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Votre partenaire « oublie » certaines tâches ménagères? C’est peut-être de l’incompétence stratégique

Est-ce que votre partenaire refuse de faire le lavage sous prétexte que vous le faites mieux que lui ?

Par
Laurence Niosi
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Votre chum se dérobe de certaines tâches ménagères sous prétexte qu’il n’est pas capable de les faire? C’est ce qu’on appelle l’incompétence stratégique, ou « weaponized incompetence » en anglais.

« Mon ex me disait souvent : “je ne suis pas bon pour faire ça”. Ou “je priorise d’autres choses dans lesquelles je suis bon”, comme les travaux manuels. Donc, je restais pognée avec les tâches de m*rde », m’écrit mon amie qu’on nommera Constance.

« Il aurait pu me montrer comment visser et moi, j’aurais pu lui montrer comment torcher une bol. Mais j’étais gardée dans cet espèce de vortex de tâches considérées “féminines” », poursuit-elle sur son ex (et père de son enfant).

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Le terme « weaponized incompetence » a été utilisé pour la première fois par le journaliste Jared Sandberg dans le Wall Street Journal, en 2007, pour décrire une situation dans un contexte professionnel. Mais l’expression a depuis trouvé une forte résonance chez les femmes.

Sur Reddit, ce ne sont pas les témoignages – de femmes et de mères, généralement en couple avec un homme – qui manquent. « Il utilisait son trouble de l’attention (TDAH) pour justifier sa paresse », écrit l’une. « Mon ex-mari refusait de faire la vaisselle, ça le dégoûtait », écrit l’autre. « Mon père a mis feu au four en le nettoyant pour que ma mère ne lui demande plus de le faire », témoigne une autre internaute.

C’est que l’incompétence stratégique peut être inconsciente ou savamment calculée, souligne la sociologue Mélissa Blais. Elle fait partie des « grandes stratégies d’évitement dans les relations hétérosexuelles pour échapper aux tâches domestiques », contextualise la professeure au Département des sciences sociales à l’Université du Québec en Outaouais.

Et dans son livre Les hommes et le féminisme, le politologue Francis Dupuis-Déri parle carrément d’un ensemble de « tactiques de résistance et de sabotage » que certains hommes déploient dans un contexte d’inéquité des tâches domestiques et parentales.

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Les femmes sont en effet encore responsables de la vaste majorité des tâches ménagères. Au Canada, 56 % des personnes vivant en couple hétérosexuel ont déclaré que la lessive était surtout accomplie par la femme du ménage, comparativement à 16 % ayant mentionné que c’était plutôt l’homme, selon un sondage de Statistique Canada mené en 2021. Aussi, environ la moitié (48 %) des couples interviewés a déclaré que la préparation des repas était surtout effectuée par la femme, contre 16 % pour les hommes.

Un arsenal de stratégies

Au fait, quelles sont ces fameuses stratégies d’évitement de tâches domestiques?

Citant les travaux de la chercheuse française Laura Carpentier-Goffre, la sociologue Mélissa Blais mentionne la « stratégie de l’escargot », qui consiste à laisser traîner les corvées à faire avec une lenteur bien calculée, si bien que la conjointe finit par les faire. Ou encore « la stratégie du mort », où le conjoint va surjouer la fatigue pile au moment de faire des tâches ménagères. Ça, c’est sans parler de la « stratégie du marchand de sable », soit quand le conjoint se dit disposé à aider, mais sans pour autant passer à l’acte.

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Dans sa bédé Ça se met où?, l’illustratrice française Emma, connue pour son œuvre sur la charge mentale, répertorie elle aussi certaines de ces stratégies : la mauvaise humeur, la résistance passive, le zèle excessif… et l’incompétence.

L’arrivée d’un enfant

Les stratégies d’évitement sont par ailleurs souvent mises en place avec l’arrivée d’un enfant, même chez les couples en apparence égalitaires, affirme la professeure Blais. « Il y a un principe. Mais avec l’arrivée d’un enfant, il n’est pas mis à l’acte », explique-t-elle.

Le conjoint s’investit moins dans la parentalité, forçant la mère à devenir le « parent principal ». Elle devient donc par défaut responsable autant de l’éducation et de l’horaire de sommeil de son enfant que de ses boîtes à lunch. Et à force de stratégies d’évitement, les femmes finissent par renoncer à déléguer certaines tâches et en prennent plus sur elles. Des corvées ménagères au soin des enfants, une grande part du travail domestique leur incombe.

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La sociologue féministe française Christine Delphy qualifiait quant à elle ce travail gratuit des femmes « d’exploitation économique la plus radicale ». Rien de moins. Se fiant à des données françaises, elle remarquait également que le nombre d’heures de travail ménager des femmes en cohabitation hétérosexuelle bondissait en présence d’enfants, alors que le nombre d’heures de travail ménager des hommes restait le même.

La professeure Blais tient toutefois à souligner que les stratégies d’évitement, dont fait partie l’incompétence stratégique, sont loin d’être des gestes « sans conséquences ».

« Ce ne sont pas des stratégies de paresse. Elles profitent aux conjoints, car au final, ils auront plus de temps à leur disposition pour leur carrière ou leurs loisirs », dit-elle. Forcément, les femmes, elles, en auront moins.

Bref, l’égalité des sexes au foyer, ce n’est pas pour demain.

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Car les habitudes (et les chiffres liés au travail ménager) changent très peu. Certes, le jargon a évolué : on parle aujourd’hui moins de « tâches féminines », souligne la sociologue Mélissa Blais. « La lessive, ce n’est plus une “tâche de femmes”. Aujourd’hui, quand on sonde les gens, l’argument, c’est celui de la préférence », dit-elle. Par exemple, un conjoint qui « préfère » faire des travaux manuels plutôt que de préparer quotidiennement un repas pour sa famille. C’est que, comprenez-vous, il n’est pas très doué pour la cuisine…(cue mon amie Constance un peu plus haut). L’incompétence stratégique à son comble.