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Oui, mon métier c’est de faire rire les gens. Ça fait six ans que je fais ça. Est-ce que j’en vis? Pas toujours. Ça doit être le fun? Oui, sinon j’aurais été le premier à faire autre chose. Est-ce que c’est facile? Non, c’est horriblement difficile même pour ceux qui l’ont facile. C’est beaucoup de sacrifices? Faut savoir gérer son temps. Est-ce que ça en vaut la peine? Si c’est vraiment ce que tu veux faire, oui.
Faut dire que ces temps-ci, le métier a la cote.
Tout le monde fait du stand-up, les comédiens s’y lancent, les animateurs, Gilbert Rozon, Joël Legendre, Emmanuel Bilodeau, Valérie Blais… Et avec raison!
C’est prestigieux l’art de faire rire; être suffisamment charismatique, suffisamment intéressant, suffisamment bon conteur pour déclencher sans arrêt le même réflexe d’amusement surpris chez ton public, cette bonne vieille chose que l’on appelle le rire. Ça donne envie d’en faire. Si en plus, t’étais pas super populaire à l’école, ça donne absurdement envie d’en faire. Ça a l’air facile, c’est badass un humoriste, comment tu résistes à ça mettre le théâtre St-Denis ou le Madison Square Garden dans ta poche juste en disant des affaires?
Au Québec on commence tranquillement à voir la nouvelle génération de comiques donner du fil à retordre aux plus vieux : les Adib Alkalidey, François Bellefeuille, Guillaume Wagner, Marianna Mazza, Phil Roy, Simon Leblanc, s’il faut en nommer. Des carrières fulgurantes, des succès rapides, les fans, les entrevues télé, les galas… Ça donne envie d’en faire… Ça donne envie d’en faire, mais malheureusement ce sont les histoires à succès.
Avant tout ça, cher ami qui veut te lancer dans l’art ancestral du stand-up comedy, il te faut tout d’abord survivre à être un “humoriste de la relève”… Ça, c’est le bout dont on parle un peu moins en entrevue, et pourtant les années les plus formatrices d’une carrière, à mon humble avis.
Voici donc l’essentiel de ce que j’ai appris pour être avec succès un humoriste pas connu.
1- C’est un petit milieu, fais-toi des amis
Un bon moyen de commencer avec élégance dans tout milieu artistique, c’est d’en rencontrer les principaux artisans. Sur ce point, c’est relativement facile, suffit de sortir.
À Montréal seulement, il y a des soirées d’humour tous les soirs de la semaine, et voir les artistes en action constitue un excellent moyen d’apprendre le métier en se familiarisant avec les visages de tes nouveaux collègues. C’est un petit milieu, une sorte de grande famille dysfonctionnelle pleine de cousins weird; tout le monde se connaît, on se croise plutôt rapidement sur une semaine régulière de travail, entre dans le groupe le plus vite possible.
C’est aussi simple qu’aller jaser aux artistes après le spectacle, respectueusement, sans monopoliser la conversation pendant une heure, partager ta passion, poser des questions; tu seras surpris, les gens sont vraiment fins. On a tous déjà été le petit nouveau timide de parler à un “vétéran” et, pour ma part du moins, ça fait toujours plaisir de partager mon expérience et rencontrer les nouveaux venus.
Tu n’auras pas nécessairement d’atomes crochus avec tout le monde, fais-toi des amis comme à l’école, bâtis ton réseau, informe-toi sur “qui booke quelle soirée”, fais-toi voir dans ton nouvel environnement. Les noms circulent rapidement, une réputation positive aussi, ça fait des miracles quand vient le temps de faire une place à un “nouveau” sur un spectacle.
2- Ne crie pas tout de suite sur tous les toits que tu es “le nouvel humoriste en ville”
Ça va paraitre un peu parano, mais rien ne fait plus mauvaise impression qu’un débutant qui s’autoproclame “humoriste” d’emblée.
La plupart des gens dans le métier ont travaillé fort et longtemps avant d’avoir la confiance de référer à eux-mêmes comme “professionnels de l’humour”; fais-en de même, sois humble, au même titre qu’un étudiant en médecine ne se présente pas comme neurochirurgien avant d’avoir gossé dans minimum un cerveau sans que le patient finisse dans une housse en plastique. Même chose!
Concrètement, avant de partir ta fanpage Facebook, de faire imprimer tes cartes d’affaires, ton site web et tes t-shirts “Olivier Chabot humoriste”, fais ton baptême de feu, enchaine les spectacles pendant quelques mois, ton nom va circuler par lui-même, le milieu sera curieux à ton égard, sors ton meilleur matériel et LÀ impressionne tout le monde. C’est très facile de se dire humoriste, mais rien ne le prouvera plus aux yeux de tes collègues qu’en être un dans les faits. Autrement dit, sois bon, le titre viendra avec et tu t’éviteras beaucoup de “Olivier Chabot HUMORISTE??? Pffff… En tout cas, il est mieux d’être bon en esti!” de la part de tes futurs compatriotes.
3- Tu vas te planter, profites-en pour apprendre
Oui désolé, ça sonne plus pessimiste que voulu, mais tu vas te planter. Inévitablement, 100% des chances, personne n’est à l’abri d’un mauvais spectacle.
La route de l’humoriste de la relève est pavée de huit minutes à zéro rire. Mords dans un bout de bois, on n’y échappe pas. C’est humiliant, c’est frustrant, ton échec est dans ta face au fur et à mesure que ton numéro va mal, les gens vont faire comme si tu n’existais pas à la fin de la soirée, et c’est le pire qui va arriver. La bonne nouvelle, c’est que pour tout échec, il y a une explication beaucoup plus complexe que le “t’es peut-être juste poche” avec lequel tu vas t’autoflageller jusqu’à ton prochain bon coup.
L’échec, ça s’explique : filme tes numéros, surtout au début, c’est le meilleur moyen de corriger rapidement le gros de tes défauts. Si le public n’a pas été amusé par une blague, il y a une explication, à toi de la découvrir et par le fait même en apprendre plus sur toi-même en tant qu’artiste.
Se planter c’est une superbe façon d’apprendre et de devenir meilleur, suffit de rester autocritique, retravailler, adapter, oser quand tu veux oser et, règle générale, tu seras la première personne à être surprise par ton potentiel.
4- Tes héros sont beaucoup plus faciles d’accès qu’on pourrait le croire
Au fur et à mesure que les choses avancent, viendra un moment où tu te retrouveras en contexte professionnel avec “une vedette”. Un jour, tu vas pousser la porte des loges et tomber à mi-chemin dans une anecdote de Jean-François Mercier racontée à Louis-José Houde… C’est intimidant, parfois complètement terrifiant, mais la bonne nouvelle c’est que tous tes héros sont aussi des humains dans une situation professionnelle semblable à la tienne.
Reste calme, reste toi-même, n’essaie pas trop d’impressionner, surtout pas trop de faire rire, monopolise pas la conversation et tu seras le premier surpris de te retrouver à tutoyer tous ces gens-là. Devenir un bon collègue de tes idoles, c’est le meilleur moyen d’en devenir éventuellement l’ami. Ces gens-là sont pas là pour faire de toi une vedette, mais pour être honnête, je suis toujours surpris par la générosité des humoristes “connus” que j’ai eu le plaisir de rencontrer et des fois, j’ai bien dit CERTAINES FOIS, ça finit par mener à des projets communs…
5- On ne se sauve pas du “circuit des bars”
On a tous cette vision glamour du numéro d ’humour livré devant une salle de 500 personnes pleine à craquer, les caméras, la reprise sur Vidéotron… Malheureusement, il est possible que les dix premières années de ta vie d’humoriste se résument à jouer dans un bar qui avait besoin d’attirer du public pour vendre de la bière. C’est le circuit des bars et des soirées d’humour : 25$ pour dix minutes et ton degré de plaisir va être influencé en grande partie par l’administration de la soirée.
Il y en a des superbes, une centaine de personnes motivées avec des animateurs qui travaillent la foule comme des pros pour que toutes les conditions soient de ton côté… Et il y a le fameux : “5 personnes se sont présentées et le bar ne voulait pas qu’on annule”.
La bonne nouvelle c’est qu’il y a moyen de donner un bon spectacle dans les deux cas, performer dans des situations “dangereuses”, c’est un défi nécessaire. Comprends ton public, parle-lui, investis-le et tu seras le premier surpris à avoir plus de plaisir devant 15 personnes intéressées qu’en face de 150 qui écoutent à moitié.
Bien sûr, des fois aussi c’est simplement une soirée de marde et il faut vivre avec…
6- Les relations de couple vont être difficiles
C’est une job de nuit, les spectacles commencent en moyenne vers 20h-21h, ça se termine après minuit si tu reste prendre une bière, le jour tu écris, et ça c’est si tu as le bonheur de ne pas avoir un autre emploi pour faire l’épicerie, tu penses à tes jokes en travaillant, tu penses à tes jokes dans tes temps libres, si ça va plus ou moins bien c’est “Bienvenue à dépression introspective ville”…
Toutes ces choses peuvent être un peu difficiles à gérer pour l’être aimé, c’est pas évident être un chum ou une blonde d’humoriste.
Ce n’est pas une job de 9 à 5 et je crois que c’est quelque chose qui doit être mis au clair très rapidement pour tout le monde. Si l’être cher n’a rien à faire de sa peau quand il n’est pas en votre présence… Des tensions il y aura. Ça prend des amoureuses/amoureux indépendants, pas mal de communication, des compromis et surtout, que l’humoriste s’oblige à prendre un break de temps en temps.
Ce ne sont pas des horaires réguliers, il faut gérer son temps comme un pro, mais aussi être capable de mettre la switch à “off” même quand on a pas travaillé autant qu’on le voulait. Personnellement, j’en ai sacrifié des relations au dieu du travail et je l’ai toujours regretté par la suite. Certaines personnes sont capables de gérer ce train de vie, d’autres non, mais qu’on se le tienne pour dit, aucun métier ne vaut la peine d’abandonner les gens que tu aimes.
7- Ne lisez jamais les commentaires sur YouTube
Ah oui, surprise! Tout le monde ne vous aimera pas! Jumelez tout ça avec le phénomène que grâce à internet il n’a jamais été aussi facile de dire à tes artistes préférés à quel point ce qu’ils font c’est de la merde…
Lire les commentaires est souvent un excellent moyen de revivre de mauvais moments d’intimidation au secondaire.
Si vous publiez une vidéo, un texte (ou même un article sur URBANIA), ne lisez JAMAIS les commentaires. Les gens sont protégés par l’anonymat, ils seront aussi trou-de-cul qu’humainement possible dépendamment à quel point ils ont eux-mêmes des vies de merde; c’est un métier super valorisant la plupart du temps, ça fait des jaloux, et ironiquement, au lieu de trouver leur propre talent, certains choisiront de vous manifester “à quel point vous n’en avez pas”. Évitez-vous ça, soyez le juge de votre potentiel, et quoi que vous fassiez, ne répondez surtout pas aux haters.
Je l’ai essayé dans le passé, c’était du sadomasochisme et personne n’a appris quoi que ce soit.
8- Ne fourrez pas entre humoristes
Premièrement, bonne chance pour gérer une relation où les deux partis sont des bombes à retardement d’horaires impossibles, de stress, de mood swings et d’éternelle recherche d’attention (ah oui, on est comme ça!).
Deuxièmement, même si c’est juste sexuel ça mène toujours, je dis bien TOUJOURS à de la jalousie, des moments akward entre collègues de travail, des rumeurs intra-milieu, des réputations de salope, en fin de compte tu te retrouves prisonnier à la job avec quelqu’un de qui tu devrais t’éloigner, s’il y a des sentiments unidirectionnels tu ne peux pas simplement décrocher en arrêtant de voir la personne (c’est un milieu microscopique, je croise tout le monde tout le temps)…
En fait je vais en profiter pour paraphraser ma collègue auteure/humoriste Mélanie Couture : “Les gars/filles, il y a d’autres vagins/pénis!”
9- Des fois, être humoriste de la relève, ça te fait découvrir que tu ne voulais pas vraiment faire ça
Et c’est tout à fait louable. J’ai des collègues qui ont commencé en stand-up et se sont découvert réalisateurs, auteurs, mimes, comédiens…
Tous ces gens œuvrent encore dans le milieu de l’humour, ils vivent le rêve d’être payés pour faire rire et c’est le but du jeu. En fait, le point que je veux faire ici c’est qu’on finit inévitablement par découvrir sa saveur, son médium humoristique. Essaie des affaires, découvre quel genre d’artiste tu es, mais surtout n’aie pas honte si tu en viens à réaliser que tes années en tant qu’humoriste n’étaient qu’une transition vers autre chose.
Le fin mot de l’histoire, c’est de gagner ta vie à faire la chose que tu aimes le plus.
10- Dis ce que tu veux
Oui, il y a une façon de rire de tout si c’est fait de la bonne façon. Oui, le stand-up est un art en pleine évolution et c’est en essayant de faire les choses différemment qu’on découvre de nouvelles façons de les faire.
En gros, fais-toi confiance, dis ce que tu veux dire de la façon dont tu veux le dire, ne change pas si tu ne veux pas changer, écoute-toi, fais ton art comme il te vient. Non, ce ne sera peut être pas une carrière super jet-set avec des tapis rouges et des nominations aux Olivier dans la catégorie découverte de l’année, ça tombe bien, l’article ne s’appelle pas “10 trucs pour survivre en tant que vedette”.
Être un artiste de la relève, des fois c’est la conséquence de faire les choses à sa façon, j’ai déjà vu des façons moins honnêtes de mourir me semble…
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Pour lire un autre texte de Charles Beauchesne : “Bishop and Bagg : moi, je brunche britannique”