Dans ma liste des sujets à éviter à l’heure du déjeuner, je place le conflit israélo-palestinien en première position.
Si il est difficile de se faire une opinion sur le conflit israélo-palestinien, c’est parce qu’il est encore plus difficile de juger de la fiabilité des informations qui nous parviennent. Pour une raison évidente dans un premier temps : la plupart des journalistes occidentaux amenés à s’intéresser au sujet ne parlent pas hébreu ou arabe et doivent donc se reposer sur des traductions plutôt que sur les sources originales. Or, le choix d’un mot plutôt qu’un autre peut entraîner des sens différents et avoir des conséquences sur notre compréhension du conflit : quand Ayelet Shaked, députée israélienne issue du parti d’extrême-droite Le Foyer Juif à été accusée d’avoir appelé sur Facebook à la mort des mères de famille palestiniennes afin de les empêcher d’engendrer de nouveaux “serpents”, elle se défendit en avançant que son propos avait été mal compris ou volontairement mal traduit. Si Ayelet Shaked dénonce des pratiques manipulatrices, les mécanismes de propagande israéliens sont eux aussi bien rodés : il suffit de jeter un œil au fil Twitter des Forces de Défense israéliennes ou de se rappeler de la campagne de soutien menée par un distributeur local de Garnier, offrant aux soldates de Tsahal une peau douce même sur le front de guerre, pour s’apercevoir que l’armée israélienne est gérée comme une marque dont les slogans évoluent au gré des opérations. Ici à nouveau, on peut s’interroger sur le choix de traduire la dernière manœuvre en date, signifiant littéralement “roc inébranlable”, par “bordures protectrices” (“protective edge”), formule qui met davantage l’accent sur la nécessité pour un Israël entouré d’ennemis de se barricader derrières des murailles. Une interprétation plutôt inspirée, liée au succès de Game of Thrones sans doute. Ce qui nous semble donc à prime abord être une information neutre ne l’est en réalité pas le moins du monde. À l’inverse, nous avons tendance à nous méfier des discours trop militants, parce qu’ils manquent d’objectivité. “Au mot conflit, je préfère le mot conquête” a dit mercredi le journaliste Max Blumenthal, invité à témoigner à l’occasion d’une session extraordinaire du Tribunal Russell sur la Palestine, à Bruxelles. Parler de conquête, c’est mettre en avant la stratégie d’accaparement des ressources que mène Israël, éclipser l’aspect ethnico-religieux du conflit pour mieux souligner son caractère politique. C’est aussi affirmer l’existence d’une asymétrie au sein des forces en jeu. C’est proposer une représentation différente d’un conflit hypermediatisé et c’est en quelque sorte la mission de ce tribunal d’opinion auquel j’ai eu l’occasion d’assister. Né en 1966 dans le contexte de la guerre du Vietnam, le Tribunal Russell vise à examiner à la loupe du droit international les crimes de guerres qui, aux yeux du comité organisateur, n’obtiennent pas assez d’attention de la part des institutions politiques et juridiques traditionnelles. Constitué de juristes éminents mais également de personnalités populaires reconnues pour leur engagement social – y figuraient notamment le cinéaste Ken Loach et le chanteur Roger Waters – ce tribunal qui n’a de compétence que de celle d’offrir un espace de parole à accueilli tout au long de la journée des experts juridiques, en balistique mais aussi des journalistes renommés, médecins et travailleurs humanitaires palestiniens, israéliens et d’ailleurs. L’objectif de cette journée était de déterminer si Israël est coupable de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou même de génocide. Mais comme l’a souligné très vite le premier expert entendu, Paul Behrens, la définition juridique de génocide est différente et plus restreinte que son entendement courant. Il faut parvenir à identifier des personnes – les états ne peuvent être poursuivis – qui auraient agit avec l’intention claire d’exterminer un groupe d’être humains se définissant par une appartenance nationale, ethnique, raciale ou religieuse. Si la population palestinienne correspond à cette définition, on ne peut cependant pas tenir compte des attaques visant le Hamas, groupe politique. Il s’agit donc d’établir les dommages causés à la société civile et de démontrer leur caractère intentionnel. Le gouvernement israélien a par ailleurs été convié à assurer sa défense mais n’a pas donné suite à l’invitation. « Haïr les arabes ce n’est pas du racisme, c’est une valeur » David Sheen, journaliste canadien vivant en Israël était invité à témoigner des incitations à la haine parcourant la société israélienne. Citant à travers un diaporama glaçant des figures marquantes de la scène politique, des autorités religieuses ou tout simplement de jeunes adolescents s’exprimant sur Twitter, David Sheen nous met face à une rhétorique mêlant eugénisme, inspirations bibliques et appel à la violence. À titre d’exemple, le premier août 2014, le jour le plus sanglant de l’opération dite « Bordures protectrices », un des blogueurs attitrés du Times of Israel publiait un article intitulé « Quand le génocide est permis », dans lequel il décrivait l’extermination totale de la population palestinienne comme une question de vie ou de mort que la communauté internationale n’est malheureusement pas en mesure de comprendre. Rapidement retiré du site, son auteur, Yochanan Gordon, regrettait cependant sur Twitter que le journal ait cédé à la pression. Au-delà de ce sentiment d’insécurité exacerbé, c’est le racisme qui s’exprime, aussi bien dans la société civile que dans les rangs des Forces de Défenses : « Nous avions tellement l’habitude de nous percevoir comme supérieurs que la résistance était pour nous inacceptable, nous nous sentions insultés » dit Eran Efrati, partageant son expérience d’ex-soldat de Tsahal, qui a depuis travaillé pour l’organisation Breaking the Silence, visant à briser la censure autour des agissements de l’armée israéliene. À travers l’exemple de l’assassinat du civil Salem Shamali par un sniper israélien, c’est tout un système nourri de frustrations et encouragé par l’impunité que le “refuznik” est venu dénoncer.


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