Témoignage
Le deuil en relation d’aide
Il y a quelques années, Nathan a décidé de faire un pas de côté pour rejoindre les jeunes là où ils se trouvent : dans la rue, et non dans les cadres rigides des institutions. C’est ainsi que commence son parcours comme travailleur de rue. Ce choix, profondément ancré dans des valeurs humaines, marque une rupture avec les modèles traditionnels d’intervention. Ici, il n’est plus question d’attendre que les jeunes franchissent les portes, mais plutôt d’aller vers eux, à leur rythme et dans leur environnement.
Les premiers pas dans ce rôle ne sont pas simples. Nathan ne sait pas vraiment par où commencer. Les jeunes ne le connaissent pas, et tout repose sur une patience presque instinctive, celle de « chiller » sans attentes immédiates. Puis un jour, l’un d’eux brise la glace : « Yo, ça fait un moment que je te vois, mais tu es qui ? ». Cette simple question devient la porte d’entrée vers un monde d’interactions sincères et spontanées. Petit à petit, des liens se tissent. Une communauté naît autour de lui, dans le respect mutuel et sans hiérarchie.
Mais dans ce métier, rien ne prépare au croisement des joies intenses et des émotions difficiles.
Être travailleur de rue, c’est aussi se confronter à un dilemme permanent : comment s’occuper des autres tout en prenant soin de soi ? Nathan est sollicité.e à toute heure et dans toutes les situations, parfois même après une journée déjà chargée. Par exemple, un jeune peut lui demander de l’accompagner récupérer ses affaires chez une personne violente. Dans ces moments-là, prioriser son repos lui semble contre intuitif.
Ce métier, c’est une école de la résilience et de l’écoute. Nathan apprend à poser ses limites et à comprendre que certaines choses dépassent son contrôle, malgré tout l’amour et l’accompagnement qu’il peut offrir.
Puis, il y a ces rencontres qui bouleversent tout. Lenny est l’un de ces jeunes qui marque. Avec lui, il apprend l’importance de nouveaux modes d’interventions : que signifie recevoir un meme d’une maison en feu sur Instagram ? Est-ce un appel à l’aide ou une manière détournée de raconter sa détresse ? Grâce à lui, Nathan évolue, innove dans ses pratiques. Et puis, brusquement, Lenny s’en va : il met fin à ses jours.
Rien ne prépare Nathan à la perte d’un.e jeune qu’il accompagne. La nouvelle tombe, brutale et incompréhensible. Il est à la fois celle ou celui que l’on sollicite pour accompagner les autres dans leur douleur, mais aussi la personne qui porte un deuil immense en silence. Il prend conscience, au détour des témoignages et des réactions, de tout l’amour que ce jeune portait autour de lui – et à quel point il comptait pour lui aussi.
Exprimer cet amour, dans ce milieu, ne passe pas par des mots. Ce sont des gestes, des énergies, des sourires qui trahissent la profondeur des liens. Pourtant, ce deuil devient un moment charnière : une invitation à réfléchir à ce qu’il veut faire de la suite de son parcours d’intervenant.
Lenny continue malgré tout à guider les pas de Nathan. Son souvenir devient le socle d’un nouveau projet : la prévention des violences sexuelles auprès des jeunes queer. Ce n’est plus seulement un travail, mais une quête de sens. Chaque jour, une pensée l’accompagne : honorer la mémoire de Lenny tout en multipliant les gestes de soutien envers d’autres jeunes dans des situations similaires.
Être travailleur de rue, c’est faire face à un mélange unique de défis, d’échecs et de victoires. Et c’est aussi comprendre qu’au-delà des interventions, il y a une force insoupçonnée dans l’amour silencieux qu’on porte à ces jeunes. Nathan doute souvent, mais ces liens, ces souvenirs, ces moments partagés prouvent qu’il continue à faire ce qu’il fait de mieux : aimer et accompagner, sans conditions.
Identifiez-vous! (c’est gratuit)
Soyez le premier à commenter!