que tu t’es rappelé à quel point tu trouves ça beau quand les feuilles d’octobre donnent l’impression que la forêt est en feu. Tu aimes ta vie.
Vient un point où tu es tellement bien que les gens viennent naturellement te parler, ils sont curieux. Pourquoi il va bien comme ça lui? Tu leur parles de ce qui te passionne, tu es contagieux de toi-même. Quelqu’un t’attrape, s’invente une excuse pour te voir, vous vous frenchez, tu te souviens à quel point c’était ta partie préférée du processus. Tu fais attention, tu t’es fait avoir dans le passé, ça passe le test, c’est un go, tes plus sur l’étagère du magasin de souvenirs Premières Nations.
Tu redécouvres le plaisir d’être en couple. Tu sais que ça durera peut être pas toute la vie, mais tu t’en fous parce que tu viens de réaliser que ça en vaudra toujours l’effort. Toutes les étapes du processus étaient nécessaires, il faut avoir faim pour apprécier le goût de la nourriture, les choses changent, il n’y a rien d’éternel, et passer une vie à se rappeler à quel point c’est le fun d’être amoureux ça me semble être un bon deal…
Bon ok, il y aura eu un léger éveil du phénix de ses propres cendres et une leçon d’espoir proactive forcée à la fin, mais allez au diable, ça va bien!
Pour lire un autre texte de Charles Beauchesne: « Une « game de filles » de Donjons et Dragons ».