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20 ans plus tard : l’émission American Idol était-elle une bonne idée?
Le 4 septembre dernier, l’Amérique célébrait les vingt ans du grand triomphe de Kelly Clarkson sur Justin Guarini lors de la toute première finale d’American Idol au Dolby Theatre de Los Angeles.
Ou pas.
Malgré l’émergence du monolithe culturel des concours musicaux télévisés depuis deux décennies, la victoire de Kelly Clarkson sur un compétiteur largement oublié aujourd’hui n’est qu’un lointain souvenir pour la plupart d’entre nous. Peut-être connaissez-vous Kelly, mais ignoriez qu’elle avait fait ses débuts à American Idol. Ça ne ferait pas de vous quelqu’un d’inculte.
Les deux autres gagnant.e.s qui peuvent se targuer d’un degré de popularité similaire sont Carrie Underwood et, jusqu’à un certain point, Phillip Phillips.
Contrairement à la majorité des gagnant.e.s, la popularité de la diva texane dépasse largement le paradigme de l’émission l’ayant fait connaître. En vingt saisons, les deux autres gagnant.e.s qui peuvent se targuer d’un degré de popularité similaire sont Carrie Underwood et, jusqu’à un certain point, Phillip Phillips.
Oui, oui, je connais Adam Lambert, Clay Aiken et Jennifer Hudson, mais ils n’ont pas gagné.
C’était néanmoins le début d’une époque. Celle de The Voice, X Factor, Star Académie et compagnie, des émissions qui nous permettaient désormais d’observer l’ascension fulgurante et organique de monsieur et madame Tout-le-Monde vers les sommets du monde de la musique. Une époque aussi perçue comme une appropriation homogénéisée des talents musicaux à l’échelle planétaire par les passionné.e.s de musique.
Vingt ans plus tard, est-ce qu’on peut dire que la « révolution American Idol » a vraiment ruiné la musique?
Napster, iTunes et le nouveau marketing
American Idol n’est pas du tout le premier concours musical télévisé. Ce serait plutôt Eurovision, qui date de 1956. Il ne s’agit pas non plus de la première compétition interactive basée sur le modèle de la téléréalité. La mouture progénitrice d’American Idol présentée au Royaume-Uni sous le nom Pop Idol était elle-même inspirée d’un concept néo-zélandais nommé PopStars et diffusé deux ans auparavant. Mettons que c’était pas aussi raffiné.
Ce qui différencie American Idol de ses prédécesseurs, c’est : 1) le contexte culturel duquel il est issu, et 2) le marché américain.
En 2002 (l’année de diffusion de la première saison), l’industrie était en pleine crise post-Napster. Ceux et celles qui l’ont vécu s’en souviendront, c’était impossible de vendre des chansons à quiconque à l’époque parce que c’était trop facile de s’en procurer gratuitement. Les ventes d’albums se sont alors évidemment mises à chuter. C’est à ce moment que Simon Fuller (oui, oui, le pas fin qui blast tout le monde aux auditions) a eu l’idée du siècle : vendre les artistes à la place.
Kelly Clarkson avait le talent, la personnalité et la vision créative pour percer dans le milieu avec ou sans l’aide d’American Idol.
Qui de mieux placé pour étrenner cette nouvelle manière de promouvoir la musique qu’une jeune texane all-american à la voix puissante et aux yeux remplis d’espoir? Kelly Clarkson (que j’adore en passant) avait le talent, la personnalité et la vision créative pour percer dans le milieu avec ou sans l’aide d’American Idol. Avant même que l’Amérique puisse entendre Stronger, Since U Been Gone et autres classiques en devenir, elle tombait en amour avec la petite blonde chanteuse de chorale, dernière d’une famille de trois. C’était une histoire que les gens voulaient entendre, mais à laquelle ils voulaient participer.
Avec l’arrivée d’iTunes, c’était aussi plus facile de vendre les chansons une à la fois à 99 sous l’unité au lieu de pousser des albums à 25 $ avec trois bonnes chansons dessus comme c’était le cas quelques années auparavant. Encore aujourd’hui, c’est plus payant d’écrire des chansons que des albums.
C’est pour ça qu’American Idol est devenu le phénomène qu’il est aux États-Unis et non au Royaume-Uni deux ans auparavant. Aux États, on aime les histoires d’underdogs et surtout, on sait comment les raconter et les vendre.
Moins d’un an plus tard, le Québec couronnait sa propre histoire de succès à son image en déclarant le fils de pêcheur néo-brunswickois Wilfred Le Bouthillier gagnant de la première édition de Star Académie. Parce que ce qui se passe dans le marché américain a toujours des échos partout dans le monde.
Est-ce qu’American Idol a ruiné la musique?
L’émission a moins changé le milieu de la musique qu’on pourrait le penser. Du moins, elle n’a pas porté de coup au modèle d’affaires qui n’avait pas déjà été porté par l’arrivée d’internet.
En fait, les concours musicaux télévisés n’ont pas exactement réinventé le processus d’affaires des maisons de disques. Ils l’ont juste rendu public : on y voit de nombreux.euses aspirant.e.s, peu attirent l’attention des décideur.euse.s et parmi les heureux.euses élu.e.s, peu ou pas auront la carapace et la vision créative pour faire carrière dans le milieu à long terme. Ça se passait derrière les portes fermées avant American Idol, et maintenant, ça se passe à la télé et vous pouvez voter pour votre candidat.e préféré.e. Votre vote n’aura aucune incidence sur la longévité ou la profitabilité de votre candidat.e, mais on vous en fait quand même sentir vaguement responsable.
Bon, est-ce que ça a trop démocratisé le milieu de la musique? Est-ce que ça motive les gens sans personnalité et sans créativité, mais avec une belle voix, à essayer de devenir des stars? Bien sûr que oui. Les American Idol et Star Académie de ce monde leur donnent leur quinze minutes de gloire, mais le processus de sélection naturelle de l’industrie musicale les élimine somme toute assez rapidement lorsque les projecteurs se tournent vers les participant.e.s de la saison suivante.
Ce n’était ni bon ni mauvais. C’était un changement qui s’imposait, c’est tout.
Vous rappeliez-vous même le nom de l’adversaire de Kelly Clarkson lors de la première finale avant que je le nomme en introduction? Pour ceux et celles que ça intéresse, Justin Guarini a enregistré deux albums en 2003 et 2005 et chante maintenant les chansons des autres dans la comédie musicale Once Upon a Time sur Broadway..
Ça a fait vingt ans cette semaine que les concours musicaux télévisés ont commencé à produire des chanteurs et chanteuses à vitesse grand V et à donner à votre cousin.e, votre collègue ou à vos connaissances bizarres du secondaire une chance de faire valoir leur talent devant tout le monde, et à nous, l’opportunité de les juger, de les sauver ou de les éliminer.
La victoire de Kelly Clarkson était bel et bien un tournant culturel, mais elle n’a pas influencé la qualité de la musique produite au sens large. Simplement sa présentation et sa promotion. Ce n’était ni bon ni mauvais. C’était un changement qui s’imposait, c’est tout.
Il y avait de la musique pop disponible partout avant American Idol et il y en aura encore longtemps après. La différence, c’est qu’aujourd’hui, on peut participer semaine après semaine au processus de sélection d’une industrie froide et carnassière envers ses artistes et développer une relation avec eux et elles avant de développer une relation avec leurs chansons. Sans vouloir être un élitiste à deux balles : mis à part Marie-Mai, pouvez-vous nommer cinq chansons des diplômé.e.s de la première édition de Star Académie sans utiliser Google?
Ouin, moi non plus.