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La taverne du mois : VV Taverna

Cap sur ce trésor rosemontois embourgeoisé qui a su conserver son charme et, surtout, sa clientèle aussi antique que festive.

Par
Olivier Boisvert-Magnen
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Auparavant repaire de beuverie entre hommes, en raison d’une loi de Maurice Duplessis qui y interdisait l’accès aux femmes, la mythique taverne québécoise est maintenant considérée comme un lieu plus ou moins salubre dans lequel il fait bon se retrouver pour ingurgiter quelques bocks glacés. Bien au-delà de ce qui la différencie au sens légal d’une brasserie ou d’un bar, la taverne se définit officieusement par son incroyable capacité à figer le passé dans tout ce qu’il a de plus miraculeux : des prix dérisoires, des tables collantes et, surtout, des affiches de bières désuètes en guise de décoration.

Décidés à trouver la plus authentique taverne qui soit, nous poursuivons cette évaluation approximative des plus prodigieux débits de boisson avec la VV Taverna, trésor rosemontois à la clientèle antique et très festive.

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Illustration : Marilou Gagnon/Photos : Olivier Boisvert-Magnen et Divan Viril

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Alcool

Comme d’habitude, on amorce ce fastidieux examen avec le plus important de nos 10 critères : la boisson.

D’emblée, le pire est à craindre, car le spécial en vogue ne concerne pas le breuvage tavernier par excellence (lire : le bock glacé de Labatt 50), mais bien le nectar prisé par la bourgeoisie mondaine des grands salons.

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C’est donc avec un certain dédain que nous regardons la généreuse carte de vins, tout simplement choqués de constater qu’une soi-disant taverne puisse à ce point se gentrifier.

Sur le point de rebrousser chemin, nous sommes retenus par la présence d’un produit emblématique de la taverne québécoise : la grosse quille de Laurentide.

Un baume sur nos plaies.

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Mais, la VV Taverna ne perd pas de temps à nous replonger dans les méandres de la vive incompréhension en mettant l’accent sur ces deux breuvages fades qui, en plus d’être dénués d’alcool, coûtent l’équivalent de 3,6 bocks de bière en fût au Bar 99.

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Prix

Visiblement embourgeoisé, cet endroit de la haute classe mise sur des prix conséquents, très éloignés de ceux qui prévalaient lors de cette période phare des tavernes que sont les années 1970. Ébahis par le simple prix de la quille de Laurentide (10 $), nous tombons de très haut lorsque nous apercevons des items au coût exorbitant.

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Dans le but bien louable de respecter l’esprit de la taverne et le salaire des ouvriers qui y ont hélas pris racine, nous avons décidé de retirer un point à chaque produit vendu à plus de 100 $, soit huit.

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Service

Quelque peu impersonnel et expéditif, le service nous apparait très loin de celui qu’offraient les maitres taverniers de l’époque, ces mêmes waiters qui, en plus de changer constamment leur batch de bocks au congélateur, prenaient le temps de jaser quelques heures avec leur fidèle clientèle.

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« Est-ce que je t’enlève ta bière ou tu vas la finir? » ose même nous demander la serveuse, signe supplémentaire qu’elle est plus ou moins au fait des valeurs de persévérance et de ténacité qui ont forgé l’esprit des piliers de taverne québécois.

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Décoration/mobilier

Sur cet aspect, la VV Taverna gagne un nombre considérable de points, notamment grâce à la présence marquée de trophées de chasse sur le rebord du foyer.

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Ensuite, la couleur terne de ses murs s’écarte de toutes tendances Pantone et rappelle plutôt l’ambiance morne de l’époque Duplessis.

Avec un poisson en guise d’enjolivure murale, on ne peut qu’être conquis.

Classique du mobilier tavernier s’il en est un, la chaise boisée laisse entrevoir l’ampleur de son vécu à travers son écaillement prononcé. Ce vestige fait chaud au cœur.

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Toutefois, quelques éléments esthétiques jurent avec la facture traditionnelle de l’ensemble, à commencer par ce tableau d’art contemporain mis en relief par un éclairage tamisé.

À l’extérieur, la terrasse détonne aussi, car essentiellement, la taverne est un repaire intime où l’on désire surtout boire à l’abri des regards et des jugements.

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Propreté

Un peu déçus d’avoir affaire à des vitres propres et à des tables extérieures en stainless pas du tout collantes, nous sommes relativement heureux de renouer avec un bon vieux classique de la taverne : les verres sales.

Ça donne le ton pour le prochain critère.

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Toilettes

Difficile de résister à la pureté de ce lieu de soulagement. D’abord, on remarque la commodité qu’offre l’espace pipi.

Bien joué.

Au fond du pissoir, ce cerne transpire la fraicheur.

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Au moment même du soulagement convoité, on admire ce joint de tuile au pigment rougeâtre.

Que dire aussi de cette autre belle initiative : une mini-fenêtre parfaite pour les fumeurs encore récalcitrants à l’ineffable loi de 2006.

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Petit bémol à cette fiche quasi parfaite : un outil technologique qui empêche la toilette de propager son odeur urinaire pourtant si caractéristique.

Dommage.

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Clientèle

Malgré une clientèle beaucoup trop huppée à l’extérieur, la VV Taverna se rattrape passablement avec sa faune locale, relativement âgée, expressive et prompte à l’amusement tardif.

En ce jeudi soir, un cortège de joyeux clients cinquantenaires joue au billard avec une belle émotivité. « Calice, je l’ai manquée, l’estie », lance le plus féroce d’entre eux à l’une de ses boules.

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« La prochaine fois, j’vais mettre un décolleté », nous signale plus tard une joueuse qui aurait aimé mettre à profit ses attributs pour rafler les honneurs.

Bref, la clientèle prend largement sa place, à l’image de la calvitie sur la tête de cet homme.

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Ambiance

Largement tributaire du critère précédent, l’ambiance n’est pas à la hauteur des attentes, et ceci est en grande partie relié à l’habillage musical. Exception faite d’une chanson de Santana, la liste de lecture fait fi du rock, du country, du folk et du trad (AKA les principaux styles emblématiques de la taverne québécoise) pour piger allègrement dans le top 40 des décennies 1990/2000, osant même aller jusqu’à faire cohabiter du Nelly, du Destiny’s Child et du Third Eye Blind dans la même demi-heure.

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À l’extérieur, l’ambiance est toutefois à son comble, car on peut jouir d’une vue imprenable sur des chantiers de construction et des terrains industriels, deux symboles visant à nous rappeler la nature ouvrière de la clientèle tavernière.

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Bouffe

Si l’on ne peut que déplorer l’inclusion de mets libéraux dans le menu, tout particulièrement les rillettes de maquereau fumé, on se doit d’applaudir la présence de quelques classiques culinaires de l’univers des débits de boisson : les olives vertes, les cornichons maison et, dans une certaine mesure, les recettes à base de moutarde baseball.

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Affamés, nous commandons les chips de maïs, croyant bien naïvement que ceux-ci nous seront présentés comme il se doit, c’est-à-dire dans un sac de Doritos. À notre grande surprise, nous recevons un bol de croustilles aucunement orangées avec, en bonus, une substance verdâtre visqueuse.

En fouillant un peu plus, on remarque la proéminence quasi vulgaire de menus élitistes comme le gravlax de saumon, le confit de poulet et, surtout, l’onglet de bœuf sauce au brandy.

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Curieux, nous prenons tout de même la peine de demander la constitution de cette mystérieuse « assiette de la Taverna » fixée à 12 $. C’est alors qu’on nous annonce le miracle qu’on n’attendait plus… Ce plat divin est en fait formé des trois aliments essentiels à la survie de tout client de taverne : langue de bœuf, œuf dans le vinaigre et cornichon.

Un coup de génie.

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Mode de paiement

À notre humble avis, les tavernes devraient respecter les méthodes anciennes et ne privilégier que le paiement en argent comptant ou en chèque postdaté.

Victime de son époque, la VV Taverna permet le paiement par carte de débit et de crédit, ce qui est forcément déplorable. Heureusement, elle résiste quelque peu à l’innovation puisque son option crédit n’inclut pas la ridicule fonction PayPass.

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Bilan de l’évaluation

Ivres corrects, nous prenons soin d’écrire sur une napkin le résultat de nos différentes observations. Pour chacun des 10 critères, la taverne bénéficie d’emblée d’un total de cinq points, auxquels sont ajoutés ou retirés des points en fonction des motifs précédemment évoqués.

Résultat provisoire : 45/100

BONUS : une ampoule dévissée (+1)

Une caméra de sécurité (-1)

Un espace lounge (-1)

Une photo d’Emmanuel Bilodeau dans l’espace lounge (-1)

Une photo de ce gars-là (+1)

Un début de moisissure sur le plafond des toilettes (+1)

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S’enfarger dans un gars qui joue au pool en sortant des toilettes (+5)

Le goût des cornichons (-1)

Un invité spécial comme DJ (-1)

Un vestiaire qui mène à la cuisine (+2)

Un début de shed à bois (+2)

Une vidéo promotionnelle de grande qualité (+2)

Un accès wi-fi fonctionnel (-5)

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Note finale : 49 %

Classement

  1. Bar 99 : 61 %
  2. VV Taverna : 49 %