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WTF, les stages non rémunérés?

Dans une ère d’avancées sociales et de pénurie de main-d’œuvre, il est temps de mettre fin à cette pratique.

Par
Billy Eff
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Cette semaine, bon nombre de jeunes adultes partout au Québec entameront leurs premiers jours sur le marché du travail, via divers stages en entreprise dans leur domaine d’études. Certain.e.s ont déjà gradué, d’autres complètent leur stage parallèlement à leurs cours.

Depuis quelques années, plusieurs voix s’élèvent contre la pratique des stages non rémunérés. Entre autres, on reproche aux stages d’exploiter les jeunes travailleurs et travailleuses, et de permettre seulement à ceux et celles au coussin financier assez rempli pour survivre sans salaire de ressortir gagnant.e de cette expérience cruciale en entreprise.

Dans un monde aux prises avec une pénurie de main-d’œuvre, les employeurs peuvent-ils encore se permettre de trouver des moyens de ne pas rémunérer leurs stagiaires? Les stages non rémunérés, est-ce que ça vaut vraiment la peine?

D’apprenti à stagiaire

Pendant longtemps, les études supérieures étaient réservées à l’élite. N’accédait pas qui voulait au monde des livres et des connaissances. Si l’on voulait apprendre son métier, on commençait au bas de l’échelle, comme apprenti. Après un certain temps, lorsqu’on avait acquis le geste et l’expérience, on devenait un « vrai » travailleur et on était compensé comme tel.

Ces stages souvent non rémunérés ont longtemps semblé être un mal nécessaire, comme un gage de dévotion à son éventuel métier.

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Dans beaucoup d’emplois manuels, être apprenti.e reste encore une étape importante de la formation. Mais dans les métiers de bureau, ce sont vers des stages en entreprise que le corps étudiant doit se tourner s’il veut acquérir de l’expérience dans son domaine avant de trouver un emploi stable.

Il y a différents types de stages et, sur le plan légal, peu de consensus par rapport à ce qui qualifie un stage. Il y a les stages qui sont crédités dans le cadre d’un diplôme d’études, où l’étudiant.e passe du temps en entreprise, question d’acquérir une expérience formelle, approuvée et encadrée par son école.

Ces stages souvent non rémunérés ont longtemps semblé être un mal nécessaire, comme un gage de dévotion à son éventuel métier. Toutefois, on comprend bien la frustration de certain.e.s stagiaires, comme ceux et celles en éducation, dont le travail n’est pas rémunéré bien qu’iels fassent effectivement le travail d’enseignement aux élèves.

Mais ce sont plutôt les autres stages qui sont remis en question ici, ceux qui ne sont pas crédités. Soyons clairs : selon la loi, ils devraient offrir au moins le salaire minimum. Mais les exemples d’entreprises qui bafouent cette loi ne manquent pas.

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Expérience de travail, ou labeur gratuit?

Il vous est sûrement déjà arrivé de vous chercher une job sur internet, pour y trouver une offre d’emploi de premier niveau qui demandait pourtant plusieurs années d’expérience. Comment est-ce que quelqu’un qui postule à une job de débutant.e, pour un salaire de débutant.e, pourrait déjà avoir sous la ceinture des années d’expérience? La logique, pour les entreprises, semble être que les plus entreprenant.e.s seront ceux et celles qui auront pris les devants pour acquérir de l’expérience dans leur temps libre. La plupart du temps, à travers des emplois d’été et des stages non rémunérés.

Il y a plusieurs facteurs qui font de cette situation un enjeu éthique et social. D’une part, on veut les travailleurs et travailleuses les plus performants, créatifs et motivés. Mais de l’autre, on trouve des moyens de moins les récompenser pour leur travail.

Fut un temps où le stage était bénéfique pour les deux partis : l’étudiant.e recevait de l’expérience, du mentorat et de l’accès aux ressources de l’entreprise, et de son côté, l’entreprise pouvait faire accomplir au ou à la stagiaire des tâches plus ou moins importantes, tout en mettant à l’essai un.e potentiel.le futur.e employé.e. Aujourd’hui, des stagiaires se voient confier des tâches qui coûteraient très cher à l’entreprise si elle devait payer un.e pigiste pour les faire ou encore créer un poste à l’interne.

Comment est-ce que quelqu’un qui postule à une job de débutant.e, pour un salaire de débutant.e, pourrait déjà avoir sous la ceinture des années d’expérience?

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De plus, les idées qui sortent de l’esprit jeune et créatif d’un.e stagiaire peuvent être grandement profitables à une compagnie, sans même avoir à rémunérer la personne pour son coup de génie! Par exemple, cette ancienne stagiaire de Spotify, qui a été étonnée d’apprendre que son idée de rétrospective musicale annuelle pour chaque utilisateur et utilisatrice avait été adoptée par le géant du streaming sans qu’elle ne soit informée ou payée.

Une pratique inéquitable

Un autre problème avec les stages non rémunérés est que, de manière intrinsèque, leur accès est restreint aux mieux nanti.e.s. Pour les autres, cela demande des sacrifices (ou des coûts!) considérables. Car pendant plusieurs semaines ou mois, les stagiaires devront se passer de salaire, ou devront avoir un autre emploi qui leur permet de survivre, souvent en plus de continuer l’école. Pour plusieurs, un stage non rémunéré n’est donc pas une option envisageable.

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Cela laisse présupposer qui sera en mesure de saisir ces opportunités. Un sondage a été mené en 2019 par la National Association of Colleges and Employers, une association américaine qui fait le pont entre les établissements d’enseignement et les employeurs, auprès de 4 000 membres dans 470 établissements. En analysant les différentes expériences de stages des membres (rémunérés vs non rémunérés, ou sans stage), les chercheurs ont découvert que les femmes et les communautés noires et latinxs étaient sous-représentées dans les stages payés, et surreprésentées dans les stages non rémunérés.

Qui plus est, les gens avec des stages rémunérés recevaient plus d’offres d’emplois. Mais ce qui surprend, c’est que les personnes qui avaient fait des stages non rémunérés recevaient le même nombre d’offres que celles qui n’avaient pas fait de stages du tout!

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Et si c’est mon expérience de rêve?

Tout ça nous ramène donc à ce que peut, ou doit, offrir un stage : acquérir de l’expérience concrète tout en bâtissant son réseau professionnel. Parce que si c’est aujourd’hui vu comme une étape nécessaire à apposer sur son CV, il faut que ça reste pertinent pour soi et sa carrière.

En plein milieu d’une pénurie de main-d’œuvre, qu’est-ce qui peut encore justifier ne pas payer quelqu’un, ne serait-ce qu’au salaire minimum?

Est-ce que ça veut pour autant dire qu’il faut éviter à tout prix les stages qui n’offrent pas de salaire? Pas forcément, mais il faut déterminer si le jeu en vaut la chandelle. Est-ce que ce stage ajoutera de la valeur à votre profil, dans une banque de candidatures? Vous coûtera-t-il de l’argent, en termes de déplacements et d’équipement? Est-ce que c’est une expérience qui vous tente assez pour la faire gratuitement pendant des semaines? C’est le genre de questions qu’il faut se poser avant d’accepter.

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Heureusement, le mouvement pour que toutes les formes de stages soient rémunérées gagne du terrain. Après tout, en plein milieu d’une pénurie de main-d’œuvre, qu’est-ce qui peut encore justifier ne pas payer quelqu’un, ne serait-ce qu’au salaire minimum?

Donc si vous vous faites offrir un stage non rémunéré qui ne sera pas d’aide particulière pour l’obtention de votre diplôme, pensez-y bien. Il faut que ça vaille la peine pour vous, votre future carrière et votre porte-monnaie. Donc si, entre vous et l’employeur, c’est vous qui êtes gagnant.e, allez-y!

Et si vous êtes un employeur qui prenez encore des stagiaires pour faire vos tâches ingrates sans les payer, le contexte social actuel est un moment tout indiqué pour revoir vos pratiques.