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Yukon, mon amour

Une lettre à lire avec des lunettes roses pour un territoire qui en fait voir de toutes les couleurs.

Par
Ann Julie Larouche
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La décision s’est prise d’elle-même cette année pour le Yukon. On m’avait raconté ses montagnes, ses personnages singuliers, ses espaces, sa bouille mystique et sauvage.

Je ne doute jamais de mes choix de voyage. Ce n’est ni l’endroit ni le moment pour analyser comment je veux prendre soin de mon temps. Ils se dessinent, simplement, aussi limpides que mes options de soupers quand j’ouvre la porte de mon frigo.

Je mets juste les éléments en place et je pars.

«Au Yukon ? Qu’est-ce qui a à faire au Yukon?», m’a demandé l’une des amies de ma sœur avant de partir, le visage tendu. «Prendre l’air», avait répondu avec douceur mon beau-frère, en renfort, avec un clin d’œil.

Ce n’est pas un choix qu’on fait par mimétisme, mais par envie d’aller mettre les pieds dans un territoire qui arrive mal à se vendre lui-même.

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Merci Philippe. Et oui, c’était notre intention. On n’y va pas pour fêter jusqu’au bout de la nuit.

Je comprends la surprise- c’est un mystère épais comme destination, malgré une communauté québécoise bien établie à Whitehorse, la capitale.

«Le Nord terrifie ben du monde.»

C’est ce que m’a confirmé l’homme assis à mes côtés dans l’avion, à ma troisième escale. Il me félicitait d’y aller, lui qui y habite depuis maintenant 17 ans.

La dernière fois qu’on saluait mon choix de décoller pour une destination abstraite et creuse, c’était lors de mon vol pour le Bangladesh.

C’était très loin d’être comme chez nous.

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Apprivoiser la bête

Quelques éléments non négociables peuvent certainement effrayer les voyageurs vers le Yukon.

Les (trop) grands espaces.

La location d’une voiture obligatoire pour cause d’un transport en commun inexistant.

Les ours.

Les prix élevés en épicerie.

Les feux de forêt qui affectent les communautés et l’itinéraire original établi.

L’absence du réseau cellulaire dans les recoins, loin.

Le climat toujours incertain.

La rareté des options pour faire la fête.

Les vols longs et chers.

Le peu de gens qui y ont mis les pieds et à qui on peut se référer pour des recommandations en amont.

La difficulté pour la coordination des terrains de camping pour partir en autonomie complète en randonnée.

Les longues distances à parcourir en voiture entre les villes.

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Ce n’est pas un choix qu’on fait par mimétisme, mais par envie d’aller mettre les pieds dans un territoire qui arrive mal à se vendre lui-même.

Et pourtant.

Des randonnées pour tous les calibres

À 160 km à l’ouest de Whitehorse se trouve le plus grand cadeau visuel, le Parc national de Kluane, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Sur place, des sentiers pour tous les mollets, du plat aux sentiers plus rocks.

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Notre première montée se dessinait sur un sol de gravel, un parcours exigeant qui s’est clos avec une vue partiellement dégagée, dans le ventre d’une montagne -Jasmine, ma précieuse alliée de voyage, les appelle les belles madames-, qui rend assez humble.

L’une de mes amies avait des souvenirs impérissables du sentier de Sheep Creek, situé dans le même parc national.

En nous déplaçant en voiture pour cette randonnée, nous avons croisé l’inattendu que nous avions souhaité: trois bébés grizzlys sur la route. Pas de mère à l’horizon.

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Je me suis transformée en crème glacée molle avec un cœur qui n’en finissait plus de cogner.

Magique est un terme galvaudé, mais c’était une rencontre magique.

Marcher au Yukon > marcher au Québec

En matière d’expérience, s’investir dans les sentiers de randonnées au Yukon n’a rien de comparable.

Ça n’enlève rien aux montagnes que nous avons au Québec, mais une vue à 360 degrés complètement dégagée pendant des heures? C’est une expérience significative que je n’ai pas vécue ailleurs.

Sur place, j’ai lancé à Jasmine ces phrases inspirantes:

«C’est vertigineux tellement on se sent loin»;

«D’une beauté insupportable»;

«OK je vais mourir ici Jaja j’ai le vertige»;

«Faut que je descende maintenant»;

«Voyons donc que j’ai le vertige pis je le savais pas»;

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«Comment on va faire pour redescendre» sous le son de mes claquements de jambes involontaires qui n’arrivaient pas à se lever au sommet d’une crête sinueuse.

C’est correct, se faire faire un petit reality check sur nos réelles capacités.

La force des différents paysages

Changeons de panorama. Une toundra plus sévère, des roches ciselées au couteau qui contournent des montagnes couvertes d’une brume dense.

Près de 800 km séparent les deux.

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Si l’endurance vous sied pour traverser certaines autoroutes non pavées, le chemin qui sépare le Sud du Nord et qui vous amènera vers Tombstone est un autre voyage sinueux qui en vaut la peine.

En deux semaines, nous avons décidé de camper sur les deux sites (certains voyageurs les font en backcountry, c’est-à-dire en autonomie complète), et de nous allouer une trêve de matelas mince et de mains froides la nuit à une auberge à Dawson. Des draps blancs et un souper au restaurant n’ont jamais blessé personne.

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Entre les chemins qui sont mal définis, ceux qui frôlent le vide et la pluie qui nous a absorbés en mi-parcours, nous réalisons: ce n’est pas la douceur, ce n’est pas facile, c’est le Nord.

Et nous sommes extatiques d’y être.

J’ai repensé à ce que mon compagnon d’avion m’avait dit: «Le Nord terrifie ben du monde.»

Terrifiant.

Intéressant de penser à ce qui est terrifiant pour le monde.

Ce n’est pas la douceur, ce n’est pas facile, c’est le Nord. Et nous sommes extatiques d’y être.

Des nuits en campings à 6$ à Tombstone ?

Des rencontres éclectiques, comme celle d’une humoriste lesbienne de 60 ans qui nous répète «You look like a top model» alors que je reviens de 6 jours de camping et que mes joues sont encore sales ?

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Une jeune dame passionnée par la fabrication de ses propres produits de beauté, conçus avec les éléments de nature à proximité de chez elle, qui gagne son pain comme employée de Parcs Canada la semaine et son beurre comme danseuse de French cancan au casino le week-end ?

Dans les aspects fascinants du Yukon, il y a les touristes qui se lovent aux locaux dans le territoire sans trop de difficulté, comme l’anglais et le français qui se jouent dans une danse toujours fluide dans les contextes sociaux.

C’est une randonnée dans un monde en suspens qui est imperméable au convenu et aux attentes.

Qui offre un marché public une soirée par semaine. Pas plus. Libérez-vous ce soir-là.

Et surtout, qui se dédouane de divertir ses habitants par autre chose que l’accès rapide à des territoires grandioses.

La sensibilité du Yukon réside peut-être ici, dans les milliers de bancs planqués en marge des sentiers, en hommage à tous ceux décédés. Ils n’abandonneront jamais la mémoire de ceux qui ont traité leur terre avec respect.

De toute façon, le soleil meurt à 23h, ici.

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