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28 jours sans alcool, 28 jours d’inquiétudes et de malaises

Par
Stéphane Morneau
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Avant même d’écrire cette chronique, j’ai l’impression de me mettre un bras dans la déchiqueteuse.

Voyez-vous, j’ai un malaise avec le défi 28 jours sans alcool organisé par la Fondation Jean Lapointe, mais j’aimerais mieux ne pas en avoir un.

Je m’explique.

Je n’ai rien contre l’initiative et, au contraire, je salue l’envie de conscientiser les gens à leur relation problématique avec l’alcool. Là-dessus, je ne peux que lever mon chapeau. C’est vraiment une cause importante.

Mon malaise est ailleurs.

J’ai été témoin privilégié, bien malgré moi, du côté sombre de l’alcoolisme.

Je suis inquiet de voir qu’il s’agit d’un défi difficile pour plusieurs personnes participant à l’initiative. On parle d’une épreuve sur les médias sociaux, d’un moment pénible à passer. Je suis aussi un peu déçu de voir que le tout est souvent présenté comme un jeu ou une boutade à l’alcoolisme ordinaire qui, comme en témoigne la difficulté des gens, est plus répandu qu’on oserait le croire.

Mes inquiétudes s’expliquent sans doute par mon enfance.

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J’ai grandi avec une mère monoparentale qui, à ce jour encore, n’est pas en mesure de gérer adéquatement sa consommation d’alcool. J’ai été témoin privilégié, bien malgré moi, du côté sombre de l’alcoolisme. J’ai entendu des témoignages chez les A.A. avant même d’avoir l’âge de bien cerner ce que ça implique. J’ai vu ma mère et ses amis autour d’une table pleine de bouteilles vides en me levant le matin pour aller à l’école. J’ai souvent fait la collecte de ces mêmes bouteilles en revenant de l’école pour aller les changer au dépanneur. J’ai aussi vu ma mère s’absenter plusieurs mois pour des cures de désintoxications et sensiblement tout perdre chaque fois.

L’alcoolisme ordinaire, quand on le voit de l’extérieur, ça commence par une petite bière le soir quelques fois dans la semaine. Ensuite, tous les soirs. Puis, une petite bière de plus, ça ne fait pas de mal. Éventuellement, la bière se consomme dans une tasse à café opaque parce qu’on l’assume semi. L’alcoolisme ordinaire, la petite frette pour décompresser, c’est aussi une pente glissante.

J’en ai peut-être trop vu pour être impartial. Immanquablement, ça m’offre une perspective différente sur l’alcool et sa consommation et, malgré tous mes efforts alors que j’étais au Cégep, je n’ai pas ce gène de l’excès en moi.

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Prendre un petit verre n’a jamais été une nécessité dans ma vie, une lueur au bout du tunnel ou un exutoire après une journée difficile.

Je suis inquiet quand je vois l’alcoolisme ordinaire banalisé ainsi.

Mon malaise avec ce défi 28 jours sans alcool, c’est de voir que pour plusieurs gens sur mes médias sociaux, la perspective n’est pas la même. Le petit verre quand les enfants dorment enfin, c’est plus qu’une récompense, c’est une béquille, un soulagement, un baume.

Je n’aime pas mon malaise parce que je n’ai plus envie de juger les gens en fonction de leurs envies, de leurs habitudes ou de leur relation avec l’alcool. Je l’ai trop fait, plus jeune, à une époque où je gérais mal mon enfance avec une mère alcoolique et mon intransigeance envers les gens souffrant de problèmes de consommation.

Mon inconfort, c’est aussi de réaliser que je ne serai jamais complètement en paix avec ce passé qui est le mien. Même en gardant une oreille ouverte et en alimentant ma sensibilité à la réalité des autres, je suis inquiet quand je vois l’alcoolisme ordinaire banalisé ainsi.

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Parce que je sais où ça mène et je sais que ça n’affecte pas juste les gens alourdis par la dépendance à l’alcool.

Ceci dit, je tiens à encourager les gens à faire le défi, à en parler, à passer le mot et à se sensibiliser au fait que ce n’est pas toujours «le fun» être un peu cocktail un mardi soir seul à la maison.

Dans la vie, l’alcool n’égale pas seulement des gros sourires, des tchin-tchin et des soirées ludiques au karaoké.

Il s’agit d’une belle initiative, d’un beau défi et d’une cause utile. Elle touche malheureusement trop de gens et qui sait, peut-être qu’un jour l’alcool ne sera plus autant glorifié et au centre de nos relations sociales.

Je voulais vous partager mon malaise, parce que je me doute que je ne suis pas le seul qui est affecté au-delà de la raison lorsqu’on parle d’alcool. C’est important de faire l’effort de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain et de ne pas discréditer la cause parce que certains en mettent un peu trop sur les médias sociaux avec leur défi.

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J’espère seulement qu’au fil des ans les effets de ce défi se feront sentir au-delà du mois de février. Parce que l’équation «alcool = plaisir» est pas mal juste parfaite dans une pub de vodka. Dans la vie, l’alcool n’égale pas seulement des gros sourires, des tchin-tchin et des soirées ludiques au karaoké.

Malheureusement pas.

Pour lire un autre texte de Stéphane Morneau: «Papa, pourquoi ne va-t-on jamais voir mamie?»

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