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On l’a déjà dit, les gens de notre guesthouse à Siem Reap sont vraiment accueillants.
On déjeunait samedi matin quand le propriétaire est venu nous annoncer qu’il y aurait une fête le soir même pour l’anniversaire de son fils. Nous étions évidemment invités à nous joindre à eux pour célébrer. Cool ! Pour rien au monde on ne voudrait manquer la fête de Strident. (Bon, c’est probablement pas officiellement son nom, mais ça lui va comme un gant. Non, ce n’est pas un bébé qui hurle parce qu’il ne peut pas parler et qu’il a des besoins inassouvis, c’est une petite peste de quatre ans qui choisit l’ultra-son pour manifester son mécontentement. Et qui, manifestement, se heurte à plusieurs sources de mécontentement dans une même journée.)
Touchés de l’invitation, on avait quand même un peu peur de se retrouver assis en rond avec quatre Cambodgiens à fixer le plancher en souriant parce que nos trois mots de khmer ne soutiennent pas une conversation très longtemps. Mais c’était sous-estimer l’ampleur de l’événement. Strident n’a pas eu droit à une sympathique petite fête d’enfants pour souligner ses quatre ans, mais bien à une soirée à grand déploiement avec plus d’une soixantaine d’invités, un gâteau de mariage et un couple de licornes. (Bon, ok. Deux vérités, un mensonge. Une des licornes est restée pognée aux douanes.) Bref, un party de fête comme la plupart du monde n’en aura jamais. Ni à quatre ans, ni jamais.
L’alcool coulait à flot et les Cheers ! fusaient environ à chaque vingt-deux secondes. Au début, on pensait que la Cambodgienne à notre table l’avait échappé complètement ou faisait un début d’alzheimer avec ses Cheers ! renouvelés beaucoup trop souvent, mais on a finalement appris que c’était la coutume cambodgienne de trinquer à CHAQUE gorgée qu’on prend. Et de prendre une gorgée à CHAQUE Cheers ! que quelqu’un lance. Vous essaierez ça. Vous allez voir que ça revient souvent. L’autre coutume de brosse cambodgienne est d’indiquer à son interlocuteur le nombre de bières bues depuis le début de la soirée. Il est apparemment très important de pouvoir juger avec précision le niveau d’ébriété de son vis-à-vis, mais surtout de le clancher. Si un dix est bien vu et respecté, un maigre deux vous fera passer pour un rabat-joie. Vaut mieux en ajouter quelques-unes pour ne pas froisser votre hôte.
Enfin, on s’est bien amusés. Mais ce n’était pas fini. Le lendemain matin, au déjeuner, le proprio revient à la charge : il reste une caisse de bière. Il nous invite donc à dîner avec lui pour remédier à la situation. Bon. On se dit que ça sera sûrement plus relax qu’hier soir, c’est quand même le midi, tsé.
Quand on est descendus à midi et demi, le proprio et son acolyte (la Cambodgienne avec la Tourette du Cheers !) nous annoncèrent avec une pointe de fausse modestie que la bière qu’ils étaient en train de boire n’était que leur cinquième. Ouins. C’est ce qui s’appelle ne pas niaiser avec la puck. On a mis l’épaule à la roue, sans toutefois tenter de les rattraper. Et en mentant un peu sur notre consommation pour être socialement acceptés.
Entre deux trinquages bien sentis, le proprio nous a parlé de son enfance. Il vient d’une famille très pauvre qui n’avait pas les moyens de l’envoyer à l’école. C’est finalement le moine de sa pagode qui le prit sous son aile et qui se chargea de payer ses frais de scolarité pour qu’il puisse aller à l’université. Il dépendait de cette charité pour se nourrir et se vêtir pendant qu’il étudiait et n’aurait jamais pu se rendre où il est aujourd’hui sans la générosité et la bienveillance de ce moine. Il est extrêmement reconnaissant de cette chance et tente d’aider des jeunes issus de familles pauvres en leur donnant du travail à son auberge, même s’ils n’ont pas d’expérience, pour qu’ils puissent continuer d’aller à l’école. C’est vraiment quelqu’un d’extrêmement chaleureux, avec un cœur immense et qui, rassurez-vous n’est pas constamment en train d’enfiler des bières comme s’il n’y avait pas de lendemain (juste quand son héritier ultrasonique célèbre ses quatre ans). Ayant manqué de tout, on comprend qu’il veuille donner à son fils tout ce que lui n’a pas eu…
Reste à espérer que Strident saura apprécier la chance qu’il a.