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What the MEC?

Comment la coopérative de plein air canadienne a été vendue à des intérêts américains... sans le dire à ses membres?

Par
Raphaëlle Drouin
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Sur son site web, la compagnie de plein air canadienne MEC (Mountain Equipment Co-op pour les intimes) écrit qu’en tant que coopérative elle appartient à ses membres.

Mais lundi soir, ses «propriétaires» ont été pas mal surpris d’apprendre que leur coop avait non seulement été vendue à une entreprise américaine, mais qu’elle perdait aussi son titre de coopérative.

Ça a eu l’effet d’une bombe dans la communauté du plein air au Canada. En quelques heures, une pétition pour annuler la décision du conseil d’administration a obtenu des milliers de signatures. Au moment d’écrire ces lignes, près de 28 000 personnes avaient signé.

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«Et nous les membres dans tout ça?»

«C’est vraiment une décision qui m’a choquée. J’ai vraiment été déçue», m’explique Marie-Chantal Germain au téléphone. Membre de la coop MEC depuis 11 ans, elle s’explique mal pourquoi l’entreprise n’a pas pris le temps de consulter ses membres avant de vendre à des intérêts étrangers.

«On savait que MEC avait des problèmes financiers […] Ils auraient pu nous demander de l’aide avant de prendre une mauvaise décision.»

Même son de cloche chez Michael Roy, créateur de la pétition et membre depuis presque 25 ans. «On savait que MEC avait des problèmes financiers, mais c’est une coopérative de 5,4 millions de membres partout au Canada, ils auraient pu nous demander de l’aide avant de prendre une mauvaise décision», me dit-il en anglais.

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Ça allait déjà mal chez MEC. En 2019, l’entreprise avait enregistré des pertes de 11,5 millions de dollars. Mais pour Michael, c’est quand même une claque dans le visage pour les membres qui, en payant 5$ pour leur adhésion à la coopérative, croyaient qu’ils avaient un peu leur mot à dire sur l’avenir de la compagnie.

«D’un côté, je comprends la décision d’affaires derrière ça, mais elle est blessante parce que je crois tellement au modèle de coopérative», ajoute Marie-Chantal. Elle qui a travaillé huit ans chez Desjardins à la promotion de la distinction coopérative, elle comprend les difficultés de ce genre de modèle d’affaires.

«C’est vraiment un modèle d’entreprise qui vient me rejoindre dans mes valeurs. De considérer le besoin plutôt que le profit à tout prix et surtout, le volet démocratique. Malheureusement, il y a beaucoup de gens qui adhèrent à ces valeurs-là, mais qui ne sont pas prêts à faire les concessions.»

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Ce que dit la loi

Comment MEC, une coopérative qui «appartient à ses membres», a pu prendre une décision aussi importante, sans justement les consulter? Nada Elkouzi, directrice régionale de la Coopérative de développement régional du Québec (Montréal-Laval) m’a apporté ses lumières.

Les coopératives sont régies par la Loi sur les coopératives (t’sais) et lorsqu’une coopérative veut se dissoudre (soit cesser d’être une coop) elle doit inclure ses membres dans le processus. Sauf que c’est valide pour les entreprises qui sont dites «solvables», c’est-à-dire qu’elles sont en mesure de respecter leurs engagements financiers envers leurs créanciers.

Dans le cas de MEC, l’entreprise s’est placée sous la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, ce qui veut dire que MEC n’entre pas dans la catégorie des compagnies «solvables». C’est donc techniquement la Loi sur la faillite qui prévaut par-dessus celle sur les coopératives.

Résultat? Parce que MEC a déjà de la difficulté à rembourser ses «gros» créanciers (fournisseurs, banques, etc.), la compagnie n’a pas l’obligation, à proprement parler, de rendre des comptes à ses «plus petits» créanciers: les membres.

Grosso modo.

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Un changement de culture?

Mais comment la coop-bientôt-plus-coop en est arrivée à se dissoudre et à vendre? Pour certains employés, c’est la conséquence d’un véritable changement de culture qui s’était déjà amorcé.

Charles* est employé chez MEC depuis trois ans et demi (*on a utilisé un nom fictif pour préserver son anonymat). Il a vu l’entreprise se transformer dans les dernières années.

«Légalement, la coopérative ne permet pas d’engranger des profits, mais la culture a changé. Dans les dernières années, on était plus dans un mindset de croissance où on essayait de dominer le marché du plein air.»

Pour David Néron, qui a travaillé au magasin de Montréal pendant trois ans, MEC s’est petit à petit éloignée des valeurs de coopération qui faisaient partie de son ADN. «Ils ont essayé de concentrer les efforts pour rendre l’entreprise plus productive. Les intérêts sont passés de la qualité vers ce qui était plus rentable. On s’enlignait vers un Walmart.»

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D’ailleurs, c’est cette mentalité qui, selon lui, a fait perdre à MEC sa valeur, ce qui distinguait la compagnie des autres. «Tout ce qui était réparation, location de matériel, activités communautaires ça a commencé à diminuer en 2013, mais c’est vraiment dans les deux dernières années que le changement a été radical», m’indique pour sa part Charles.

«Légalement, la coopérative ne permet pas d’engranger des profits, mais la culture a changé. Dans les dernières années, on était plus dans un mindset de croissance où on essayait de dominer le marché du plein air.»

Pour les employés, ces coupures de services ont eu pour effet de dégrader les conditions de travail. «La motivation est plus là, l’engagement non plus. Il y avait un good vibe avant, il y avait une place pour les employés, mais on a freiné leur initiative», ajoute Charles. Et puis il y a eu les mises à pied, en deux vagues (pour ne pas faire de mauvais lien avec la COVID). D’abord en janvier, puis plus récemment en raison, selon MEC, des impacts économiques de la pandémie.

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«Ils ont mis à pied tous les employés qui coûtaient soi-disant plus cher, mais aussi qui avaient le plus d’expérience. On parle de gens qui travaillaient là depuis 10-15 ans. Et ils ont gardé des gens qui étaient là depuis trois mois. Ça montre que MEC a des intérêts qui ne sont plus liés à l’expertise», m’explique David.

***

David garde peu d’espoir que MEC revienne sur sa décision de laisser tomber le modèle coopératif. «On s’est battu contre ça, tu ne sais pas à quel point», me glisse-t-il, en parlant des changements au sein de l’entreprise. «Ça nous fend le cœur de voir ça.»

Quant à Charles, toujours à l’emploi de MEC, l’annonce de lundi «vient tout changer». «Peut-être que ça pourra repartir éventuellement en coopérative, mais pas avec la culture qui a été implantée dans les dernières années», tranche-t-il.

Pour Marie-Chantal, c’est plutôt une question de confiance entre l’entreprise et ses membres, et elle a été brisée. Elle croit qu’ils seront nombreux à aller voir ailleurs maintenant pour leur équipement de plein air.

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Si on se fie aux réactions ces dernières heures sur les réseaux sociaux, elle n’a peut-être pas tort.

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