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Épicerie en pyjama et géopolitique d’Hochelaga

Par
Rémi Bourget
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Ça paraît pas quand j’écris dans URBANIA, mais je gagne ma vie comme avocat. Ça veut dire que pour ma job, chu pas mal tout le temps obligé d’être habillé propre. Tsé, vraiment propre : suits, souliers propres, pantalons propres, ceinture propre. Des fois, je mets même des cravates ou une toge! Sauf que moé, chu pas ben pantoute là-dedans. C’est peut-être parce que je viens d’une place qui s’appelle Lavaltrie ousque c’est pas rare de voir des dudes faire leur épicerie en bedaine.

Faque dès que je finis mon shift, j’me dépêche d’enlever mon suit.

Y est absolument pas question que je n’atteigne pas le niveau de confort maximal possible, dès que je mets le hamster à off. Ça fait que quand que je travaille pas, y’a des crisses de bonnes chances que je sois en train d’être en pyj. Pis si y’a une chose que j’aime d’Hochelag’, c’est qu’il y a personne qui va te juger ou te regarder croche, juste parce que t’as osé sortir dehors en pyj.

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L’épicerie, le dep, le Jean Coutu, le parc d’à côté pis tout le monde qui se tient là m’a déjà vu passer par là en pyj. Je dis que jamais personne m’a jugé pour ça, mais c’est pu vraiment vrai. Ça a changé y’a deux semaines. Ce jour-là, chu allé reconduire la gardienne du p’tit en char. Pis quand je passais sur Ste-Catherine Est, j’ai remarqué qu’il y avait un paquet de travailleuses sul trottoir. Ça m’avait un peu intrigué, pasque ça faisait un bon trois-quatre ans qu’il avait pu de putes au coin de notre rue.

Bon, pour comprendre comment ça se fait que les travailleuses sont revenues par chez nous, tu vas avoir besoin que je te donne un p’tit cours de géopolitique d’Hochelag’. Imagine que t’as un espèce de carré, ok?

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La ligne en haut, c’est la rue Sherbrooke. La côte d’la rue Sherbrooke c’est comme une barrière naturelle pour que nouzautres, les crottés d’l’Esss, on se mêle pas à la population générale. Faut dire que la côte est pas évidente à monter en quadriporteur, han!

La ligne en bas, c’est le fleuve. La rue Notre-Dame plutôt. Parce que le fleuve, dans Hochelaga, c’est comme une légende urbaine ou le Yéti. Il paraît qu’il est là, mais personne l’a jamais vu. Les containers nous cachent la vue du fleuve…

La ligne à gauche, c’est la track de chemin de fer, à côté d’la rue Moreau. Tu rentres dans le quartier par un viaduc qui te fait vraiment t’ennuyer de ta mère quand tu passes dedans à pied. Rendu de l’autre bord, tu le sais que tu es rendu dans Hochelag’, tu le sens (l’odeur de la levure, han).

La ligne à droite, c’est la track de chemin de fer, un peu passé la rue Viau. De l’autre bord de ça, y’a le Lafleur, un Tim Hortons, pis des shops. Mais je pense pas qu’il y a personne qui habite de l’autre bord de c’te track de chemin de fer-là…

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Maintenant, imagine qu’il y a une ligne verticale qui sépare le carré en deux. Ça, c’est Pie-IX. Pis là, y’a aussi une ligne horizontale dans le milieu du carré, la rue Ontario. Bref, ça ressemble un peu à ça :

Ce qui faut que tu saches, si tu viens pas de l’Esss, c’est qu’y a une estie de différence entre habiter en haut ou en bas d’Ontario (si tu viens de l’Esss, tu le sais déjà).

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En bas d’Ontario, tout est plus rough, plus pauvre, plus fucké aussi. C’est moins gentrifié. De la même façon, y’a une crisse de différence entre habiter à l’est ou à l’ouest de Pie-IX. Si t’habites en bas d’Ontario, mais à l’est de Pie-IX (comme moé), c’est quand même pas si pire que ça. Mais quand t’es dans le sud-ouest du quartier, t’es mieux d’être fait fort en estie, pasque y’a des affaires pas pires fuckées qui se passent dans ce coin-là.

Bref, il faut connaître la géopolitique d’Hochelag’ pour comprendre la raison pour laquelle toutes les putes du quartier sont rendues à côté de chez nous. Depuis une coupe de semaines, la Ville a décidé de refaire les conduites d’eau sur Ste-Catherine Est, dans la portion sud-ouest du quartier. Ça fait que la rue Ste-Catherine est barrée à l’ouest de Pie-IX. Pis ça, ben ça fait que les travailleuses peuvent pas vraiment faire le trottoir à leur endroit habituel, vu qu’y a pas un estie de chat qui passe par là! Faqu’elles sont déménagées temporairement à l’est de Pie-IX depuis quelques semaines…

Pour en revenir à mon histoire, j’étais en pyj dans mon char et je revenais d’aller reconduire la gardienne du p’tit. Pis là, j’ai vu une travailleuse qui a attiré mon attention, vu qu’elle se promenait avec une couverture qu’elle portait comme un genre de châle, a’ec rien en d’ssous. J’aurais pas dû, mais j’ai ralenti en passant à côté, tellement c’était surréaliste!

Deux-trois minutes plus tard, après avoir parké le char dans ruelle, j’ai décidé de faire le tour du bloc, pour m’aérer un peu l’esprit.

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Pis là, sur Ste-Catherine Est, je suis tombé face à face a’ec la travailleuse! Elle m’a dit:

– As-tu une smoke?

– Non, désolé.

– C’était toé dans l’char blanc han?

– Euh… oué.

– T’es en pyj han?

– Oué, oué.

– Comment ça?

– Ben parce que j’vas me coucher là.

La fille m’a regardé de haut en bas, en me jugeant clairement.

Pis moé, je disais rien, même si je trouvais ça un peu ironique de recevoir une contravention de style de sa part. Bref, je ne me suis jamais fait juger pour être sorti en pyj dans Hochelag’, sauf une fois, par une travailleuse du sexe habillée en couverte!

***

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