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Les Québécois ont un regard particulier sur la Catalogne. Nous comprenons d’emblée ce que vivent les Catalans à cause des nombreux parallèles que nous pouvons tisser entre ces deux nations. Peut-être parce que nous utilisons une langue différente de celle de la majorité, ou parce que Montréal et Barcelone sont les deuxièmes villes de nos pays respectifs mais qu’elles vivent comme de véritables métropoles internationales.
Ou parce que nos cultures sont distinctes et vibrantes, avec une importante proportion de médias et d’artistes pour nos relativement petites populations. Ou encore parce que nos équipes sportives sont vénérées comme de véritables religions. Peut-être également parce que nous vivons avec la crainte de l’assimilation linguistique, de la perte de notre différence.
Toujours est-il, le 11 septembre 2014, les Catalans souligneront le tricentenaire de la chute de Barcelone et par la même occasion, les 300 ans de leur annexion au Royaume d’Espagne. Un préambule qui donnera une perspective historique à la consultation référendaire du 9 novembre 2014, alors que les Catalans se prononceront sur leur autodétermination. Seulement deux mois séparent ces deux événements qui auront des répercussions majeures sur la scène internationale, un situation très peu thématisée dans nos médias.
Pourtant, le vent favorable à l’indépendance catalane n’y était pas il y a à peine cinq ou six ans. Avec un taux de soutien oscillant entre 15 et 25% depuis la mort du dictateur Francisco Franco en 1975 et le retour à la démocratie en Espagne en 1978, bien malin était celui qui aurait pu prédire que ce soutien dépasserait les 55% en 2014.
Ce renouveau du sentiment indépendantiste ne vient pas du contexte historique causé par les célébrations du tricentenaire, mais bien d’un achoppement constitutionnel qui peut rappeler aux Québécois les épisodes du Lac Meech et de Charlotetown.
La constitution espagnole, signée à la hâte suite au décès de Franco, était censée jeter les bases sur lesquelles allait se construire peu à peu une nouvelle Espagne en voie de fédéralisation. Mais ces bases sont restées pratiquement immuables depuis.
Bien qu’elle ait été approuvée par les parlements catalan et espagnol, puis par référendum en Catalogne (73,9 % d’appuis) en 2006, la nouvelle constitution régionale (nommée Statut d’autonomie de la Catalogne) renouvelant la relation politique entre Madrid et Barcelone fut lourdement amputée par le Tribunal constitutionnel espagnol en juin 2010. Résultat : 1,5 million de Catalans prennent d’assaut les rues de Barcelone en scandant Som una nació. Nosaltre decidim (Nous sommes une nation. À nous de décider) pour manifester leur désapprobation du jugement qui élimine toutes les références à la nation catalane et invalide le statut préférentiel accordé à la langue catalane dans la fonction publique et l’enseignement. Le détricotage constitutionnel du Statut d’autonomie fait passer plusieurs acteurs politiques traditionnellement autonomistes dans le camp des indépendantistes, tels Jordi Pujol (président de la Catalogne de 1980 à 2003), qui a fait sa profession de fois souverainiste en 2011. Un peu comme si Robert Bourrassa avait décidé de prendre le camp des souverainistes suite à l’échec de l’accord du Lac Meech.
Le président actuel, Artur Mas, est à la tête d’un parti de coalition – Convergència i Unió (CiU), la même que dirigeait Pujol – qui n’était pas indépendantiste au moment de son élection en novembre 2010. Mais ceci devait être appelé à changer en raison de la gronde populaire. Sous le thème Catalunya, nou estat d’Europa (Catalogne, nouvel état d’Europe) la commémoration annuelle de la défaite de 1714 se transforme le 11 septembre 2012 en la plus grande manifestation pro-indépendance qu’ait connu la Catalogne. Pour l’occasion, plus de 1,5 millions de Catalans descendent dans les rues de Barcelone pour réclamer leur indépendance.
Suivant la volonté populaire, Artur Mas remet en jeu son gouvernement quelques jours plus tard et déclenche des élections anticipées, prévues pour le 25 novembre 2012. S’il est réélu, il s’engage à tenir un référendum sur l’autodétermination de la Catalogne avant 2016. Même s’il perd quelques députés au profit de la très indépendantiste Esquerra Republicana de Catalunya (Gauche républicaine de Catalogne, ERC), Artur Mas reprend la tête de la région autonome en s’alliant à ceux-ci.
Ce n’est que peu de temps avant Noël, le 12 décembre 2013, qu’Artur Mas annonce la tenue du référendum qu’il a promis durant la campagne. Celui-ci aura donc lieu le 9 novembre 2014, une date en forme de palindrome au côté de la diada historique du tricentenaire : 11/9 et 9/11. Il s’engage à poser deux questions :
-Voulez-vous que la Catalogne soit un État?
-En cas de réponse affirmative, voulez-vous que cet État soit indépendant?
La double question s’adresse à deux groupes distincts, une problématique particulière du débat entourant la souveraineté catalane. Ce ne sont pas tous les Catalans qui sont en faveur de l’indépendance pure et simple. Selon les derniers sondages, ils sont maintenant plus de 55%. Pourtant, une grande portion de la population souhaite que l’Espagne évolue vers un système fédéral dans lequel la Catalogne se ferait reconnaître un statut asymétrique et distinct. Ce sont ceux qui se disent « fédéralistes », dans l’esprit d’une autonomie accrue et d’un partage stricte des compétences constitutionnelles, un aspect central du fédéralisme que certains Canadiens ne conçoivent pas toujours.
Si on additionne ces deux tranches de la population, on obtient un support à une souveraineté catalane accrue de l’ordre de 80%.
De l’autre côté du spectre, il y a une portion de nationalistes espagnolistes, qui au contraire des deux groupes précédents, voudraient voir la Catalogne assimilée au reste de l’Espagne, ou qu’on y limite étroitement la portée des droits linguistiques et culturels (NB : au cours des derniers 300 ans, la langue catalane fut interdite pendant près de 200 ans, dont la dernière période eu lieu sous la dictature de Franco, soit pendant près de 40 ans). Ce groupe oscille entre 10 et 12%, constitué principalement de partisans du Partido Popular (PP), un parti centraliste très nationaliste, réfractaire aux revendications des minorités ayant parfois des positions xénophobes à propos de l’immigration extra-européenne. Le PP est actuellement au pouvoir dans toute l’Espagne, à l’exception de quelques régions, dont la Catalogne et le Pays Basque.
Voilà la trame de fond du documentaire 300 ans et un référendum que j’irai tourner l’automne prochain à Barcelone. Le film que nous proposons de faire profite de cette conjoncture extraordinaire pour explorer le thème de l’identité minoritaire, vue au travers des prismes québécois et catalans. Le contexte social et politique particulier de l’antichambre référendaire est impossible à recréer. Il s’agit d’une fenêtre unique pour explorer ce thème sensible. Nous dresserons ainsi les parallèles et les divergences entre deux identités qui se définissent à l’intérieur d’entités plus grandes et l’impact que cette situation peut avoir sur les individus.
Article écrit avec la collaboration de Rémi Carbonneau, doctorant en science politique à l’UQAM
Crédit photo:
By ca:User:amadalvarez (Own work, amb el suport de Blanca i Rosa.) [CC-BY-SA-3.0], via Wikimedia Commons
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