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La désastreuse aventure de l’orphelin Pablo

Par
Catherine Ethier
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Mes hommages.

Il est, oh! IL EST de ces jours où l’on se sent coupable. Coupable de manger telle affaire avec des pinottes sur le dessus. De ne pas avoir envie de laver les p’tits pleins de terre pis de grenailles. D’être rigide sur le flashmob candide auquel on te demande de participer dans une cantine. Entre deux pubs de Savonneur qui t’indiquent que tes planchers ne méritent la visite d’aucune arche plantaire qui a le moindre respect pour ses Crocs, il m’arrive de douter.

Suis-je une bonne personne?

Bien sûr que je suis une bonne personne. MAIS EN SUIS-JE VRAIMENT UNE?

Je n’ai pas recommencé à saucer mes tampons dans la vodka; je me pose parfois vraiment la question. Et je me la pose surtout à la lumière de la grande aventure qu’a récemment vécue une copine.

Femme du monde et propriétaire d’un chien nommé Pablo, ma copine partait pour l’un de ses nombreux voyages d’affaires vers une destination où les rêves de jeune fille se cachent pour mourir dans un sac blanc (Détroit). Et comme son amoureux était, lui aussi, homme du monde quelque part dans un avion, il fallait faire garder le chien sur un dix cennes (bien que ses grosses fesses de pog dépassaient de chaque bord de la pièce).

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La solution rapide : l’hôtel pour chiens. Déjà là, le nom fait glousser. On imagine une mer de poménariens avec un bonnet de douche, en ligne pour le spa en petites pantoufles en ratine. Des chiens afghans qui exigent de la champagnette pour compenser le travail bâclé de Consuelo, la femme de chambre gerbille qui a un petit penchant pour le cognac. Des danois en porte-jarretelle.

UN MONDE.

Eh bien on n’est pas si loin que ça.

L’endroit où ma copine fait généralement garder son chien était complet. Quelques heures avant de sauter dans l’avion, elle a donc dû battre des cils vers un plan B qu’on lui avait recommandé. Arrivée au dit hôtel pour chiens (*danois en porte-jarretelle*), ma copine se fait accueillir par une dame qui porte encore au cou la marque de son foulard de Jeannette.

“Votre chien n’a pas de jouets avec lui?”

Effectivement, dans l’emportement, le pauvre pequegnito-Pablo-del-frio n’avait pas apporté sa besace remplie de carrousels et de films kinky canins. Il n’y avait pas là catastrophe. Sauf si tu posais ton regard au fond des mirettes réprobatrices de la dame-feu-Jeannette. Elle prit une pause.

PUIS, ELLE PRIT DES NOTES.

Des notes sur ma copine qui emmenait son enfant à l’orphelinat en culottes courtes avec une orange dans le froid de décembre.

Après quelques secondes de mépris autoritaire digne d’une intro de vue sexée, la dame de l’hôtel rassura ma copine en affirmant qu’il n’y avait pas de souci et que Pablo pouvait bénéficier d’un shopping spree (tout ça se passe aux USA).

Un shopping spree.

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Alors le shopping spree consiste, et je vous le jure, à lâcher votre animal lousse dans une petite boutique remplie de balles, de toutous, de candy, de bébelles en rubbeure-sqwee-sqwee et d’oreilles de porc qui te font des clins d’œil, et de le laisser choisir ce qui lui plaît. On l’imagine, évidemment, déambulant dans les allées de Kibbles’n Bits avec son petit panier d’emplettes, à comparer les prix et à tester la qualité des coutures de ce charmant porcelet en talons hauts plein de bourrure, museau pointé vers le deal (AVEC UNE PETITE LUNETTE AU BOUT DE LA TRUFFE).

Ma copine, cette mère indigne, refuse évidemment la formidable activité qui a beaucoup de sens. Mais l’éventail de propositions n’avait pas fini de lui faire du vent dans le toupette.

Après avoir pris quelques secondes de silence à dévisager sa cliente à n’en pas douter sur la sauce et noté dans le dossier de Pablo que sa mère lui refusait le bonheur, les HEC pis le shopping spree, elle enchaîna avec sa prochaine proposition : la bedtime story.

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Ma copine s’est, à ce moment-là, étouffée avec sa glotte. Alors la bedtime story consiste, moyennant un petit extra, à raconter une petite histoire au chien avant de fermer la lumière de son panier, le soir.

Une petite histoire.
Un Raiponce en cuiller avec un lhassa apso.
Les pays d’en haut en tressant le cuir chevelu de ton bichon (si tu coches l’option “je veux que Betty-lou ait l’air de rentrer de Cayo Largo”).

Ma copine a eu beau tenter de décortiquer l’affaire, arguant que, bien qu’elle n’ait pas fait de hautes études en psyché canine, les chiens ne captent pas les subtilités d’Othello, la dame resta interdite à ses doutes, scandalisée qu’une mère refuse une histoire à son enfant. Le petit bec sur le front qui change la vie. J’imagine que sans le supplément, les nannies (coiffées d’un petit bonnet de dentelle blanche) mettent les chiens au lit sans leur dire un traître mot. Pas de petit extra, pas de bedtime story. Au litte, en silence, pis regarde-moi pas avec tes grand’ prunelles de chien heureux au logis. TON SÉJOUR SERA CARMÉLITE.

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Elle enchaîna ensuite avec moult propositions moyennant quelques dollars en sus et/ou un rein fonctionnel : la movie night. La gym class. Le comfort massage. Le digital photo safari.

Des souvenirs digitaux. Avec un petit chapeau de safari! (qui consistait en fait à promener le chien dans le petit boisé d’en arrière et à prendre des photos digitales. Finie, sinistre époque de pellicule! Place aux pixels et au futur).

Des petits extras, comme ça, il y en a eu 50. Si tu t’imagines que faire garder ton chien comporte sans doute une vague promenade et une ou deux petites tapes réconfortantes sur sa noix, ben tu vis chez les fées, ma belle caille. Y’a pas une petite attention qui n’est pas monétisée, pas un regard qui ne brille pas sur ta facture. Sacrer ton chien devant une vue nécessite le déploiement de ressources.

Ma copine a tout de même laissé son Pablo au pays des merveilles, sans petit extra, mais avec le cœur bleu pâle d’avoir dû se verbaliser le “Wo! TAMENUTE”.

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Même si tout ceci semblait tout droit sorti d’une demi-heure rédigée par Fabienne Larouche qui a bu l’eau du climatiseur.

Le petit doute.
Le petit fouette.
La petite vie (ça, c’était un bon programme).

La bise.

***

Pour lire un autre texte de Catherine Ethier : “Au-delà du jet de pisse”