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Il y a un complot contre moi. Non, pas l’identité numérique poussée par les pédo-satanistes de la dictature sanitaire. Un vrai complot! J’ai 31 ans et on essaie de me faire croire que je suis vieille.
Pourtant, je n’ai même pas atteint la moitié de ma vie. Doublez le nombre de printemps que j’ai traversés, je n’arrive pas à l’âge de toucher une pension de retraite. Mon esthéticienne me rassure constamment sur l’élasticité de ma peau, qui n’a rien perdu de son tonus. Je n’ai même pas un seul cheveu blanc. Je suis pratiquement un poupon!
D’après une étude citée par L’Actualité, on « devient vieux » à 74 ans. Et encore, le gériatre qui signe le papier affirme que « la moyenne d’âge des patients [qu’il voit] se situe plutôt autour de 80-85 ans ». Mais on me dit que je devrais me dépêcher si je veux des enfants, parce qu’à partir de 35 ans, on fait face à une « grossesse gériatrique ». GÉRIATRIQUE! On comprend Chrissy Teigen d’être en beau fusil!
D’après une étude citée par L’Actualité, on « devient vieux » à 74 ans.
À 31 ans, j’ai décidé de faire un retour aux études. Je vois passer tous les concours et les bourses sans pouvoir y appliquer. Pourquoi? Parce que c’est souvent réservé aux moins de 30 ans! La même limite d’âge qu’il y avait à l’époque de mon père, il y a un demi-siècle. Statistique Canada montre pourtant que le nombre de gens de plus de 30 ans sur les bancs universitaires va en montant plutôt qu’en descendant.
Star Académie aussi me dit que je suis vieille! Eh oui, il faut avoir moins de 30 ans si on veut une chance d’aller pousser la note avec Ginette Reno. Même le Conservatoire ne demande pas ça! Même Occupation Double ne demande pas ça!
Ce ne sont là que quelques exemples. À 31 ans, je ne peux plus devenir fille au pair, appliquer pour un PVT à Hong Kong, avoir des rabais aux Grands Ballets ou accéder à certains des programmes pour jeunes créateur.rice.s ou jeunes entrepreneur.e.s… par contre, je peux recevoir AstraZeneca, chanceuse que je suis.
Au début des années 1980, l’espérance de vie des Canadiennes à la naissance était de 79 ans et l’âge moyen de la maternité au Québec était de 27,4 ans. Aujourd’hui, l’espérance de vie est passée à 84 ans et l’âge pour mettre bas est presque 31 ans.
En plus, on achète une première propriété plus tard que nos parents (ça, c’est quand on peut!) et on est plus âgé.e au moment de nos noces que les générations précédentes (ça, c’est quand on le veut!).
Si les grandes étapes de la vie se font plus tardivement, comment se fait-il que les limites d’âge n’aient pas suivi? Parce qu’il y a un complot contre moi, c’est ce que je me tue à dire!
Aujourd’hui, l’espérance de vie est passée à 84 ans et l’âge pour mettre bas est presque 31 ans.
Ce n’est pas comme si c’était impossible à modifier. En 2019, la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) a changé son programme d’aide aux jeunes créateurs pour un programme d’aide à la création émergente, retirant la limite d’âge qui était alors de 35 ans.
Le changement a permis de laisser une plus grande place aux femmes et aux immigrant.e.s, qui proposaient des projets en étant un peu moins jeunes, en plus d’accueillir des gens en changement de carrière, ce qui reflète davantage les réalités d’aujourd’hui, les travailleurs et travailleuses restant dans un même poste toute leur vie se faisant plus rares qu’à une autre époque.
D’autres institutions envisagent de modifier la limite d’âge qu’ils ont établie. Au ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, qui offre le programme Jeunes volontaires aux 16 à 29 ans pour « favoriser l’insertion sociale et professionnelle de personnes jeunes et sans expérience de travail significative », on m’écrit que des travaux d’actualisation du programme sont en cours et que la limite d’âge fait partie des éléments qui seront analysés.
Si les grandes étapes de la vie se font plus tardivement, comment se fait-il que les limites d’âge n’aient pas suivi?
Aux Grands Ballets canadiens, qui proposent des rabais aux moins de 30 ans, on me dit que l’équipe a justement discuté récemment de l’idée de monter la limite d’âge à 35 ans pour refléter les nouvelles habitudes de consommation culturelle post-pandémie. On m’avoue en même temps que personne ne se souvient de pourquoi le programme Je me pointe! a d’abord été créé pour les moins de 30 ans.
Ce ne sont pas les seuls qui ne savent plus trop le pourquoi du comment. Aux communications de Star Académie, on me répond qu’on « ignore » la raison du règlement qui permet de s’inscrire seulement si on a entre 18 et 30 ans tout en me référant à Endemol, le détenteur du format… où on me répond qu’on ne s’occupe pas de l’adaptation québécoise.
À l’inverse, d’autres se souviennent parfaitement des motifs qui ont justifié leur décision d’imposer une limite d’âge, mais ne voient pas pourquoi la modifier. C’est le cas, par exemple, des Médias francophones publics, qui donnent annuellement la bourse René Payot à un.e journaliste en fin de formation.
En augmentant la limite d’âge, qui est établie à 30 ans depuis 1982, « on risque de créer une forme d’inégalité avec des candidats plus âgés ayant accumulé davantage d’expériences », me répond-on. Mais ne crée-t-on pas une inégalité entre les jeunes journalistes d’il y a 40 ans et ceux et celles d’aujourd’hui, qui ont pu commencer le métier plus tard?
Je chante comme une casserole, je ne veux pas d’enfants et je peux me passer de bourses, mais me faire dire que je suis trop vieille pour faire quelque chose à un si jeune âge, ça ne me rentre pas dans la tête. Encore moins quand je réalise que les personnes qui sont les plus pénalisées par ce genre de limite, ce sont les femmes et les personnes racisées.
Sur ce, je vais aller crocheter quelques carrés grand-mère.