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Santé mentale

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Je suis une histoire qui finit bien, à chaque jour qui passe. Qui s’ajoute. Qui défile.

J’te dis pas ça parce que j’me pense bonne. J’te dis ça parce que j’ai réalisé que ma santé mentale, se portait pas pire. Qu’elle était stable. J’te dis ça parce que j’y ai jamais vraiment cru que je me resloquerais le dedans assez fermement pour aller bien pendant plus de quelques semaines, quelques mois.

Que du “ok”, en continu, ça existerait. Que j’aurais un emploi et que j’y trépignerais, un quotidien duquel je ne débarque pas sans arrêt, que j’aurais des envies, des jours sans larmes qui coulent sans raison, que je dormirais et referais des rêves la nuit. Que j’aurais faim, de l’appétit. Que la conviction que moi pis de la marde, du rien, du cheap, c’est d’une équivalence rare, elle se dissiperait. Que je n’aurais pas la chienne sans arrêt. L’envie de débouler des escaliers, sans arrêt. La mort, là, sans arrêt. Ces petites-grandes choses, tu sais.

Ces détails de la vie de tous les jours qui font que ta vie de tous les jours est une vie.

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Qui font que tu n’as pas peur de toi quand le soleil se lève et que tu ne devras plus être dans ton lit. Même si tu vas juste passer tes journées à y penser, à ton lit. Je ne fais plus ça, penser à mon lit all day. Et avec ce que j’ai, je peux aussi avoir peur de ma bonne humeur, de ma « belle énergie », des « idées » et des projets qui me déboulent dans la tête, d’un soudain amour du monde un peu intense, de ma soudaine et pénétrante compréhension des choses, de ma bouche qui parle vraiment vite parce que dans ma tête je me parle aussi vite tellement vite que je finis par faire des phrases où toute est dans deux mots, que je peux entendre des odeurs, voir des sons. Que je n’ai plus besoin de dormir pendant des jours et des jours tellement je suis emballée par tout ce que j’ai à faire, à produire. Parfois, je deviens superman-sua-coke. Ces fois-là, au bout de ça, je finis en jaquette bleue parce que mon cerveau brûle, surchauffe, fend. Parce que je me sors un peu de la tête et du corps, aussi. Et je sais pas si tu sais comment ton existence est de la marde quand tu as la chienne de ton bien aller.

Comment c’est dur de poursuivre ça, la vie, quand tu ne peux jamais te fier à cette affaire de base qu’est ton humeur. Comment ça t’épuise un humain, ces variations. L’use. L’empêche. Surtout quand ça se joue sur des décennies.

Longtemps, j’ai douté de l’idée d’avoir des p’tits. Parce que je ne savais pas si je pourrais être là, pour toute leur vie. Et je redoutais surtout l’idée qu’ils soient « comme moi », risquent de l’être. La crainte que cette affliction, parce que s’en est bien une, se donne, se prenne en exemple. Les psychiatres me disaient qu’on parle surtout de « prédisposition », et pour une rare fois, je me suis rangée du côté de la possibilité positive et j’ai eu des p’tits. Je me suis dit que je saurais leur donner des outils, de l’être-là. J’ai beaucoup pensé à ce que je leur offrirais. Je ne savais pas, alors, ce qu’eux feraient pour moi. À juste exister. Mais je le sais, là.

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Ils m’ont sortie du trou que je m’étais creusée dans le fond du corps.

Ça ne m’est pas très clair comment ça s’est produit [et, sincèrement, y’a des moments où ils auraient aussi pu contribuer à mon être-fou définitif, mais ça, c’est le cas de bien des parents], mais je crois que ça a à voir avec un certain sens que leur participation au monde confère à ma vie, jouer, rire, leur montrer le beau, leur faire ressentir et vivre des choses, devoir m’oublier pour eux, lutter pour eux, devoir penser à moi pour eux.

Ils ont contribué à ce que le meilleur de moi advienne, se donne le droit d’exister. Et sans que ça ne soit que ça qui m’ait aidée, je ne peux nier la part importante que ça occupe, les p’tits pis moé, dans mon funambule.

J’ai faim des heures, désormais. J’ai un plancher en dedans, ça ne chute plus. Je me sens solide. Même si j’oscille encore, j’anxiète encore. Je ne suis pas à l’abri de la rechute, chu même convaincue que j’en aurai d’autres, mais je suis une histoire qui finit bien, à chaque jour qui passe. Et ça me suffit.

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Pour lire un autre texte de Véronique Grenier : “Le plaisir”

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