L’autre jour, le p’tit pis moé, on s’était pris du temps. Pour un chocolat chaud. Dans un café. Avec des croissants.
C’est rare qu’on passe du temps, ensemble, juste tous les deux. Sans sa tasœur*. C’est du temps privilégié pis on le sait [j’en ai aussi avec la tasoeur, là, du temps de même, je précise] pis on se vautre un peu dedans. Y m’a raconté sa vie de cinq ans et demie, parlé de ses amis d’école, m’a demandé « pourquoi don’ la guerre, maman? ». Des affaires simples, t’sais. Bref, le moment était doux et on en était content. Mais a ben fallu que le content se termine et qu’on retourne dans la vie.
Dans la voiture le p’tit a eu cette réflexion : « J’pense qu’on devrait pas le dire, à ma tasoeur pour le chocolat chaud. Elle va avoir bin’que trop peine. ». J’ai trouvé ça plein de considération, d’attention. J’y ai vu une crise de moins à gérer, aussi, pour être franche. Et par les temps qui courent, où les crises se comptent par too much, une de moins, c’est une moins. Fa’que j’ai comme dit « Ouin, t’as raison. On ne va pas lui dire. ».
Mais pendant qu’on hochait de la tête au son de ma musique « de char », j’avais le malaise grandissant. Parce que j’tais quand même en train de dire à mon p’tit que le mensonge par omission, c’est une chose adéquate. J’tais peut-être même en train de l’encourager à faire ça. Peut-être parce que je l’ai souvent fait. Pour ne pas blesser, pour m’éviter de devoir gérer des gens, des situations. Ne pas dire, c’pas vraiment mentir. Si l’intention est bonne. La conséquence directe, c’est moins de souffrance. Ça se justifie. Super bien. Vraiment. Malgré le petit pincement qui te le rappelle que « ouin, cheap shot, fille ». Petit pincement que j’avais justement au cerveau, dans le char avec ma progéniture.
Parce que j’ai pas le goût que mes p’tits jouent avec le réel. Avec les gens. J’ai surtout pas le goût d’être celle qui leur aura appris que mentir aux autres et parfois, à soi, c’est adéquat. Même si c’est juste en se taisant. Même pour éviter une souffrance. Parce que. Parfois, ce qu’on tait est pire que ce qu’on altère, modifie. Et que ce n’est pas nécessairement faire attention à l’autre que de lui éviter une blessure.
Le vrai, le ce qui est tel qu’il l’est [pour avoir une définition de travail, là], ça ne va pas toujours de soi. Parce qu’on est laids, parfois, en dedans. On peut le dire. Des bouts de nous qu’on n’aime pas tant et qu’on exposerait pas dans la vitrine du « regarde ce que je suis », des bouts dont on a honte. Parce qu’on ne sait pas trop si les autres nous aimeraient pareil, malgré ça. On ne sait pas s’ils nous jugeraient. On ne sait pas.
Et c’est peut-être un peu pour ça que c’est que c’est dure en esti de le dire ce vrai qui fait mal, ce vrai qui est laid. Ça peut toute prendre, ça peut toute briser. Soi-même inclus.
On la veut ben la vérité, on dit aux gens de ne pas mentir, mais c’comme si on n’avait jamais été préparés à la recevoir, ladite vérité. À savoir kessé faire de la douleur, de l’autre, de soi. Souvent, la peur de dire est aussi celle de la violence de la réaction. J’ai pas souvenir qu’on m’ait appris à faire ça, accueillir des mots qui tuent. Pourtant. Me semble que la manière de recevoir ce geste de vulnérabilité, ça devrait aller de pair avec le « dis la vérité ».
Et parfois, alors qu’on pense qu’on sera les seuls à se regarder le laid en dedans pour toute la vie, ça se peut que cette chance se présente de tomber sur un humain qui n’en veut pas de bullshit, qui veut juste du soi pis de toute le soi. Un humain avec qui, malgré toute son exigence, il y aura une transparence. Un partage, un accès au pas de flafla. Un humain qui acceptera de le voir le toute soi, pis de le prendre. Un humain avec qui tu diras et entendras des affaires terribles et qui font mal, mais ce sera dit en se regardant le fond d’yeux, en se tenant les mains pis en braillant ensemble. Sans se lâcher les mains. Et ça se peut ben qu’il y ait, alors, malgré le ouch, cette vive impression de se tenir, en fait, le dedans mutuellement. Et vient alors ce sentiment tellement particulier de ne plus être seuls. Parce que l’humain en question reste là. Malgré ce qu’il a reçu en pleine face.
Toujours dans mon char, j’me suis dit que je voulais que mes p’tits soient de ces individus qui pourront certes dire le vrai, mais qui sauront aussi et surtout, le recevoir. Qui resteront là, malgré, mais surtout pour l’autre, pour soi.
Fa’que j’ai dit au p’tit qu’on allait le dire à sa tasoeur qu’on avait eu un moment doux. Pis on lui a dit. Pis elle a fait une crise, pis le p’tit a fait une crise quand j’ai dit à ladite tasoeur qu’elle aussi, elle aurait un moment avec sa maman. Pis je me suis fâchée parce que tout le monde hurlait pis que ça devait pas du tout être ça, « la situation ». Mais détail. On s’est fait des câlins, on a eu une discussion sur l’équité dans le partage du temps avec maman, sur l’amour aussi. Au final, je pense qu’on a fait un exercice humain adéquat. Assumer le vrai, même si ouch.
*: On lui disait toujours, au p’tit, « Ta sœur va naître, bientôt », « Ta sœur x, y ou z » et il a toujours parlé d’elle comme sa « tasoeur »…
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Illustration de : Gabrielle Laïla Tittley
J’existe aussi là : Les p’tits pis moé, pis là
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