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“Si les gens ne font plus d’enfants, c’est qu’ils ne veulent plus d’adolescents.”
— Pierre Bourgault
Depuis que je suis mère, je niaise en parlant de la future adolescence de mes enfants : Rendu là, je vais les refiler à quelqu’un, je pourrai JAMAIS supporter ça, l’adolescence, j’haguis ça! Etc.
La vérité, c’est que l’adolescence de mes enfants me fait peur, immensément peur.
Dans mon cas, l’adolescence a été une période atroce. Je me trouvais d’une nullité sans nom. Je trouvais les autres d’une nullité sans nom. Je voulais mourir un jour sur deux. J’avais même caché des lames de rasoir pour la fois où j’aurais “enfin le courage de…”. Je me trouvais poche de ne même pas arriver à être anorexique, n’ayant réussi qu’une fois à me faire vomir (j’avais aussi caché du sirop d’ipéca à côté de mes lames de rasoir, mais je trouvais ça trop dégueu).
J’écrivais des journaux intimes pathétiques, dont les pages étaient soit recouvertes de prénoms de gars, qui changeaient au fil des saisons, soit d’énumération de qualificatifs négatifs à mon sujet : conne, niaiseuse, laide, grosse, et je vous épargne le reste de mes litanies. Alors, ma plus grosse peur, c’est que l’adolescence de mes enfants ressemble à la mienne, mais qu’en plus, ils aient “le courage de…”.
Voilà, c’est juste ça.
Fils aîné. Il a toujours été un peu à part, dans son monde, préférant lire que jouer avec des amis, parce que la lecture, “c’est toujours là pour te consoler”. Remarquant des détails que personnes ne voyait. Fasciné par les molécules et les atomes. Apprenant par cœur des tas de trucs : les noms des marques de char vers 3 ans, les noms des dinosaures vers 5, les noms des oiseaux à partir de 6. Avec toujours, ce petit côté “pas dans la même game que les autres”. Il y a une prof, quand il était en première année, qui nous avait suggéré (fortement) qu’il pouvait être Asperger – clairement, elle a raté sa vocation de pédopsychiatre, celle-là. Sauf qu’évaluation fut faite, et il ne l’est pas.
En sixième année, l’idée de quitter le primaire et de rentrer dans l’adolescence le terrorisait. Pas eu le choix, quand son d’sous de bras s’est mis à dégager des odeurs viriles, que le duvet au-dessus de sa lèvre s’est fourni, que sa voix a commencé à dérailler, et que ses membres se sont mis à allonger tour à tour – les pieds, les jambes, le bras gauche, le bras droit – rendant impossible l’achat de vêtements qui fittent.
Mais ces transformations physiques se sont accompagnées d’autres changements, émotifs, qui ne vont pas avec l’image que j’ai de l’adolescence : mon fils s’ouvrait, s’épanouissait, développait de l’empathie, un sens de l’humour décalé, un intérêt pour les autres.
Bref, si ses vêtements étaient mal ajustés, lui, il l’était de mieux en mieux (sans devenir pour autant conformiste).
Pour fêter la fin de son primaire, je l’ai emmené en voyage à Boston. De longues heures de route, tous les deux seuls à bord. On a écouté de la musique, on a dit des niaiseries, il a lu, on a pris en note de quels États venaient les plaques d’immatriculation des voitures qu’on croisait (26 États à l’aller – 34 au retour). Et on a parlé. Pas mal. J’en ai aussi profité pour lui faire le discours sur le passage à l’adolescence que je préparais depuis quelque temps. Me doutant que mon ex ne lui parlerait pas de ces choses-là, je voulais aborder LES sujets : l’Amour et la Sexualité.
Je ne savais trop comment m’y prendre, parce qu’à prime abord, tout ce que je m’imaginais lui dire, c’était en fonction de ce que vivent les filles (comme l’importance de respecter leurs limites, de comprendre que “non, c’est non”, etc.). Mais un gars, qu’a-t-il besoin de se faire dire sur sa sexualité à lui? C’est mon ami Martin qui m’a montré la voie.
“Moi, ce dont je me souviens, c’est comment, du jour au lendemain, ça a pris toute la place. Je pensais que j’étais pas normal. Je savais pas que c’était de même pour les autres. Je pense que ça m’aurait fait du bien de le savoir.”
Ça m’a paru simple et juste. Notre discussion a duré une dizaine de minutes, peut-être moins. J’ai dit que ça se pouvait que bientôt, ou déjà, ça prenne beaucoup de place dans sa tête, dans son cœur et dans son corps. Que c’était normal. Que la sexualité, c’était à la fois simple et complexe. Que s’il avait des questions, il serait bien de trouver à qui en parler. Que moi j’étais ouverte à ce qu’il m’en parle, mais que je comprenais que la mère, c’est rarement celle avec qui on a envie d’en discuter.
Je lui ai demandé s’il avait des choses à dire. Il a dit que non. J’ai ajouté que s’il se posait des questions sur son orientation, qu’il pouvait m’en parler aussi, que j’étais ouverte à toutes les possibilités. Sur ce, il est devenu bourgogne et a marmonné : “Non, m’man, jsais djà qchupâ homosexuel.”
Je me demande, si on en reparle dans quelques années, ce qu’il va avoir retenu de cette discussion. Ce n’était sûrement pas parfait, mais il me semble qu’il a pas trop souffert. En tout cas, je suis contente de lui avoir montré que c’était un sujet dont on peut parler autrement qu’en niaisant, même si mon assurance et ma désinvolture étaient en partie feintes.
Aujourd’hui, mon fils est encore très intimidé ou peu intéressé par les filles, mais il fait des jokes archi vulgaires sur les érections, éjaculations et autres trucs de gars. À part ça, il fait de l’impro, invite des amis à la maison, nous fait rire pendant les repas familiaux et, étonnamment, il me trouve drôle. Oui, oui, vous avez bien lu, mon fils ado rit de mes jokes et en redemande. Dans ma vision appréhensive de l’adolescence, je n’avais jamais imaginé ça. Il me dit que j’aurais dû être humoriste, moi qui déteste tout ce qui se rapproche de près ou de loin du stand-up comique.
En fait, ce que je voulais vous dire ici, c’est que mon cœur de mère est bouleversé tous les jours à la vue de ce grand gars dégingandé à la voix cassée qui est sous mes yeux en train de se transformer en adulte intéressant, curieux et empathique. Avec des moments de découragement et de léthargie propres à l’adolescence, mais franchement, si c’est ça, l’adolescence, emmenez-en, ça ne me fait plus peur!
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Pour lire un autre texte de Brigitte des RoseMomz: Passé réglé.