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Il y a de ces gens avec qui on tombe en amitié. Ça m’est arrivé souvent, surtout dans les dernières années. Des personnes qui me tombent dans le cœur tellement elles sont merveilleuses, des personnes qui croisent ma vie comme si elles y avaient toujours été, avec qui être est facile.

Pas besoin d’artifices. Et tout cela est réciproque. Et tout cela me renverse, à chaque fois.

Pendant longtemps, et un peu connement dois-je avouer, j’ai cru que je ne pourrais jamais retrouver ça, des amiEs de même. T’avais un premier lot au primaire, un second au secondaire, si t’étais chanceux, tu en gardais quelques-unEs pour le reste de la vie et c’était tout. Ma vision des choses, clairement, était déficiente. Et je suis heureuse à chaque nouvelle occasion qui prouve qu’elle l’était.

J’pense que j’avais fini par avoir un peu peur des relations humaines, en fait. Je m’étais convaincue, à force de relations houleuses, que j’avais pas tant besoin de cela, des amiEs. Que j’y arriverais bien seule et comme une grande, à vivre. J’y serais sans doute effectivement parvenue, mais la saveur de l’existence, je l’aurais cherchée longtemps, je pense, avec du recul.

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Et donc, parmi ces personnes que j’aime d’amour, il y a Ge et Manu. Et leurs p’tites. Amitié issue des réseaux sociaux qui s’est cimentée dans le réel. Amitié de salon en linge mou, de textos parce qu’on s’habite loin.

J’étais donc bien contente d’enfin le voir comme artiste, sur sa scène, devant sa foule, à Sherbrooke, samedi dernier. De voir Koriass et non plus Manu. Le Boquébière était plein, fébrile. Il était attendu par un public qui voulait ressentir du love suprême et qui le scandait et qui en a reçu pendant plus d’une heure et demie. Je hochais de la tête et chantais de mon plus fort, mais je pouvais pas m’empêcher d’être aussi spectatrice du spectacle. De trouver ça beau. Cette capacité de galvaniser les gens, de pouvoir les prendre par le dedans et de les tenir et de les conduire. Il a ça. J’imagine que ça a à voir avec le fait que c’est vraiment beaucoup de lui qu’il offre, sur scène et dans ses textes, une part amplifiée, certes, mais une part moteur.

Il a une sensibilité à ce qui se passe, ce n’est pas une prestation hermétique, la scène, lui, la foule, ses tunes, ce n’est qu’un tout qui s’alimente et se répond. Il a aussi ce souci généreux de s’adresser aux gens entre chaque pièce, de les accueillir dans son espace à côté de lui, de leur tendre le micro, d’accepter les shooters (aux couleurs vives), de créer des moments en regardant ses fans dans les yeux et en s’intégrant à leur selfie.

C’est tout ce temps, également, après, passé à parler, à écouter, à côté de la scène et dans le bar, toutes ces personnes venues à sa rencontre. Et qu’il soit content de le faire. Même quand il se fait faire des câlins douteux ou chanter des verses dans le creux de l’oreille.

Ce qui ressort de sa prestation, c’est cette manière de toucher grandement les gens.

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Que ce soit par son enthousiasme, sa colère, son humour, il habite ses mots et on se retrouve face à l’ordinaire, le quotidien, les désillusions, le rough. Le “je” de son propos en est un qui se dépasse constamment et qui permet cette identification qui se lit sur les lèvres et dans les yeux de ceux et celles qui se font aller les lèvres en même temps que lui.

C’est un discours sur la résilience, aussi, que Koriass offre. Ce qui fait que tu t’en sors, que tu “reviens de loin”. Que tu peux même dépasser ta condition, que le “worst can bring out your best”. C’est l’une de ses trames narratives, le combat humain.

Celui contre soi-même, notamment. Qu’il mène grâce aux mots qui sont “toute [sa] vie”, qui permettent une liberté infinie de dire, de compositions. D’où son intérêt pour la poésie. Celle de Bukowski, en particulier, avec qui il aime être en désaccord, surtout à propos de cette idée que tout n’est pas aussi laid, aussi négatif que le poète le dépeint.

Combat pour lui-même, me permets-je, aussi, grâce à sa famille, son port d’attache, un point d’ancrage qui se vit dans l’éternel retour du même de la routine et des rires et des pleurs et des jeux et du care. Il y a, chez-lui, cette volonté de faire le bien : “changer les choses du mieux que je le peux”, qu’il dit. Et ce vouloir s’est, depuis près d’un an, matérialisé dans ses nombreuses interventions sur la question de la culture du viol dont la première a été sur cette plateforme, avec son “Natural born féministe”, alors qu’il y bloguait.

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Depuis, il a enchaîné des conférences dans les cégeps, avec Julie Miville-Dechêne et Marilyse Hamelin, endossé le rôle de co-porte-parole de la campagne universitaire “Sans oui, c’est non”. Incertain de sa démarche, au départ, hésitant parce que nouvellement engagé dans sa réflexion féministe, il se dit aujourd’hui clairement plus confiant et à l’aise parce qu’il s’est documenté, a lu, parce que son argumentaire lui semble plus complet. Parce que chaque témoignage qu’il reçoit, autant ceux de personnes ayant vécu des agressions que ceux qui lui disent que ses propos leur parlent fort, lui donne la motivation de continuer, de “parler aux dudes dans les yeux”, d’encourager à rompre le silence avec lequel les victimes, trop souvent composent.

Lui qui dit que sa vie est “une suite de malgré” parlait pourtant avec beaucoup de vie et de “surtout” sur le divan orangé du Boq. Et quand je le regardais, performer, je voyais sa Geneviève qui ne peut pas ne pas verser des larmes, à chaque fois qu’elle écoute ses tunes. Dans le char ou dans la maison. Sont beaux de même.

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*L’un de ses poèmes préférés de Bukowski, c’est celui-ci “Dinosauria, We” :

Born like this
Into this
As the chalk faces smile
As Mrs. Death laughs
As the elevators break
As political landscapes dissolve
As the supermarket bag boy holds a college degree
As the oily fish spit out their oily prey
As the sun is masked
We are
Born like this
Into this
Into these carefully mad wars
Into the sight of broken factory windows of emptiness
Into bars where people no longer speak to each other
Into fist fights that end as shootings and knifings
Born into this
Into hospitals which are so expensive that it’s cheaper to die
Into lawyers who charge so much it’s cheaper to plead guilty
Into a country where the jails are full and the madhouses closed
Into a place where the masses elevate fools into rich heroes
Born into this
Walking and living through this
Dying because of this
Muted because of this
Castrated
Debauched
Disinherited
Because of this
Fooled by this
Used by this
Pissed on by this
Made crazy and sick by this
Made violent
Made inhuman
By this
The heart is blackened
The fingers reach for the throat
The gun
The knife
The bomb
The fingers reach toward an unresponsive god
The fingers reach for the bottle
The pill
The powder
We are born into this sorrowful deadliness
We are born into a government 60 years in debt
That soon will be unable to even pay the interest on that debt
And the banks will burn
Money will be useless
There will be open and unpunished murder in the streets
It will be guns and roving mobs
Land will be useless
Food will become a diminishing return
Nuclear power will be taken over by the many
Explosions will continually shake the earth
Radiated robot men will stalk each other
The rich and the chosen will watch from space platforms
Dante’s Inferno will be made to look like a children’s playground
The sun will not be seen and it will always be night
Trees will die
All vegetation will die
Radiated men will eat the flesh of radiated men
The sea will be poisoned
The lakes and rivers will vanish
Rain will be the new gold
The rotting bodies of men and animals will stink in the dark wind
The last few survivors will be overtaken by new and hideous diseases
And the space platforms will be destroyed by attrition
The petering out of supplies
The natural effect of general decay
And there will be the most beautiful silence never heard
Born out of that.
The sun still hidden there
Awaiting the next chapter.

***

Pour lire un autre texte de Véronique Grenier : “Huit”

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