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1-2-3-4 secondes

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L’actualité est toujours mince en début de nouvelle année. On joue dans les restants et on essaie de se débarrasser du réflexe de faire des palmarès. De toute façon, j’ai toujours trouvé que les nouvelles faisaient un bien piètre sujet pour une première date. (Je ne sais pas vous, mais c’est un peu comme ça que je me sens aujourd’hui. En première date.)

En plus, « La manette, c’est vous », qu’elle dit en ce moment, l’actualité. Ta gueule, l’actualité. Un, c’est faux : levez la main ceux qui ont l’impression de contrôler quelque chose. Deux, on repassera pour le romantisme. Parlons plutôt des vraies affaires, celles qui étaient vraies le siècle dernier et qui le seront le siècle prochain. On parlera petit plus tard, à notre troisième ou quatrième déjeuner.

Universellement, il faut 4 secondes pour se décider à embrasser quelqu’un. On peut y penser pendant longtemps, mais il faut 4 secondes pour le faire. Pas 3, pas 5, 4. Comptez avec moi. Reconnaître que c’est le bon moment : 1 seconde. Se confirmer qu’on en a vraiment envie : 2 secondes. Considérer la possibilité du rejet : 3 secondes. Se lancer ou se passer la main dans les cheveux, selon le niveau de confiance qu’il reste après l’image mentale épouvantable générée à la seconde 3 : 4 secondes. S’il y a baiser, les lèvres – ou, si vous êtes esquimaux, les nez – se touchent pile à la quatrième seconde. Il est possible que certaines personnes prennent 3, 5 ou 8 secondes à vous embrasser. Ne les jugez pas; ce sont les mêmes qui tapent des mains en retard ou en avance sur la musique. Et universellement, tout le monde les remarque et tout le monde se dit : “C’est pas si grave, dans le fond.”

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Il y a aussi ceux qui passent toute une vie à vouloir embrasser quelqu’un en particulier et qui n’osent jamais. Mille fois, ils bloquent à la seconde 3 et retournent chez eux se frapper la tête contre les murs. Ils en embrassent d’autres, les yeux ouverts et un peu tout croche, en se foutant bien du nombre de secondes qui précèdent le moment puisque merde, ils sont déphasés de toute façon, la langue impliquée dans le baiser Plan B depuis une éternité.

Il faut probablement 4 secondes pour se décider à tuer quelqu’un. On peut y penser pendant longtemps, mais il faut 4 secondes pour le faire. Comptez avec moi. 1-2-3-bang. La même démarche que pour le french. La plupart d’entre nous auront l’idée un jour et tourneront les talons avant la fin de la seconde 1 – on ne va pas réellement tuer le chien du voisin qui pleure toute la nuit – mais les plus écorchés d’entre nous se lanceront quand même et choisiront de tirer à la quatrième seconde, sur les plans A, B, C et D, dans un meeting devant un supermarché à Tucson en Arizona par exemple, les yeux fous et un peu tout croche.

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Entre les deux, entre le french et l’assassinat, il y a toutes les autres 4 secondes. Avec des issues de degrés divers de gravité.

Par exemple, il me faut 4 secondes pour envoyer le message texte: « Hey! Je viens de boire un Coke, ça m’a fait penser à toi. La vie est bonne? » à mon ex. Ben oui, je sais.

Il vous faudra 4 secondes pour décider ne pas aller vous entraîner aujourd’hui, faute de whatever.

Il faut 4 secondes – ok, disons 6 – à un gars chaud pour décider de prendre sa voiture et 4 secondes à Lynda Lemay pour écrire une toune là-dessus.

Il faut 4 secondes à André Caillé pour dire : « De la marde, on creuse icitte. »

4 secondes à un maniaco-dépressif pour arrêter de prendre ses médicaments et 4 secondes à un suicidaire pour se les balancer au complet.

Il faut 4 secondes à une erreur médicale pour arriver. 4 secondes au commandant Piché pour agir en héros et 4 secondes aux institutions pour en financer le film, le temps de lire les mots : trafic de drogue, catastrophe aérienne et Michel Côté.

Il faut 4 secondes à un certain Pierre-Karl pour prendre une décision de voyou (oh!), 4 secondes à sa conjointe pour décider de se lancer dans l’aquarium du studio et 4 secondes pour décider de renvoyer l’employé qui l’a supposément mal installé. Toujours les mêmes 4 secondes, avec la même possibilité de changer d’idée pendant 3. Quoi d’autre, aussi, qui prend 4 secondes? Le cancer, à s’installer dans un sein, aussi pro-allaitement soit-il. La vie, pour juste sacrer son camp.

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Il peut donc s’en passer, des choses, en 4 secondes. Tantôt, on met sa langue dans la bouche de quelqu’un d’autre et on partage avec lui un frétillement au bas-ventre – oui, dans certains cas moins heureux, on lui refile l’herpès buccal, mais bon, fut un temps où c’était le scorbut – tantôt, on piétine les autres, n’importe qui, tous les autres tiens!, en se disant : « C’est pas si grave, dans le fond. ». Parce que (et là, c’est vraiment parce que j’ai cherché et que c’est tout ce que j’ai trouvé), peut-être s’imagine-t-on qu’une fois rendu au sommet, on aboutisse devant le maître suprême de la téléphonie et de la convergence médiatique qui, en guise de remerciement à ses fidèles, distribuera des forfaits d’immortalité, comme si la fin du temps était véritablement arrivée, forfaits avec lesquels ils pourront vivre – ou parler sans-fil, c’est au choix – pour l’éternité. Alors là, ça expliquerait l’issue de certaines 4 secondes. Et encore.

Bonne année!