Nous voilà arrivés à la toute fin de la décennie. Non seulement ne reste-il que quelques jours au calendrier avant 2020, ma chronique sur la musique marquante de chacune des dix dernières années se conclut sur cette rubrique. Et oui, on parle de 2019.
En 2019, la musique à la radio et à la télévision n’existent presque plus. Ou en tout cas, ma génération n’y découvre plus de musique. Sans ces canaux, c’est plus flou de savoir ce qui est un succès que ce qui ne l’est pas. J’écoute ma musique de mon côté, et mes algorithmes ne m’exposent pas aux chansons les plus populaires. Ce n’est plus rare de trouver des chansons qui atteignent le numéro un sans les avoir entendues auparavant. Parfois, il ne s’agit que d’avoir un gros nom qui sort une nouvelle pièce pour qu’elle débute instantanément au haut du pavé. Et si j’ai jamais écouté cet artiste, ça passe dans mon beurre.
Et c’est peut-être une bonne chose : on a maintenant accès à plus de musique que jamais. Si je n’ai pas entendu la nouvelle de Post Malone, c’est parce que j’étais trop occupée à écouter autre chose. Le genre d’autres choses qui ne se serait peut-être pas rendu jusqu’à mes oreilles à l’époque où Musique Plus était ma source principale de découvertes. Ne reste maintenant qu’à trouver un moyen de s’assurer que tous ces artistes sont rémunérés comme du monde et la vie sera belle.
Le hit de l’année
Montero Lamar Hill n’était qu’un jeune de 19 ans sans le sou à la fin de 2018, quand il a fait paraître Old Town Road sous le nom de Lil Nas X. Puis, internet (Tik Tok en particulier) s’est chargé du reste. En mars, la chanson monte à la fois sur les palmarès country et hip-hop… Jusqu’à ce que Billboard s’en mêle. Selon eux, la chanson n’aurait jamais dû se retrouver dans le palmarès country en premier lieu. Connaissant le nombre de chanteurs country blancs qui injectent des éléments de hip-hop et de grosse pop dans leurs pièces, les experts et le public trouvent ça un peu hypocrite.
Qu’à cela ne tienne : le bon vieux Billy Ray Cyrus vient injecter sa voix résolument country à la pièce. Au final, la chanson passera 19 semaines au numéro-un du Billboard Hot 100, un record. 18 de ces semaines seront sur le dos du remix avec papa Cyrus. Au milieu de son règne, Lil Nas X fait son coming out. Le gars mélange deux des styles de musique où l’homosexualité est le plus tabou, et pendant qu’il est au sommet, il sort la nouvelle. Et parce que c’est 2019, il continue à être numéro-un. What a time to be alive.
Autres succès
Les jeunes ont la cote en 2019. Parlez-en à Billie Eillish, qui est tellement jeune que Drake ne peut s’empêcher de la texter. À 17 ans, elle crée un raz-de-marée avec son premier album. La chanson Bad Guy sonne comme un mélange de vieux Lorde et d’apocalypse : c’est elle qui aura le plus de succès. Avant son 18e anniversaire, son disque When We All Fall Asleep, Where Do We Go? est nommé l’album le plus populaire de l’année par Billboard aux États-Unis.
Au Canada l’album se classe deuxième, derrière la bande sonore de A Star Is Born. Après sa prestation aux Oscars, où elle remporte le prix de chanson originale de l’année, Shallow explose en popularité. La ballade de Lady Gaga et Bradley Cooper, qui se conclut dans un refrain explosif, est l’une des rares choses sur lesquelles les Z comme les baby-boomers peuvent s’entendre.
Dans un moment où la positivité corporelle est enfin à la mode, Lizzo devient une guru. La chanteuse et rappeuse veut te rappeler que tu es belle comme tu es, en laissant derrière quelques grosses chansons à gauche et à droite. Deux ans après sa sortie, Truth Hurts devient son plus grand succès. Sinon, le nouveau couple de Shawn Mendes et Camila Cabello est adorable sur Señorita, les Jonas Brothers font un retour inattendu et Taylor Swift ne peut acheter un numéro un en 2019.
Au Québec
« Eille! Fais-tu frette?!? » Coton Ouaté est sans contredit la chanson de l’année au Québec. Avec un clip viral et un refrain accrocheur, le groupe Bleu Jeans Bleu entre définitivement dans l’imaginaire collectif québécois. Pendant ce temps, le rap québ est en grande forme alors que Loud se paie deux Centre Bell en mai.
Alors que Roxane Bruneau remporte le Félix de la chanson populaire de l’année, Daniel Bélanger revient à l’avant-scène. Pas qu’il ait fait grand-chose d’extraordinaire en 2019 : il a plutôt inspiré Charlotte Cardin et Cri à faire une reprise de Fous n’importe où. Plus tard dans l’année, les bons vieux Cowboys Fringants accumulent les écoutes avec L’Amérique pleure.
Succès critiques
Les femmes dominent les palmarès critiques en 2019. D’abord, Lana Del Rey fait paraître un grand album avec Norman Fucking Rockwell! Après une décennie à perfectionner son art, la chanteuse est enfin reconnue pour ses talents d’autrice. Ses textes sont riches, ses ambiances sonores sont léchées et sa poésie est comparée à celle des plus grands. On applaudit autant la ballade rock Venice Bitch de neuf minutes que la pièce The Greatest.
Puis, il y a FKA twigs qui crée un malheur avec Magdalene. Cinq ans après son dernier long jeu, la chanteuse à la voix délicate offre un autre paquet de chansons grandioses. Parlant de grandeur, Angel Olsen pousse son indie rock vers des contrées inexplorées pour un album orchestral et ambitieux. Weyes Blood fait aussi une belle percée avec Titanic Rising, un album aux qualités cinématographiques. La chanson de l’année appartient toutefois à Sharon Van Etten avec Seventeen. J’ai moi-même pleuré lorsque j’ai vu sa prestation dans un late show américain.
Au Québec, c’est Laurence-Anne la vraie MVP avec Première apparition. L’album est rempli de chansons essentiellement pop, mais arrangées et construites comme rien d’autre auparavant. Avec ses ambiances amphibiennes et ses mélodies abondantes, le projet place l’ancienne finaliste des Francouvertes à l’avant-plan de ce qui se fait de mieux. Donnez lui le trophée Hart quelqu’un. Le groupe Chocolat fait aussi très bonne figure avec le très ambitieux projet Jazz Engagé, qui puise dans des décennies de rock pour former un tout psychédélique à souhait.
Et voilà ce qui conclut la décennie 2010-2019. Une décennie où les genres musicaux, ça existe encore, mais c’est flou. La nouvelle génération puise dans tout sans compter, et les influences sont plus diverses que jamais chez la relève.
De mon côté, je vais garder les années 2010, ma décennie formatrice, celle de mes premières brosses, de mes frenchs maladroits, de mon émancipation, de mes débuts de carrière, bien ancrée confortablement dans un coin tout désigné de ma mémoire. Honnêtement, je ne suis même pas encore capable d’imaginer le bordel que ça va être la musique dans les années 2020. Et dire qu’une nouvelle génération aura le privilège de se former au son de cette musique-là. Je leur souhaite d’avoir autant de fun que moi.