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Quand on transporte sa vie sur son dos, on est forcé d’être un peu plus critique face à ce qu’on décide de trimballer. Pas question de traîner pendant des mois une paire de ballerines qui serait tellement cute à porter le soir de Noël ou une tite-veste en cuir pour les trois fois dans l’année où on se sent wild…
Nos sacs sont donc constitués de la crème de l’utilitaire et de la fine fleur du fonctionnel. Aucun superflu, aucun poids-mort, mais aucun style non plus. Car on s’entend que l’univers a déjà vu des trucs plus stylés qu’une paire de bottes de marche et un coupe-vent technique, mais côté pratique, ça ne donne pas sa place. Et quand on croise des voyageurs qui peinent à transporter des sacs deux fois plus gros que le nôtre, on se félicite d’avoir su résister à la tentation d’apporter trop de trucs. Déjà qu’il fallait prévoir des vêtements et pour le très froid et pour le très chaud (en plus de tout le reste), on serait probablement morts à Trudeau, écrasés sous le poids de nos sacs, si on n’avait pas été si intransigeants dans notre sélection. Quoique, on aurait été des morts lookés… Enfin. Question de priorité.
Cette économie de poids, comme toute bonne chose, a cependant un côté obscur de la force : notre rythme de rotation vestimentaire est inversement proportionnel à la vitesse d’une connexion Internet bolivienne, c’est-à-dire rapide en maudit. En effet, comme le choix est limité, disons que les morceaux reviennent un peu plus souvent qu’à leur tour. En fait, on est un peu devenus des super-héros… Est-ce que Batman a plus qu’un suit de chauve-souris ? Non, monsieur. Un seul pis y rentre au poste comme une tonne de brique. Est-ce que Spiderman change de collants entre chaque building ? Pantoute. Y a un orphelin borgne à sauver des flammes, pas de temps pour les coquetteries. Les super-héros ont compris quelque chose : une formule gagnante, c’est ben en masse. On peut faire le tour du monde avec le même chandail, Tintin l’a prouvé.
C’est donc en suivant cette logique implacable que les journées sous la barre des 18 degrés qui n’ont pas été affrontées sans la présence réconfortante de mon hoodie gris peuvent se compter sur les doigts d’une poule. Tellement que le pauvre qui était neuf au départ de Montréal, après un peu moins de trois mois, a des traces d’usure qu’aucun de mes vêtements n’avait eu le temps d’avoir avant lui : il a déteint au soleil. Pas de taches, de déchirures accidentelles, ou de lavage trop sportif d’une lavanderia bolivienne, non. Une usure naturelle – accélérée, j’en conviens, mais entièrement naturelle. Normalement, mes vêtements quittent le fond du garde-robe (souvent dans une folie meurtrière de ménage due à un manque d’espace) dans un état à peu près semblable à celui dans lequel ils y étaient entrés. Ils n’ont pas le temps de vieillir, j’ai le temps de me tanner avant. La vapeur est renversée, c’est maintenant mon linge qui a le temps de se tanner de vivre.
Reste à espérer qu’il s’accroche quand même à la vie jusqu’au retour… Mine de rien, on s’attache à ces petites bêtes-là.