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Voyager seule en Iran: paradoxes et beauté

Traverser 11 pays pour arriver à cet endroit plein de mystères et d'idées préconçues.

Par
Jehanne Bergé
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En août 2018, j’ai quitté mon confort et mon quotidien pour un projet un peu fou : rejoindre l’Iran depuis la Belgique par voie terrestre. Autrement dit, traverser plus de dix pays et quelques milliers de kilomètres toute seule avec mon sac à dos. Pendant des mois on m’a demandé : « Pourquoi tu veux aller en Iran? » Pour vous, je vais enfin tenter de répondre à cette question.

Je me présente, je m’appelle Jehanne. J’habite à Bruxelles, mais j’ai vécu au Québec pendant quelques mois. Au grand dam de mes proches, je suis une infatigable baroudeuse, j’ai toujours eu un besoin irrépressible d’exploration, de challenges et de surprises. L’été dernier, j’ai eu 30 ans et j’ai traversé la crise existentielle qui va avec chaque passage à la dizaine supérieure. Bref, un beau matin, j’ai pris mes cliques et mes claques, j’ai déposé mes clefs dans la boîte aux lettres, j’ai ajusté mon sac à dos de 13 kilos et je suis partie direction Téhéran en train depuis Bruxelles.

L’arrivée en Iran

J’ai parcouru à peu près 9000 km. J’ai traversé dans l’ordre la Belgique, l’Allemagne, l’Autriche, la Hongrie, la Serbie, la Bosnie, le Monténégro, l’Albanie, la Grèce, la Turquie et enfin, je suis arrivée en Iran. C’est à Van, tout à l’est de la Turquie, que j’ai pris le train pour arriver à Tabriz, ville située dans la province d’Azerbaïdjan au nord-ouest de l’Iran.

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On ne va pas se mentir, je n’étais pas MÉGA à mon aise dans ce vieux train de nuit tout pourri. Il n’y avait que des hommes, une vieille femme et moi. Arrivée au passage frontière au milieu de la nuit, j’ai sorti mon passeport un peu fébrile, mais aussi mon foulard pour me couvrir la tête. À partir de cette seconde précise, il ne m’a plus quitté pendant les 30 jours d’après. Le douanier a ouvert mon passeport en souriant et m’a regardée en proclamant : « Belgium, Eden Hazard, Welcome ». En deux secondes trente, mes épaules se sont relâchées, j’ai béni le capitaine de mon équipe de football nationale et je suis remontée dans le train. Nous sommes repartis traverser la nuit.

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La route que j’ai parcourue. 9000 km, 11 pays, 14 semaines et 2 jours.

L’hospitalité

Pendant tout mon voyage, j’ai dormi chez l’habitant grâce au site Couchsurfing. Le système est illégal en Iran, les utilisateurs y sont malgré tout vraiment nombreux, tant et si bien que l’offre de logements dépasse largement le nombre de voyageurs. L’hospitalité iranienne n’est pas un mythe: où que vous soyez, on vous invite pour un thé, un repas ou carrément pour la nuit. Sans raison aucune, juste celle de partager. Très vite, on découvre l’art du T’aarof, le « langage de la politesse et de la louange ». Grosso modo, un rituel de politesse où chacun se bat pour inviter l’autre. On répète les choses jusqu’à trois fois pour voir si l’offre et le refus sont réels ou simplement polis.

Et quand on n’est pas Iranien, ça peut prêter à de sérieux quiproquos.

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Mon arrivée en Iran au milieu de la nuit. Gare de Tabriz. Vieux selfie pourri.

Un pays de culture

Alors, maintenant, je vais vous le dire, c’est le cinéma iranien qui m’a donné envie d’aller jusque Téhéran. Trois films en particulier, Les Chats persans qui retrace le parcours d’un groupe de musique undergound qui lutte pour la liberté de jouer de la musique (les chanteuses ne peuvent se produire sur scène en Iran!), Persépolis, le film d’animation qui revient sur la chute du Shah et tous les changements amenés par la révolution de 1979 et Les Enfants du ciel, une magnifique histoire d’enfance dans un quartier pauvre. Outre les cinéastes, musiciens et artistes contemporains, le pays a une culture millénaire.

La poésie est l’un des piliers de la société. Les Iraniens aiment à dire que même le plus pauvre des foyers possède toujours deux ouvrages : un Coran et des poèmes de Hafez. Presque chaque habitant peut citer les vers de ce prodige du XIVe siècle.

La magnifique ville de Kashan, aux portes du désert.

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Une nature incroyable

Franchement, je ne savais pas exactement où je mettais les pieds. Je n’avais rien prévu. Alors j’ai été de surprise en surprise. L’immensité du désert, la blancheur des lacs de sel, les rivières, les montagnes, le bleu du golfe Persique… La nature est hyper variée dans cet immense pays dont la superficie est de 1 648 000 km² (juste un peu plus petit que le Québec). Dormir dans le désert, c’est le top. C’est un espace de liberté sans autorité, l’endroit parfait pour organiser des grosses fêtes arrosées d’alcool local homemade.

Mon meilleur ami.

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Des infrastructures modernes

Quand on me demandait ce qui m’étonnait le plus en Iran, je répondais toujours « Qu’on puisse boire l’eau du robinet ». C’est con, mais c’est un signe de bonnes infrastructures. Comme je le disais plus haut, j’ai beaucoup voyagé et rares sont les pays où on peut boire l’eau sans finir la tête dans les toilettes. Pour le reste, les routes sont bien construites (mais hyper embouteillées), le système de transport public est plutôt efficace aussi.

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Une fresque anti-impérialiste sur l’ancienne ambassade américaine. Téhéran.

Dans les grandes villes, les métros ont un wagon réservé aux femmes, des vendeuses ambulantes en tchador y vendent du make-up et des soutiens-gorge, c’est assez rigolo. Le système de santé n’est pas mal et je n’ai jamais rencontré autant d’universitaires de ma vie. Niveau applications et technologie, l’Iran a développé sa propre Silicon Valley, les applications locales sont top pour améliorer un peu le quotidien des habitants. Bref, les infrastructures fonctionnent, mais la vie n’est pas simple pour autant. Entre les lois absurdes, les restrictions de liberté, la crise économique suite aux sanctions de Trump… Pas évident tous les jours de croire à demain.

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Les bazars, immenses marchés couverts. On en retrouve dans toutes les villes.

Téhéran, la capitale qui vibre

La capitale iranienne est une véritable mégapole. Les quartiers à la mode sont remplis de cafés branchés et alternatifs (comme le Nazdik Café), on s’y délecte des jus et milkshakes en tous genres et bien sûr des bières islamiques sans alcool. Autour du métro Ferdowasi, on retrouve des boutiques qui mettent en avant des designers locaux. La ville est d’ailleurs le symbole de tous les changements sociaux. Téhéran, c’est des musées, des centres d’art officiels ou des galeries plus underground, des fresques de street art religieux ou de martyrs sur les façades d’immeubles, des embouteillages, des restaurants qui ne ferment jamais, des centres commerciaux luxueux où se pavane la jeunesse dorée qui use et abuse d’Instagram, des théâtres… Se balader dans les rues de la capitale est la meilleure manière de comprendre le quotidien de ses habitats tiraillés entre tradition et modernité. La ville compte aussi d’immenses parcs où il est bon se poser, flâner, se retrouver en amoureux, lire, écouter un chanteur de poèmes ou encore partager un pique-nique en famille.

L’architecture incroyable des mosquées.

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Être une femme seule

La grande question qu’on m’a posée 228 fois : « ce n’est pas dangereux pour une fille de voyager toute seule? » La règle numéro un reste bien sûr d’écouter son sens du danger et au moindre signe d’insécurité de se casser en courant. En Iran, je me suis sentie vraiment en sécurité, mais je crois que le manque de mixité hommes-femmes peut entraîner des frustrations. Moi, je porte toujours des bagues et je répète que je suis mariée. En général, ça calme tout le monde et j’ai la paix. Après, ce genre de voyage implique évidemment de sortir de sa zone de confort.

Le désert, un espace de liberté loin des autorités.

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Porter le voile obligatoire pour les femmes, se couvrir les fesses, respecter les règles religieuses, se balader sous le regard inquisiteur de la police des mœurs, il faut un petit temps d’adaptation… Une fois les préjugés dépassés, on découvre une terre riche, un peuple très éduqué, une culture raffinée. Sur place, on réalise à quels points les enjeux géopolitiques et les habitants d’un pays sont deux réalités complètement différentes. Les Iraniens sont les premières victimes du système et de l’image de leur région. A la question « Pourquoi l’Iran? », je crois que la meilleure réponse est finalement « Pourquoi pas? ».