Logo

100 jours

Mes amis, l’heure est au bilan.

Par
Judith Lussier
Publicité

Tous les soirs, le grondement des hélicoptères nous donne l’impression qu’on est assiégés, on regarde «la guerre» à la télé quand on ne marche pas, on craint l’arrivée de l’armée et on espère attirer l’attention de l’international grâce à Xavier Dolan. Après 100 jours de crise, voici mon bilan.

1. C’est exagéré

Prenons un peu de recul. Mettons-nous dans la peau d’un Syrien deux minutes, c’est sûr qu’on n’est pas si à plaindre que ça. Là-dessus, Isabelle Maréchal a un peu raison. C’est vrai qu’à la base, une hausse des frais de scolarité ne justifie pas à elle seule tout ce qui est en train de se passer en ce moment : le bain de sang, les concerts de casseroles, les mojitos de Line Beauchamp, etc. Ça me fait penser aux chicanes de couple qui commencent par une niaiserie (ex. tu ranges jamais le beurre) et qui finissent par «c’est toi ou c’est moi qui déménage?». La conclusion de ça, par contre, ce n’est pas que les étudiants (ou ceux qui manifestent dans la rue) sont des enfants gâtés, mais plutôt que le gouvernement est vraiment mauvais pour gérer une crise. En tout cas, c’est pas Jean Charest qui aurait gagné La Franchise.

Publicité

2. La loi 78 est inapplicable… évidemment

Moi, quand la loi 78 était en train d’être votée, ça m’écœurait un peu, j’avais même le goût d’aller lancer des roches, mais en même temps, mon aptitude à «pelleter quand il va neiger» m’épargnait toute panique prématurée. Quelque chose en moi se disait que pire elle serait, plus la loi 78 deviendrait inapplicable. Et plus elle foutrait le
bordel. Franchement, ceux qui l’ont votée de même que ceux qui s’en sont
réjouis n’avaient rien compris de la dynamique actuelle. Le soir, j’écoutais Mathias Tellier, expert en tactiques policières, expliquer à RDI comment pourrait s’appliquer ladite loi : «Les policiers devront faire preuve de beaucoup de discernement, disait-il. Ils ne devront pas s’en prendre à la majorité qui manifeste pacifiquement, mais se concentrer sur ceux qui font de la casse». Bref, faire comme d’habitude.

3. Les étudiants

Faire comme d’habitude, mais gérer beaucoup plus de monde. Parce qu’avec la loi 78, ce ne sont plus seulement des étudiants, qui sont dans la rue. C’est aussi Agnès Maltais.

4. La politique sur les terrasses

Dimanche matin au restaurant, la madame à côté de nous lisait Nouveau Projet. Quelques minutes après, sa fille est arrivée : «Hier, ça s’est mal terminé. Y a eu un feu sur Saint-Denis, des policiers aspergeaient des clients sur les terrasses». Elle donnait ainsi un compte rendu détaillé à sa mère (forcément politisée puisqu’elle lisait Nouveau Projet) des événements survenus la veille, prenant soin de lui expliquer c’est quoi Twitter, c’est quoi Anonymus, etc. Le lendemain, en l’espace de 15 minutes, j’ai vu trois noirs s’obstiner à savoir si les indiens étaient aussi des hommes, un pauvre sortir de l’épicerie en criant «que j’en voie un m’arrêter parce que j’ai volé un sandwich, osti j’ai faim!» comme si tout lui était dû, et un douchebag dire à son ami douchebag «mais tsé, la moitié de la population ne pense pas comme toi». Comme si plus aucune conversation n’avait le droit d’être insipide. C’est merveilleux.

Publicité

5. La théorie du complot des deux bords

On sait qu’on vit dans un climat politique malsain quand la confiance vacille dans les deux camps, quand on sent, d’un côté ou de l’autre, qu’on se fait enfirouaper. Durant la fin de semaine, certains disaient que le propriétaire du Saint-Bock dont les clients avaient été aspergés de poivre de Cayenne sur la terrasse la veille refusait de montrer la vidéo complète des événements parce que ça l’incriminerait sûrement de quelque chose. Sur les réseaux sociaux, la photo d’un présumé agent provocateur (présumé, quoi, parce qu’il portait des écouteurs?) circulait. D’autres ont cru que Vidéotron filtrait les courriels contenant un lien pour dénoncer la loi 78. Mais ce qui me fait le plus rire, des théories du complot, et surtout de celles qui sont attribuées aux médias, c’est qu’il y a des gens qui pensent que quelqu’un de chez Vidéotron se donnerait le trouble d’orchestrer une manœuvre complexe, controversée et à fort potentiel de créer de l’indignation, dans le simple but d’aider le gouvernement. Les médias n’ont pas besoin de ça, ils ont les sondages.

Publicité

6. Les sondages

Je vous rappelle que peu importe ce qu’ils racontent, les sondages sont toujours faits auprès d’un échantillon très restreint (genre 1000 personnes pour représenter 7 millions de Québécois) de la population. Ils sont donc toujours à prendre avec des pincettes. Par contre, il y a des limites à jouer avec la présentation des données, svp.

7. Les casseroles

Au début, quand j’ai entendu dire que des gens allaient manifester devant chez eux en tapant sur des casseroles, je me suis dit que c’était vraiment un truc de paresseux engagé mollement dans la cause, ou l’équivalent de dire «va-t-en» à un loup qui veut vous attaquer. Mais j’ai quand même vécu un petit quelque chose en regardant les vidéos de manifestations de casseroles sur internet. Ça fait que je vais essayer ça ce soir, 20h. Pas certaine que nos voisins portugais vont embarquer.

Publicité

8. Quoi faire avec Twitter

Ces jours-ci, un statut du genre : «Hey la gang! Je me suis fait bronzer toute la fin de semaine au chalet, ça fait du bien de décrocher», c’est sûr que ça passe un peu tout croche. Pire que ça : «Moi, le conflit étudiant, PU CAPABLE!». À cela, on serait tenté de répondre «désolé si ça dérange, on est juste en train de protéger tes droits» (ben, pas moi là, mais ceux qui marchent dans la rue, mettons). Pour atténuer la frustration dans les deux camps, je propose cette étiquette pour temps de crise : Règle no. 1 (à l’intention des gens qui ne se sentent pas concernés par la crise actuelle) À moins de situation exceptionnelle (ex. naissance d’un bébé, obtention d’une bourse ou bar-mitsvah de votre plus jeune) évitez les statuts légers. On sait que c’est difficile d’entretenir une conversation sérieuse, mais vos fans ne vous en voudront pas si vous n’avez rien à dire durant quelques semaines. Si vous êtes incapable de vous retenir, assumez qu’il y aura quelques désaccords. Après tout, il y a, vraiment, quelque chose de sérieux qui se passe au Québec en ce moment. Règle no. 2 (à l’intention des indignés) Inutile de rappeler à l’émetteur d’un statut trop léger à votre goût que vous avez été aspergé de poivre de Cayenne au nom de ses droits et liberté. Après tout, la vie continue et on n’est pas obligés de twitter dans la lourdeur à chaque instant.

Publicité

9. Les médias

Les gens chialent beaucoup au sujet des médias. Radio-Canada est trop à gauche, Quebecor trop à droite, La Presse trop à Desmarais, etc. Mais à voir les niaiseries que partagent certaines personnes sur les réseaux sociaux, j’aime encore mieux m’informer auprès des médias.

10. Le sensationnalisme

Hier, dans la rue, j’ai entendu un vieux monsieur (le genre à courir les cafés à 1$) dire à son chum : «Eh eh, ça a pété hier soir!». J’en soupçonne certains d’être déçus qu’il n’y ait pas eu de casse cette nuit.

Suivez @JudithLussier sur Twitter.

Commentaires
Aucun commentaire pour le moment.
Soyez le premier à commenter!