Le rêve afro-américain aux HBCU
Le rêve afro-américain aux HBCU
J’adore l’université… Pourtant, j’ai constamment la vague impression d’être différente des autres quand je m’y retrouve.
C’est durant mon temps à l’UQAM que j’ai vécu mes premières crises identitaires. Parfois, c’était le simple fait d’être la seule Noire en classe lorsqu’on traitait de racisme anti-noir qui me semblait dystopique. Participer à une foire à l’emploi donnée par ma faculté et faire la rencontre d’un représentant qui te tend une carte pour son stage de la diversité, c’est aussi très spécial. D’autres fois, c’était de m’arrêter seulement deux secondes en cours pour me rendre compte que j’étais l’une des seules personnes noires présentes dans un immense auditorium qui était perturbant.
Cette expérience peut paraître banale, at first, mais toutes ces instances m’ont fait remettre en question ma place à l’université à plusieurs reprises. Est-ce que les murs de l’UQAM, son corps professoral et sa pédagogie sont assez adaptés à ma situation sociale et à mon vécu en tant que jeune étudiante noire pour m’aider à faire face à la réalité du marché du travail?
Je me gaslightais souvent en me disant que j’étais probablement la seule à me sentir COMME ÇA à l’uni et à éprouver cette crainte face à mon avenir.
J’ai vécu une épiphanie en 2019 après avoir découvert l’existence des universités historiquement noires (HBCU) dans le documentaire Netflix sur la performance de Beyoncé au festival Coachella. Ces écoles ont été fondées en pleine ère de ségrégation, en 1964, aux États-Unis, pour permettre l’accès à l’enseignement supérieur aux étudiants noirs. Selon la firme de recherche en éducation supérieure BesColleges.com, il existe à ce jour 107 HBCU publiques et privées qui forment annuellement plus de 228 000 étudiants dans l’ensemble du pays. Bien qu’on pourrait penser que ces institutions soient toujours exclusives aux personnes noires, les données de la plateforme web indiquent également que depuis 2019, près du quart des étudiants des HBCU s’identifient comme non-Noirs.
La production nous emmène dans les coulisses d’une performance historique qui a été conçue comme un hommage à ces institutions. « I always dreamed of going to an HBCU » (« J’ai toujours rêvé d’étudier dans un HBCU »), dévoile l’artiste au début du film qui nous plonge dans une majestueuse interprétation HBCU d’une tradition des écoles secondaires et universités américaines : le Homecoming. Ayant généralement lieu entre septembre et octobre, cet événement se veut une période de retrouvailles pour les diplômés et c’est tout un festival! J’étais sous le choc.
J’ai passé toute la nuit à faire des recherches et à regarder des vidéos sur le sujet. Quelques mois plus tard, je changeais de programme et j’entamais ma première session en journalisme. Je me suis alors fait la promesse d’aller aux États-Unis pour faire un reportage sur les HBCU avant de finir mon baccalauréat. Une partie de moi voulait exposer les Québécois et Québécoises à cette réalité, mais l’autre souhaitait simplement vivre le real deal. Au fond, il s’agissait pour moi d’une sorte de quête identitaire!
En juillet 2023, je me suis envolée vers Washington, D.C. et je me suis retrouvée au pied de la « Mecque », soit la Howard University. Inaugurée en 1867, peu de temps après l’abolition de l’esclavage aux États-Unis, ses fondateurs ont imaginé l’institution comme une ressource pour l’éducation et la formation de médecins, d’enseignants et de ministres noirs récemment émancipés.
Au fil du temps, la Howard University s’est forgé une solide réputation chez les intellectuels noirs et s’est démarquée en tant que lieu vers lequel les prochaines générations de professionnels de la communauté doivent avoir les yeux tournés, un peu comme la Mecque. Là-bas, j’ai fait la rencontre incroyable de quatre étudiants : Austin Hollimon et Hafzat Akanni, deux étudiants à la maîtrise à l’école de droit de Howard ; Marlee Williams, une étudiante de deuxième année en science politique ; et Malik Rolle, un étudiant de troisième année en administration des systèmes informatiques. Je pense que c’était la première fois que je rencontrais des étudiants noirs aussi enthousiastes de faire découvrir la culture de leur campus.
« Les HBCU instaurent une culture axée sur l’épanouissement de chaque étudiant sur ce campus. […] Je dirais qu’à Howard, on apprécie non seulement de voir les étudiants s’épanouir, mais on jubile lorsqu’on les voit accomplir de grandes choses en dehors du campus », expliquait Marlee avec fierté.
Les quatre connaissaient en détail l’histoire de leur établissement et vantaient ses mérites. « Voici la bibliothèque, c’est ici que de nombreuses générations de grands avocats noirs ont acquis leurs connaissances », déclarait Austin devant le bâtiment sur le campus de la Faculté de droit. Ne vous méprenez pas : j’adore l’UQAM et je crois que c’est le cas pour plein d’autres uqamiens noirs, mais je n’ai jamais vu quelqu’un être autant en AMOUR avec son université.
Ce qui me frappe, au fil de mes échanges avec ces étudiants et qui va de pair avec mes recherches personnelles, c’est que tout porte à croire que les HBCU cultivent spécifiquement un environnement propice à la réussite des étudiants. Conférences et séminaires hebdomadaires animés par des figures de proue des communautés noires aux États-Unis ; corps professoral composé majoritairement de travailleurs noirs au pedigree franchement impressionnant ; programmes scolaires d’élite imprégnés de la culture et de la littérature noire et beaucoup plus.
Ces institutions développent un écosystème scolaire axé sur l’excellence, la communauté et la culture. Elles s’engagent d’ailleurs à préparer les futurs diplômés à faire face à des rivaux aux origines ethniques, raciales et linguistiques diverses. L’encadrement que les étudiants reçoivent à Howard forge cette confiance indescriptible qui émane de leur discours. Ainsi, Hafzat peut facilement s’imaginer devenir juge fédérale, Marlee sent que sa formation universitaire la mènera tout droit au Sénat et on peut s’attendre à ce qu’Austin devienne un acteur majeur de changement dans sa communauté, à Atlanta.
Pour ma part, ce que j’ai le plus ressenti durant mon parcours, c’est que je suis différente.
Je suis à la conclusion de mon bacc et je peux déjà observer que, malheureusement, tout le monde ne part pas sur le même pied d’égalité quand on débarque sur le marché du travail. On m’a fait miroiter des opportunités d’emploi avec la promesse que je me dédierais aux voix et aux talents de la diversité. Pourtant, une dizaine de mes camarades blancs font déjà leur entrée dans l’industrie des médias alors que trois de mes camarades noirs peinent à trouver un poste, considérant qu’ils sont tout autant brillants.
À l’heure actuelle, aux États-Unis, le fameux programme d’action positive (Affirmative Action) qui consistait à appliquer une discrimination positive dans le processus d’admission des universités et collèges est maintenant illégal, selon la Cour suprême du pays. Cette politique permettait aux jeunes issus de la diversité de se démarquer aux yeux des Ivy Leagues, soit des universités reconnues pour avantager les personnes blanches parmi les plus privilégiées.
Confrontée à cette nouvelle désolante, mais toutefois inspirée par mes nombreuses rencontres édifiantes à Howard, je crois sincèrement que LE meilleur endroit où un étudiant noir peut espérer recevoir une éducation de haut niveau et sentir que son blackness est valorisé, c’est dans une HBCU.
« The HBCU has and continues to serve as a bold catalyst in the production of Black advanced professional degree holders, thus adding to the success of higher education, the economy, and to the civic and social order of future generations in America. »
(« Les HBCU ont et continuent de servir de catalyseur dans la production de professionnels diplômés noirs, contribuant ainsi au succès de l’enseignement supérieur, de l’économie et à l’avancement social des générations futures aux États-Unis. »)
-Tiffany Fountaine Boykin et al.