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Une blonde et une brune qui mangent de la poutine

Les aventures de l'homme moyen #47

Par
David Malo
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Samedi matin, au boulot, il y avait deux filles qui venaient de Chicago. C’était la première fois qu’elles visitaient Montréal. Je m’attarde un peu à leur table, car elles m’ont l’air très sympathiques, comme les gens qui sont en voyage le sont typiquement. Sans que cela nuise, elles sont également très belles. Une blonde et une brune, milieu vingtaine, beautés américaines. Je leur pose quelques questions, histoire de m’intéresser. Elles sont là pour le weekend, elles ont gagné ce voyage à l’hôtel où l’une d’entre elles travaille. Je leur demande ensuite, en anglais, ce qu’elles ont fait depuis leur arrivée.

(Aviez-vous lu le 46e épisode?: La Terre a déjà été plate)

« Qu’avez-vous fait depuis votre arrivée? »

Elles me répondent que ce matin elles étaient aux Mosaïcultures. Il paraît que c’est beau, j’ai vu des photos. Elles sont d’accord, mais avec ce qu’elles ajoutent, j’ai l’impression que ces sculptures de buissons sont plus grosses que je ne les imagine. On ne le saura jamais, l’imagination est quelque chose de bien personnel.

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Présentement, elles sont au Marché Jean-Talon pour le dîner et ce soir, elles aimeraient aller danser. Je ne connais pas d’endroit pour danser, mais je peux les aider avec la nourriture. Sans que je n’aille le temps de leur suggérer un item au menu, qui est en français, elles disent devoir essayer absolument la poutine. Comment connaissent-elles ce plat, que je me demande? Sans doute qu’un touriste québécois, qui visitait Chicago, leur en a parlé. C’est un peu cliché parler de poutine à des gens qui ne sont pas d’ici, mais c’est toujours bien mieux que de leur montrer à sacrer. D’ailleurs, étonnamment, beaucoup de Cubains savent sacrer. Nous les Québécois, quand nous sommes en voyage, nous parlons de poutine, des belles filles que l’on a ici au Québec, que nous avons la plus prestigieuse équipe de hockey de l’univers et que l’on est un peu différent du reste du Canada. Montréal c’est glamour, nous sommes à la même distance de New York en voiture que nous le sommes de l’Europe en avion. Fait intéressant pour certains.

Quand j’apporte leurs plats, elles me demandent de les prendre en photo avec leur poutine. C’est cute.

« – 1-2-3 poutiiiiine!
– poutiiiiiiiine »

C’est bien cadré. Voilà un beau souvenir du Québec.

Après y avoir goûté, elles adorent. C’est vrai que c’est bon.

Entre deux remplissages de verre d’eau, je leur parle de mon voyage en Floride et des autres endroits que j’ai visités aux States, incluant les voyages que j’ai faits avec mes parents. Je leur demande quel est leur endroit préféré dans leur pays. Elles me répondent qu’il y en a plein. Je les remets en contexte en leur disant qu’elles ne doivent qu’en choisir qu’un seul, qu’elles devront visiter pour le restant de leurs jours. Elles me répondent alors : la Floride. Nous ne sommes donc pas si dans le champ en voulant passer tous nos hivers là-bas! Elles me disent que mon anglais est très bon. Je leur dis que le leur aussi. Ça se voulait une blague, on trouve ça un peu drôle. Elles sont polies.

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Le temps passe et mon quart se termine, je leur demande si elles veulent autre chose avant de fermer leur addition. Elles prennent deux bières de plus. Je les apporte. Pour conclure notre interaction, je leur souhaite bonne continuité à leur voyage. Elles me remercient. Nous nous saluons. Je quitte le plancher pour compter ma caisse. Quand elles quittent le bar, elles m’envoient la main en même temps que leur plus beau sourire. Je fais de même. J’étais avec mes collèges en train de calculer. Ça se termine comme ça.

Samedi soir, je ne suis donc pas allé danser dans le vieux port, ni n’ai servi de guide sur le Mont-Royal dimanche après-midi. Je n’ai pas non plus de contact pour le jour ou je voudrai visiter la ville de Chicago. Malgré le bel échange que nous venions d’avoir, j’ai l’impression de ne pas avoir profité pleinement d’une opportunité que la vie m’offrait sur un plateau d’argent. Ça m’a laissé un petit goût amer, comme quand on laisse en plan quelque chose qui n’est pas terminé.

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Parfois, par gêne ou par peur du rejet, on met le poids de l’opportunité sur les épaules des autres. On se dit que les autres nous exprimeront ce qu’ils souhaitent et prendront en charge le fardeau de la demande. En réalité, tout le monde est comme nous, on pense que les autres sont trop occupés, qu’ils ont trop de plans avec leurs amis et qu’ils n’ont pas que ça à faire. La plupart du temps, c’est une fausse perception. C’est pour cela qu’il vaut mieux prendre les choses en main et ainsi permettre aux autres de nous dire « oui » ou de nous dire « non ». Attendre après les autres c’est trop incertain. Combien d’opportunités avons-nous manquées dans cette attente de l’autre? Qu’avons-nous réellement à perdre? Se faire dire non, c’est toujours mieux que rien?

Bien sûr, peut-être que si je leur avais donné mon numéro et offert mes services de guide pour le weekend, elles ne m’auraient pas appelé. Peut-être que si j’allais à Chicago, elles n’auraient pas pris le temps de me faire visiter. Toutefois, une chose qui est sûre, c’est que là, je ne leur ai même pas donné l’opportunité de ne pas m’appeler. C’est la pire chose que l’on puisse faire et pourtant, nous sommes bien outillés d’excuses pour ne pas l’avoir fait.

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La prochaine fois, la prochaine fois, la prochaine fois. Que l’on se dit.

Certes nous avons eu du plaisir pendant le dîner. C’était peut-être suffisant comme ça. Mais je n’ai pu m’empêcher de penser que j’aurais pu faire plus, leur faire vivre ce que j’aurais aimé vivre en voyage : être leur contact local, devenir l’ami qu’elles se sont fait Montréal et qu’elles deviennent mon contact à Chicago. Vivre un peu plus pleinement quoi!

Au final, c’est vraiment mieux de se dire que ce n’était pas dû, plutôt que de se dire : « j’aurais dont dû. »

Saisir une opportunité à moitié, c’est mieux que rien, mais c’est quand même pire que tout.

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