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Je t’ai déjà parlé du temps où on était au Cégep du Vieux pis presque jamais à jeun. Quand t’es presque jamais à jeun pis que t’habites dans Hochelag’ en plus, il se passe ben des affaires…
Une fois, on avait fait un party pour aucune raison, vers la fin de la session d’hiver. C’était le mois de mai, pis y commençait à faire vraiment beau dehors. Pour te donner une idée à quel point on était pas à jeun, on avait écouté un 33 tours pendant une bonne dizaine de minutes, avant de se rendre compte qu’il jouait à la vitesse d’un 45 tours!
À 4h30 du matin, le jour se levait sur Hochelaga pis on dormait pas encore. Ça fait que mon ami Bernard pis moé, on a décidé d’aller prendre une marche. Pour te replacer dans le contexte, on était dans le Hochelag’ du tournant des années 2000, ben avant qu’on commence à parler de gentrification. C’était pas la même game pantoute. Mais dans nos yeux de gars vraiment altérés, le soleil qui se levait dans les ruelles d’Hochelaga était à peu près la plus belle chose au monde.
Ceux qui connaissent le quartier savent qu’il y a un petit parc, pas loin du coin de la rue Adam pis Darling. Là, t’es dans le Sud-Ouest du quartier, l’Hochelag’ pure et dure; tu peux pas être plus loin d’HoMa que ça! Nous autres, on est arrivés là vers 4h45 du mat’, en s’émerveillant sur le chant des moineaux dans la lueur du l’aube.
C’est là qu’on a vu un gars qu’on pourra jamais oublier.
Le dude se promenait yinque en chest dans le parc en chantant à tue-tête : “Heille ma gang de malades, vous êtes donc oùùùùùù?????!!!??”. Il portait une estie de grosse cicatrice qui lui déchirait un biceps. Y devait pas avoir plus que 30 ou 40 grammes de gras dans tout son corps, pis même s’il était musclé que l’calice, tu voyais que le gars avait pas l’air en santé pantoute…
N’importe quelle personne à jeun se serait sauvée en voyant ce gars-là.
Nous autres, ben on s’est laissé aborder par le gars qui nous demandait si on avait du papier à rouler. Encore là, la chose intelligente à faire aurait été de dire non, même si on en avait. Mais lui nous avait déjà dit qu’il avait du weed, faque on avait comme pas trop le choix de lui avouer qu’on avait du pape.
Le gars a roulé un batte en continuant de chanter. On est vite passés de Daniel Boucher à Plume Latraverse. Lui pis moé, on connaissait bien la toune La marde, de Plume. Les paroles sont assez simples et il s’est mis à la chanter de toutes ses forces, en roulant :
On a toute sa marde à manger, dans la viiiie
Le bonheur c’est rien qu’une question d’appétiiiit
On a tous sa marde à manger dans la viiiiie
Ouvre ta gueule, prends ta bouchée et puis sourriiiiis
Hostie.
Quand le gars a eu fini de rouler le batte, on s’est vite rendu compte que personne avait de feu. Rendu là, il devait ben être 5 heures du matin, pis je commençais à trouver que ce serait une pas pire idée d’oublier ça pis de rentrer chez nous.
Mais le colosse en question allait pas se laisser décourager de même : “Nenon, les gars, j’vas en trouver du feu moé!”. Mon chum pis moé, on s’est jeté un regard indécis… Pis on a suivi le gars sans vraiment le vouloir, jusqu’à la porte d’une maison où il a sonné (avant de commencer à varger s’a porte).
Nous autres, on trouvait déjà pu ça drôle, mais on a carrément débuzzé quand on a vu un gars qui avait l’air d’un Hells patché ouvrir la porte, yinque en Fruit of the loom blanche pis en tattoos. Avec les bombes d’Hiroshima pis de Nagasaki dins yeux, il a regardé notre nouvel ami en lui criant : “QUOSSÉ QUE TU VEUX CALISSE!?!”. Notre chum a décidé de pas se laisser intimider pis a répondu “CALME-TOÉ TABARNAK J’VEUX RIEN QUE DU FEU!!!”
– TU VAS ALLER CHIER, TABARNAK, J’ÉTAIS EN TRAIN DE DORMIR, DÉCALICE!
– HEILLE, LAISSE-MOÉ DONC AU MOINS M’ALLUMER SUR TON TOASTER CALICE!
Ils ont continué de même pendant quelques secondes, jusqu’à temps que le biker remarque que le balafré était pas tu seul. Là, il s’est mis à nous regarder, pendant qu’on chiait dans nos culottes, du haut de nos 150 livres.
– QUOSSÉ QUE VOUS FAITES ICITTE, VOUS AUTRES?????
– Oh, euh, scusez han. Euh on voulait vraiment pas vous déranger. Tsé, on voulait juste du feu…
– SI VOUS ME DÉRANGEZ???? J’VAS VOUS ARRACHER À TÊTE, CALICE!!!
Pas besoin de te dire, qu’on a viré les talons pis crissé notre camp de sa propriété au p.c.!
Vu que le gars était tout nu en dessous de ses bobettes pis de ses tatoos, il nous a pas suivis trop longtemps.
Mais notre nouveau chum, lui, est resté avec nous. On commençait à trouver ça de moins en moins l’fun! Surtout qu’il commençait à être vraiment en tabarnak de pas avoir de feu… Pour te donner une idée, le gars a décid é de se défouler en lançant une bouche d’égout, comme un frisbee! Pour vrai, j’oublierai jamais le bruit que ça a fait en frappant le mur de la grosse église juste à côté…
On avait pas eu le temps de s’en remettre que le gars faisait irruption dans un autobus de la ville avec son joint dans la main. On voyait par la fenêtre qu’il demandait à chaque passager s’il avait du feu. Ben cré-moé, cré-moé pas, il est ressorti de là avec un grand sourire victorieux et son joint allumé!
Quelques minutes plus tard, Bernard pis moé, on commençait discrètement à marcher en direction de chez nous. C’est là que le gars s’est mis entre nous autres, bras dessus bras dessous en disant :
– Ouin, facque les gars, où c’est qu’on couche à soir?
– Ben là, mon ami pis moé, on va dormir chez moi… Toé, je le sais pas…
– Ben là… Qu’est-ce que je vais faire moé? J’vas être dans marde!
– … Tu te rappelles la toune de Plume han?
– … On a toute sa marde à manger dans la vie?
– Ouin, ben c’est ça là…
Ça fait que notre nouvel ami est resté planté là pendant qu’on s’en retournait coucher chez nous en se sentant vraiment cheap.
Le lendemain, on était déjà pus sûrs que ça s’était passé pour vrai…
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