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La Padanie ou les ambitions sécessionnistes de l’Italie du Nord

Par
Jean-Benoit Bédard
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Tout au long de l’automne, Urbania sera présent pour vivre et commenter coup sur coup les référendums en Écosse et en Catalogne. En parallèle, nous explorerons aussi d’autres mouvements indépendantistes qui prennent forme un peu partout en Europe.

Pour lire l’introduction de cette série de reportages, c’est par ici.

Il m’aura fallu cinq voyages en Europe pour finalement mettre les pieds en Italie. Pas que j’aie quelque chose contre l’Italie, bien au contraire. J’ai toujours apprécié la culture italienne, son cinéma, sa gastronomie, ses créations artistiques. Il m’arrive même fréquemment de faire des détours par la Petite Italie à Montréal question de humer les doux effluves de gel à cheveux ainsi que les émanations de cire provenant des bolides chromés. Certes, il y en aura toujours un pour souligner que j’ai pris avec un certain contentement l’élimination hâtive de la Squadra Azzurra lors de la dernière Coupe du monde de football, mais cela, j’en conviens, c’est sans nul doute mon seul accroc.

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Bref, avant de mettre les pieds en Écosse pour suivre la dernière ligne droite de la campagne référendaire, il m’apparaissait pertinent de faire un petit saut en Italie du Nord afin de tâter leur velléité indépendantiste. Enfin, je dis l’Italie du Nord, mais disons plutôt la Padanie.

Qu’est-ce que la Padanie?

La Padanie, c’est le grand rêve sécessionniste de la Ligue du Nord (La Lega Nord), parti politique fondé en 1989 par Umberto Bossi. Ce parti est né de la fusion d’une dizaine de partis politiques régionalistes et autonomistes du nord de l’Italie qui, dès les années 1970, ont commencé à réclamer la décentralisation des pouvoirs et même, dans certains cas, l’indépendance pure et simple.

Pendant près de vingt ans, soit de 1996 jusqu’à tout dernièrement, la Ligue du Nord a renoncé à ses ambitions sécessionnistes pour revendiquer une plus grande autonomie au sein de l’Italie et l’instauration d’un régime fédéraliste. Toutefois, la dernière crise économique semble avoir ravivé, chez plusieurs, le rêve d’une Padanie indépendante. Voyons rapidement à quoi renvoie celle-ci.

Inutile de chercher la Padanie sur une carte du monde. Ses limites géographiques n’ont jamais été clairement définies. Parfois des régions comme la Toscane, l’Ombrie et les Marches s’y trouvent, des fois non, des fois en partie. Bien que la Padanie soit un regroupement de régions du nord, le terme renvoie davantage à un concept, celui de nation, qu’à un territoire géographique.

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Ici, peu de comparaisons peuvent être faites avec les autres mouvements indépendantistes européens. Contrairement aux Écossais, aux Catalans, aux Basques espagnols ou aux Flamands, la Padanie ne dispose pas d’une culture qui lui est propre, d’une histoire particulière ou même d’une langue commune. Or, comme elle ne peut appuyer son discours sur des notions préexistantes, elle a dû se créer sa propre identité. C’est dans cet esprit que dans les dernières années, la Ligue du Nord a fondé son équipe de football, s’est dotée de sa propre chaîne de télévision (Telepadania), de sa chaîne de radio (Radio Padania Libera), de son journal (La Padania) et même de son propre concours de beauté, le Miss Padania.

En somme, à défaut de pouvoir s’appuyer sur des référents culturels, linguistiques ou historiques, la nation padane a dû s’inventer. C’est pourquoi elle ne se définit pas tant par ce qu’elle est, mais davantage par ce qu’elle n’est pas, c’est-à-dire, des Méridionaux (habitants du sud) et des immigrés. En ce sens, selon une expression communément utilisée par les indépendantistes, les Méridionaux seraient des Terrones, c’est-à-dire des paresseux, des corrompus et des mafieux profitant des programmes sociaux payés par l’Italie du Nord, riche et industrialisée. L’indépendance serait donc un moyen pour les régions du nord, plus riches que celles du sud, de cesser de subventionner les régions du sud et conséquemment, de profiter entièrement de leurs richesses.

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Évidemment, l’indépendance est justifiée autrement par les idéologues padans. On parle davantage d’une identité menacée, de droits bafoués et de constantes injustices commises par la majorité du sud sur la minorité du nord. En ce sens, une image forte utilisée par la Ligue du Nord consiste à comparer la situation des Italiens du Nord à celle des Sioux aux États-Unis, ce peuple autochtone qui s’est vu voler ses terres et détruire son mode de vie au XIXe siècle. Toutefois, dans la version italienne, les Sioux, ce sont les Italiens du Nord et les Blancs, les Italiens du Sud.

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Alors, la question qui brûle les lèvres : « Verrons-nous dans les prochaines années l’avènement d’une Padanie indépendante? » Je ne suis évidemment pas le mieux placé pour y répondre. Nul n’est prophète dans son pays. Cela est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit du pays des autres. Toutefois, à la lumière d’un sondage maison de type non probabiliste effectué auprès de douze Italiens du Nord et comportant une immense marge d’erreur, si un référendum avait lieu demain, l’option du NON l’emporterait avec 100 % des voix!

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Vrai que mon échantillon n’était pas vraiment représentatif. Il s’agissait essentiellement de jeunes Italiens et Italiennes dans la vingtaine avec qui j’ai voyagé en voiture d’une ville à l’autre. Car si le covoiturage a l’immense avantage d’être plus économique que le train, la voiture est également un lieu privilégié d’échanges et de discussions.

Or, chacun des conducteurs et des passagers avec qui j’ai abordé la question de la Padanie a reçu celle-ci avec un mélange d’étonnement et de malaise. Ce genre de réaction qui semblait dire : « Mais pourquoi viens-tu jusqu’ici pour nous parler de la Padanie? » Car il faut bien le dire, l’indépendance de la Padanie ne semble pas être actuellement le sujet d’intérêt par excellence pour ceux qui m’ont pris à bord. Tous ont d’ailleurs été assez critiques du projet et du parti politique qui porte l’idée.

Selon Daniel, un jeune Milanais de 23 ans qui étudie la sociologie et avec qui j’ai eu la chance de faire la route séparant Milan de Vérone, les positions xénophobes qu’a tenues la Ligue du Nord dans le passé ont totalement discrédité l’option indépendantiste. Pour un pays ayant un passé fasciste, les Italiens devraient, selon lui, se garder une petite gêne lorsque vient le temps de critiquer les immigrants.

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En effet, pas besoin de chercher longuement pour trouver des déclarations incendiaires. Ceux au Québec qui ont encore de la misère à digérer les propos de Jacques Parizeau sur le vote ethnique feraient sûrement une crise d’urticaire à entendre ceux de la Ligue du Nord. Pour certains de ses dirigeants, l’immigration serait une cause directe à certains fléaux comme la criminalité, la prostitution, le trafic de drogue, la contrebande et la violence sexuelle en Italie.

La présence d’immigrés serait également une menace pour l’identité padane. Selon une formule utilisée par les idéologues léguistes, le monde serait un vaste ensemble de taches colorées. Or, si on mélange ces taches, les couleurs seraient susceptibles de disparaître et de faire place à un ton grisâtre, c’est-à-dire à un monde sans identité. Vous aurez deviné que ce type de remarque se passe de commentaire!

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Je pars maintenant pour l’Écosse où je suivrai les derniers jours de la campagne référendaire. Le OUI semble avoir fait une progression importante depuis le dernier débat des chefs, ce qui promet une fin de campagne assez excitante. J’irai rejoindre là-bas une quarantaine de Québécois qui, pour différentes raisons, ont tous un intérêt pour le destin collectif des Écossais et aussi, j’imagine, pour le whisky.

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* La documentation pour ce texte provient d’articles triés sur le volet, mais plus spécifiquement de discussions et d’échanges que j’ai eus avec des gens ainsi que de mes impressions sur le terrain. Cet article (tout comme les suivants) n’a donc aucune prétention scientifique.

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En terminant, je tiens à remercier Voyage Globallia qui m’a gracieusement offert une commandite pour rendre ce voyage possible!