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Vous sentez-vous négligés par votre université?

Protéger la santé physique de ses étudiants sans affecter leur santé mentale, tout un défi.

Par
Mélanie Loubert
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Il est 19h, je suis assise dans mon lit à écouter un énième cours sur Zoom pour lequel je paye 400$ pour presque aucune matière: une séance de questions d’une demi-heure puis 2 pages d’un document pdf à lire. Un peu découragée et en quête de support moral, je décide de poser une question à mon fil d’actualité Facebook : guys, vous sentez-vous négligés par votre université en ce moment?

Et là, les réponses se mettent à fuser de toute part : « oui », « absolument », « c’est bad, vraiment bad … ». Des gens commencent à m’écrire, me faire part de leur expérience.

Une de mes amies me partage même les résultats d’un sondage Instagram personnel dans lequel elle demandait aux gens comment ils trouvaient l’enseignement à distance. Une fois encore, les réponses sont stupéfiantes : « I wanna die, c’est trop », « complètement découragé », « envie de lâcher ma session », « send help » …

J’oscille entre la nausée et le soupir de satisfaction; c’est terrible, mais au moins… je ne suis pas seule. Je cherche dans les médias, est-ce qu’on en parle? Je trouve quelques témoignages, un en particulier dans le Journal de Montréal, où l’auteur déplore le fait que les étudiants universitaires sont les grands oubliés de la pandémie. J’ai un sentiment étrange qu’il n’est pas exactement là le problème. Les nombreux commentaires haineux sous la publication Facebook de l’article me découragent encore plus. Une lettre ouverte dans L’impact Campus me bouleverse, je m’y retrouve tellement! Une vidéo de Radio-Canada explique qu’en septembre, 37% des étudiants avaient ressenti des symptômes dépressifs ou anxieux.

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Les raisons qui pourraient expliquer cette statistique se bousculent dans ma tête : isolement, perte de travail, stress lié à l’argent, manque de motivation, d’encadrement. S’ajoute à cette longue liste un sentiment d’abandon : les étudiants ont l’impression que leur université, en essayant de les protéger du virus, a oublié de protéger leur éducation. Que ce soit à cause d’une charge de travail démesurée, des frais de scolarité qui sont restés les mêmes (ou dans certains cas ont augmenté) alors qu’on reçoit moins de services ou des projets annulés par l’université, nous sommes nombreux à nous sentir démunis.

Le stress du portefeuille

«J’ai eu à m’acheter un nouveau laptop ainsi qu’une imprimante pour être capable de fonctionner normalement de chez moi. Avec mes colocs, nous avons également eu à changer de forfait internet afin d’en avoir un accès illimité.»

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Gali étudie à McGill dont le campus est actuellement fermé aux étudiants à moins de détenir une dérogation. Pourtant, les frais de scolarité n’ont pas diminué. « Comme dans un contrat de logement, nos frais nous garantissent habituellement une certaine jouissance des lieux que recoupe le campus de McGill. J’entends ici d’abord et avant tout la bibliothèque, mais plusieurs choses entrent aussi en ligne de compte : des locaux pour étudier, du Wifi, un accès à des ordinateurs, un accès à des imprimantes, des salons étudiants, etc » m’explique Gali. Non seulement les étudiants continuent à payer pour ces services qu’ils ne peuvent plus utiliser, mais leurs frais personnels, eux, augmentent. « J’ai eu à m’acheter un nouveau laptop ainsi qu’une imprimante pour être capable de fonctionner normalement de chez moi. Avec mes colocs, nous avons également eu à changer de forfait internet afin d’en avoir un accès illimité » raconte-t-il.

Prenons maintenant en compte tous ces étudiants qui travaillaient dans des cafés, des restaurants, des bars, des salles de spectacles, et qui sont maintenant sans travail. Et on s’étonne que ce soit difficile sur le moral. D’autant plus que la PCUE est chose du passé et que les étudiants n’ont pas droit au chômage.

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Des projets d’avenir en péril

Marek étudie en cinéma à l’UQAM en deuxième année. Dans son cas, l’enseignement est hybride. Pour lui donc, pas de problème d’isolement puisqu’il a l’occasion de voir ses professeurs et collègues de classe. « On sent que nos professeurs sont là pour nous aider. Ils sont toujours présents et ouverts. » Ce qui tracasse Marek par contre, c’est que la zone rouge met en péril certains projets de leur programme. Si sa cohorte a eu à se battre longtemps pour les maintenir, les étudiants de troisième année eux, se retrouvent sans financement pour leurs films de fin d’études.

L’UQAM a dû refuser de financer les films si ceux-ci n’étaient pas tournés entre les murs de l’université, pour des questions éthiques et sanitaires.

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Denis Chouinard, le directeur du programme expliquait au Montréal Campus « La dernière année, pour un étudiant en cinéma à l’UQAM, c’est comme un point culminant de ses études au baccalauréat. Les deux années précédentes, tous les cours convergent vers le tournage du film de fin d’études. » Et pourtant, l’UQAM a dû refuser de financer les films si ceux-ci n’étaient pas tournés entre les murs de l’université, pour des questions éthiques et sanitaires.

Même s’il comprend les préoccupations de l’université, Marek poursuit : « on se sent trahi et déçu parce qu’on a tous payé les frais de scolarité! L’université nous lâche sur les projets qui font partie du programme de cinéma et je trouve que ça lui fait perdre de la valeur. »

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Les étudiants ont trouvé des solutions pour réussir à tourner leurs films eux-mêmes, soit en les finançant de leurs poches ou avec l’aide de la boîte de production Bravo Charlie, qui supervisera les créations des équipes de l’UQAM. Ils poursuivent également les négociations avec l’université pour avoir droit au financement.

Mais encore une fois, à quel prix psychologique?

Les effets d’une bonne communication

À l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, un comité étudiant qui souhaite rester anonyme a même mis un terme sur le phénomène : « isolement institutionnel ». Ce groupe d’étudiants a réalisé un sondage pour identifier les problématiques de santé mentale, financières et matérielles qu’entraîne l’isolement institutionnel qu’ils définissent comme un « isolement ressenti à cause de la réduction de l’accès aux ressources de l’UQAT (accessibilité aux bâtiments, ressources humaines et ressources matérielles) ». Les résultats leur ont permis de constater la gravité de la situation au sein de leur département.

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La bonne nouvelle là-dedans, c’est que la direction de l’université, après avoir consulté les résultats de ce fameux sondage, a rencontré le comité responsable du sondage. Cette rencontre a entre autres permis aux étudiants d’avoir accès aux bâtiments (sous certaines conditions dans le respect des règles sanitaires) et à certaines ressources. Comme quoi, il y a encore espoir.

Même si on est capables d’être indulgents, on ne peut s’empêcher de penser que les universités auraient gagné à consulter plus étroitement leurs étudiants.

Les universités sont dans le même bateau que tout le monde, elles ont eu à adapter leur façon de fonctionner drastiquement et rapidement. Mais même si on est capables d’être indulgents, on ne peut s’empêcher de penser qu’elles auraient gagné à consulter plus étroitement leurs étudiants. Ça aurait peut-être évité ce que j’ai pu lire dans les messages qu’on m’a envoyés, à savoir que beaucoup pensent suspendre leurs études pendant un moment. Et ça, c’est vraiment dommage.

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J’ai espoir que la situation ira en s’améliorant à partir de maintenant et que les universités seront plus à l’écoute des inquiétudes des étudiants.

Pour que dans ce monde où le diplôme est si valorisé, on ne soit pas punis d’avoir échoué à surmonter psychologiquement cette pandémie mondiale.