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35 ans de We Are the World : les hauts et les bas de la chanson caritative

Retour sur la genèse d'une chanson moins bonne que la cause qu'elle soutient, et tout ce qui l'entoure

Par
Estelle Grignon
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C’est cette semaine que We Are the World fête ses 35 ans. Pièce maitresse d’un mouvement de solidarité et de supergroupes qui lancent des chansons caritatives, We Are the World est devenue un phénomène mondial.

Déjà, Michael Jackson et Lionel Richie qui écrivent une chanson ensemble qui est produite par Quincy Jones, c’est gros. Maintenant, on ajoute Stevie Wonder, Bruce Springsteen, Cindy Lauper, Diana Ross et Hall & Oates, entre autres, et on tient un succès légendaire.

Est-ce que c’est une bonne chanson ? Là n’est pas la question… mais non, pas vraiment. Certaines critiques comparent le refrain à un jingle pour Pepsi. Reste qu’après toutes ces années, c’est bien difficile de trouver quelqu’un qui n’est pas au moins capable de chantonner le refrain. De la genèse britannique aux parodies, en passant par Les yeux de la faim et Phil Esposito, voici comment We Are the World a obtenu une place de choix dans la culture populaire. C’est l’intention qui compte.

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Les débuts des chansons caritatives

Ça a pris du temps avant qu’on réalise qu’on pouvait ramasser de l’argent avec une chanson pop pour autre chose qu’un loyer à payer. C’est pourquoi on recule seulement en 1971 pour trouver la première vedette prête à tenter le coup. À l’époque, George Harrison avait sûrement déjà réglé son hypothèque et avait le vent dans les voiles, entre autres grâce à l’immense succès de son premier album solo All Things Must Pass.

À ce moment, le bordel est pris au Bangladesh, qui tente de faire reconnaître son indépendance. Déjà que la nation se remet d’un cyclone dévastateur, le Pakistan se lance dans un véritable génocide du peuple bengali. Harrison lance alors, à la suggestion du joueur de sitar Ravi Shankar, la pièce Bangla Desh, et organise un concert bénéfice quelques jours plus tard au Madison Square Garden.

D’autres chansons seront enregistrées pour aider différentes causes. En 1979, Alan Thicke avait réussi à convaincre des joueurs des Rangers de New York d’enregistrer Hockey Sock Rock pour amasser des fonds pour la recherche sur le diabète, dont souffrait son fils Brennan, frère de Robin. La légende veut que sur les 100 000 copies vendues, 90 000 aient été achetées par le chanteur Gordon Lightfoot.

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Le OG supergroupe

Au milieu des années 1980, une famine généralisée paralyse l’Éthiopie. En octobre 1984, la BBC présente des images de la situation. Le reportage se rend jusqu’à Bob Geldolf. À l’époque, Geldof était reconnu comme étant le leader du groupe irlandais Boomtown Rats et pour son rôle de Pink dans l’adaptation cinématographique de l’album The Wall de Pink Floyd. Avec l’aide de Midge Ure, Geldof a composé la pièce Do They Know It’s Christmas pour ramasser des fonds pour aider le peuple éthiopien.

Le 25 novembre, des dizaines d’artistes, pour la plupart britanniques ou irlandais, sont réunis en studio. On y trouve, entre autres, Bono, Sting, Boy George, Duran Duran, Bananarama et Phil Collins. Le 3 décembre, la pièce est disponible en magasins, créditée au groupe Band Aid. Elle aura un succès phénoménal et atteindra la première place dans plusieurs pays d’Europe, dont le Royaume-Uni, et le Canada. De nouvelles versions ont été enregistrées avec de nouveaux musiciens en 1989, 2004, et 2014. Chaque nouvelle version a atteint la première place au Royaume-Uni.

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We Are the World

Peu de temps après la sortie de la pièce, le roi du Calypso lui-même, Harry Belafonte, décide de monter une version américaine. Grâce à ses contacts, il réussit à obtenir l’attention de Lionel Richie et Kenny Rogers. Embarquent ensuite Stevie Wonder, puis Michael Jackson, et la machine est lancée. Jackson et Richie s’exilent pendant une semaine pour composer la chanson.

Le soir du 28 janvier, près d’une cinquantaine de vedettes se présentent en studio : la session d’enregistrement s’étirera jusqu’au lendemain matin. Du lot, Bob Geldof se fond dans la chorale du refrain. Un vidéoclip est tourné en même temps, où l’on voit que tout le monde a du plaisir sauf Bob Dylan.

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La pièce parait finalement le 7 mars 1985 : le supergroupe de musiciens est baptisé simplement USA for Africa. We Are the World est un succès instantané. Les millions de dollars s’accumulent rapidement : certaines personnes vont même jusqu’à acheter la chanson à plusieurs exemplaires. En avril, une compilation, incluant la pièce ainsi que plusieurs morceaux inédits d’artistes de renom, aide à ramasser une bonne somme. De plus, USA for Africa a la bonne idée de vendre des articles promotionnels, récoltant au passage d’autres millions de dollars. We Are the World ne sera pas un succès critique, mais remportera malgré tout les convoités prix de chanson et d’enregistrement de l’année aux Grammy.

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La vague charitable

Avant la sortie de We Are the World, une chanson canadienne est enregistrée par Northern Lights. Tout comme Band Aid et USA for Africa, Northern Lights comprend ne nombreuses vedettes, un peu plus locales cette fois. On y retrouve quand même Joni Mitchell, Neil Young et Bryan Adams, auteur de la pièce. Robert Charlebois, Claude Dubois et Véronique Béliveau représentent notre belle province en chantant un grand total de deux phrases.

Qu’à cela ne tienne, le Québec aussi a son star-système prêt à chanter pour la cause. C’est le journaliste Gil Courtemanche qui écrit la pièce Les yeux de la faim avec l’aide de Jean Robitaille. Cette fois, Véronique Béliveau est entourée, entre autres, de Daniel Lavoie, Martine St-Clair, Dominique Michel, Michel Rivard, Michel Louvain, les Simard et, bien sûr, une jeune Céline Dion. 100 000 $ sont amassés par la pièce de la Fondation Québec-Afrique.

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L’après We Are the World

La chanson We Are the World sera reprise en 2010 pour amasser des fonds après le terrible séisme qui a ravagé Haïti. We Are the World 25 for Haiti n’aura pas le même succès que la version originale, et sera ravagée par les critiques à cause de l’utilisation excessive d’autotune et pour ses raps maladroits. La même année, le Canada enregistre une nouvelle version de la pièce Wavin Flag de K’Naan. Nelly Furtado, Drake, Justin Bieber et… Kevin Parent se joignent au chanteur somalien canadien, et atteignent la première place au pays.

Au Québec, We Are the World sera reprise deux fois de façon notable. D’abord, avec brio par l’imitateur André-Philippe Gagnon. Celui-ci ira refaire les voix des Jackson, Springsteen, Ross et autres jusqu’au Tonight Show aux États-Unis. Tout le monde est fier.

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Avance rapide en 2017 au moment où PO Beaudoin a décidé de reprendre une pièce destinée à mettre en lumière la famine en Éthiopie pour plutôt soutenir la lutte contre les trolls. Probablement que PO se sentait aussi désespéré qu’un pays du tiers-monde en train de mourir quand il a reçu « PO t’es dont ben pourri en chant, ferme dont ta gueule » dans sa boîte de messagerie au début du clip viral. La vidéo originale de Nous sommes le web a été supprimée, mais est toujours facile à trouver en ligne. Un an après avoir dénoncé la cyberintimidation, PO Beaudoin cyberintimidait un chauffeur de taxi qui ne pouvait pas prendre ses cartes-cadeaux. Pas grand monde était fier.

Reste qu’on est également capable de faire d’autres chansons pour de bonnes causes. C’était le cas, par exemple, avec Si Chacun, qui venait en aide aux résidents du Saguenay touchés par le déluge de 1996. Encore une fois, la cause est bonne, mais la chanson l’est un peu moins.

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Merci quand même

C’est que si un élément relie toutes ces chansons, c’est que malgré toutes les bonnes intentions, elles ne sont jamais vraiment bonnes. Même avec toutes les vedettes du monde, avec les meilleurs auteurs et compositeurs disponibles, ça ne sort jamais de l’ombre quétaine. Sauf qu’à l’époque, il ne suffisait que d’acheter la chanson pour donner de l’argent. Aujourd’hui, plus personne n’achète de musique ou presque. Encore moins des simples audio. C’est donc dire qu’il faut streamer encore et encore les morceaux pour amasser des fonds. Et ça, c’est beaucoup demander.

La prochaine fois qu’une cause me tient à cœur, je vais faire un don et passer mon tour pour écouter de la bonne musique.

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