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360 jours autour du globe: La surprise

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Bon. La dernière chronique était une feinte, on est toujours à Sagada. On pensait devoir quitter (nos réserves de liquide étaient à sec et le guichet le plus proche est à quatorze heures de bus) mais la magie de Western Union et de belle-maman nous ont permis de rester quelques jours de plus. Nous voici donc, toujours à Sagada, plus de cinq semaines après notre arrivée. Mais on part demain. Pour vrai, là. Sérieux.

Lorsque nous avons annoncé notre (vrai) départ imminent à notre ami/serveur/business consultant, celui-ci nous a promis une little surprise pour souligner notre départ. Cool, qu’on s’est dit. On va avoir droit à un extra fromage dans notre gratin d’aubergines demain !

On se dirigeait vers la porte, salivant déjà à l’idée, quand notre ami a continué, savourant son effet :

– It’s really big.

– Euh… Ok ? (Tant de fromage que ça ? Vraiment ?)

– Really big. A big, big, BIG…

– … (Mozarella ? Cheddar ? Chèvre ?)

– Painting. I made it. It’s HUGE.

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Merde. Aussi touchés qu’on le soit de la charmante attention, une préoccupation plus terre à terre a vite relégué notre attendrissement au quatrième sous-sol : une peinture, surtout quand on insiste sur le fait qu’elle soit HUGE, ça rentre mal dans un sac à dos. Semblant suivre le fil de nos pensées, notre ami renchérit :

– I think you’ll have to send it home with Purolator.

Bon. On se le rappellera, notre statut de sans-emploi vient main dans la main avec un budget assez serré à respecter. Et pour avoir envoyé à la maison une partie du contenu de nos sacs qui n’était plus utile, on sait qu’envoyer des colis à l’autre bout du monde est tout sauf économique. Alors, envoyer une big-big-BIG toile au Canada, ça devrait nous coûter un bras, une jambe et probablement un rein. Re-merde. On sort du resto.

– Y est vraiment fin, mais un porte-clé de Sagada, ça lui tentait pas ?

– Ouins, qu’est-ce qu’on va faire avec ça ?

– Je sais pas… Ça va coûter une fortune à shipper…

– …

– Y a pas un genre de ravin, passé la grange ?

*

Soyons honnêtes. L’idée de quitter Sagada sans retourner au restaurant fatidique nous a traversé l’esprit. Mais bon. On sait vivre, quand même. Et on a décidé de faire face à notre destinée. Même si celle-ci impliquait un choix cornélien entre un rein en moins et un ravin.

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S’accrochant secrètement à l’espoir que notre ami était vaguement amnésique – et ne pouvant résister à l’appel du gratin d’aubergines, même sans extra fromage – nous sommes courageusement retournés au resto en question. À la fin du repas, notre hôte nous a annoncé qu’il allait chercher notre surprise… Et c’est devant deux personnes qui ont arrêté de respirer que notre ami/serveur/business consultant a tranquillement sorti… un charmant petit panier d’osier, tressé à la main par le frère de son grand-père, avec tout le savoir-faire du monde et toutes les dimensions souhaitées pour entrer dans un sac à dos. Ahhhh… C’était comme si on venait d’enlever le poids du monde – ou du moins celui d’une big-big-BIG toile – de nos frêles épaules. Soupir de soulagement. Une fois délestés de la hantise d’une hypothèque chez Puro, on a enfin pu être contents du cadeau reçu. Quelle belle attention ! Et quel beau souvenir de Sagada et de notre ami.

Comme celui-ci n’a jamais reparlé de la big-big-BIG toile qu’il nous avait promise à peine une journée plus tôt et qu’on n’est pas assez caves pour lui avoir posé la question, on ne saura jamais ce qu’il est advenu de cette dernière. Notre ami s’est-il buté à un cadre de porte trop étroit quand est venu le temps de sortir le monstre de son atelier ? A-t-il réalisé que ce n’était peut-être pas un cadeau optimal à faire à des backpackers ? S’est-il dit qu’il nous aimait bien, mais quand même pas au point de nous offrir sa big-big-BIG-HUGE painting ? On n’a pas voulu réveiller le chat qui dort alors on n’en aura jamais le coeur net. Mais c’est parfait comme ça. Vraiment. On l’aime, notre petit panier. Et puis, une toile dans un ravin, c’est jamais ben ben bon pour le karma.

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