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J’ai récemment découvert que je suis programmée pour perdre au jeu de la séduction. Je m’oppose à la nature humaine : j’hais la game amoureuse, mais nous, hommes et femmes, sommes faits pour tripper dessus.
C’pas moi qui le dis, c’est le brillant humoriste Aziz Ansari (Parks and Recreation, Master of none) et sa gang de brillants chercheurs dans l’essai « Modern Romance ».
C’est quoi la game?
Je te rencontre. Je t’aime bien. J’attends deux jours avant de te texter. Quand tu m’écris, je lis ton message tout de suite, mais j’attends au moins 20 minutes avant de te répondre. Pour ne pas avoir l’air désespérée, pour que mon enthousiasme ne transparaisse pas trop. Je t’ai vu hier, j’ai envie de te voir aujourd’hui aussi, mais tu ne le sauras pas. Ça pourrait te faire peur, donc je vais m’abstenir, tu comprends?
Quand je regarde ta face, j’ai envie de la lécher. Tu me parles, mais je ne t’écoute pas parce que je réfléchis au fait que j’ai envie d’agripper ta bouche. Pas avec la mienne. Avec ma main. Je veux pincer ta bouche. Je ne comprends rien, ça ne m’est jamais arrivé avant. J’ai envie de détacher des pièces de ton corps. Tu me rends horny, limite psychopathe. J’ai comme une envie soudaine de crier ton nom tellement fort, dirait un autre. Mais la game m’oblige plutôt à déclarer d’un ton posé : « On s’écrit si on trouve quelques heures dans notre semaine? »
Et vous savez quoi? En théorie, ces mindfucks du calice fonctionnent.
À qui la faute? Notre cerveau.
Dans l’essai Modern Romance, l’humoriste, comédien et auteur Aziz Ansari explore les plaisirs et périls de l’amour moderne, appuyé par Erick Klinenberg (auteur et enseignant de sociologie à l’Université de New York).
Pour tout connaître de nos habitudes et de nos angoisses romantiques, les deux hommes ont organisé des focus groups et des entrevues avec des centaines de personnes à travers le monde (de New York à Tokyo en passant par Paris), en plus de sonder la population via le très populaire site Reddit.
À travers ces vastes rencontres, ils ont su mettre le doigt sur une inquiétude commune parmi les célibataires : celle de paraître trop enthousiastes lors des premiers échanges. Ainsi, par peur de sembler trop intéressé par autrui, on aurait tendance à se doter d’étranges règles communicationnelles. Parmi les plus populaires :
- Ne jamais texter une réponse immédiatement après avoir reçu un message texte.
- Ne pas réécrire à une personne sans préalablement avoir eu de ses nouvelles.
- La longueur de notre message doit être similaire à la longueur du dernier message envoyé par notre correspondant.
- La personne qui reçoit le dernier message de la conversation gagne.
Je lisais ça et je me disais : « Ben voyons donc! Ces gens-là sont complètement fous. Ce sont des manipulateurs angoissés. Ils ne laissent pas place à la spontanéité de l’amour véritable. Des âmes perdues! » Je me sentais un peu supérieure, jusqu’à ce que je lise que parmi les célibataires rencontrés par Aziz Ansari, un débat faisait particulièrement rage. Sa source? Cette question: combien de temps d’attente doit-on infliger à l’autre avant de lui répondre ?
Là encore, les participants des focus groups avaient plusieurs théories à soumettre: on attend quelques minutes, question de prouver qu’on a des choses plus urgentes à faire que de répondre à la personne qui nous obsède; on attend deux fois le temps que l’autre a pris pour nous répondre; pour certains, 1,25 fois le temps d’attente est suffisant ; sinon, paraît que trois minutes, c’est ben bon…
Pourquoi imposer une telle attente à une personne qui nous plaît ? Parce qu’on est supposé être davantage attiré par les gens qui ne nous apparaissent pas forcément intéressés ? OUI, C’EST EXACTEMENT ÇA. (C’est ici que je me mets à kicker des affaires sous le coup de la frustration.)
L’efficacité (stupide) de l’attente (stupide)
On apprend dans le second chapitre de Modern Romance que des psychologues ont mené des centaines de recherches dans lesquelles ils récompensaient des animaux de laboratoire de différentes façons, sous différentes conditions.
Ce qu’ils ont découvert ? Les animaux qui ne savent pas s’ils seront récompensés ou pas (par exemple, qui ignorent si le fait de pousser un levier leur donnera de la nourriture ou non) sont drastiquement plus intéressés à recevoir une récompense et voient leur niveau de dopamine augmenter (ça, c’est un neurotransmetteur lié à notre désir). Par ailleurs, les animaux qui savent qu’ils seront récompensés à chaque coup de levier voient leur intérêt diminuer, car ils comprennent qu’au moment de leur choix, une récompense les attendra.
Alors, ce qu’explique Aziz Ansari, c’est que la personne qui répond toujours immédiatement aux messages textes finit par être prise pour acquis. Ultimement, elle perd de sa valeur à titre de récompense. L’autre sent moins le besoin terrible de tenter sa chance, puisqu’il la sait disponible. L’excitation de l’incertitude n’existe plus. La personne qui rejette la game en sort perdante.
Bout d’cul ! Je suis honnête. Quand je suis enthousiaste, je le montre. Quand on me demande si je suis intéressée, je réponds sans détour. Je préfère assumer mes désirs que de les camoufler pour éventuellement mieux les réaliser. Et je finirai donc probablement ma vie seule.
Par ailleurs, Modern Romance, bien que parfois frustrant, est un essai très intéressant. Et franchement drôle. Il est paru en juin 2015, mais je vous jure qu’il est encore d’actualité. Dans la folle époque où on vit (JE PEUX COMMANDER MON BRUNCH EN LIGNE ET LE FAIRE LIVRER DIRECT CHEZ MOI), c’est un guide de survie amoureuse fort efficace. L’ouvrage idéal pour découvrir comment réaliser d’attirantes photos pour votre profil Tinder, ne pas scrapper monumentalement une première date et mieux comprendre l’estie de game.
P.S: JE REFUSE.