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Voir un enfant de 12 ans travailler, ça sera toujours bizarre pour moi
La première fois – parce qu’il y en a eu plusieurs – qu’un jeune enfant m’a servi cet été, c’était en revenant de Québec. Après, j’ai arrêté de les compter. Chaque fois, j’ai trouvé ça étrange.
Et j’aimerais mieux que ça reste comme ça.
Puis cette semaine, ce tweet viral (maintenant effacé) a enflammé le web:
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J’imagine votre première réaction: « Il existe encore des gens sur Twitter? »
Eh oui! Même que ce tweet a accumulé plus de 130 partages et 1529 likes, ce qui est surprenant pour un tweet québécois qui ne parle pas de politique, comme c’est le seul sujet populaire sur la plateforme.
Il n’y a pas d’âge minimal pour travailler au Québec.
Cette photo d’un mineur souriant à la fenêtre du Tim Hortons comme Juliette sur son balcon de Vérone a mis le feu aux poudres des retweeteux et retweeteuses.
Ce que disent les lois
Avant de grimper dans les rideaux, voici l’essentiel des lois entourant le travail des mineur.e.s.
Premièrement, il n’y a pas d’âge minimal pour travailler au Québec. Le child labor est tout à fait légal tant que les parents ou le tuteur signent une autorisation écrite à l’employeur dans le cas d’un enfant de moins de 14 ans.
Pour les moins de 16 ans sans diplôme d’études secondaires ou les plus de 15 ans tenu.e.s d’aller à l’école, l’emploi ne doit pas l’empêcher d’être en classe.
De plus, son horaire doit lui permettre d’être à la maison de 23h à 6h du matin (avec quelques exceptions comme la livraison de journaux). Les moins de 18 ans n’ayant pas l’obligation d’aller à l’école n’ont aucune restriction sur leur horaire.
S’ajoutent à ça des règles assez lousses comme celle qui dit qu’un employeur ne peut pas demander à un.e mineur.e d’effectuer des tâches « qui pourraient nuire à sa santé ou à son développement physique ou moral ».
Personnellement, j’ai l’impression qu’aucun employeur ne devrait demander ça à un.e salarié.e, mais bon.
Les pour
Plusieurs tweets ont affirmé « Je l’ai fait, j’ai aimé ça et j’ai survécu. Il est où le problème? ». Tous ces témoignages démontrent que plusieurs Québécois.e.s l’ont vécu en recommandant l’expérience. On peut parler d’acceptabilité sociale.
Le contexte actuel fait en sorte qu’on retrouve plus d’enfants qui nous servent nos quarts de livre avec fromage qu’avant.
Évidemment, la pénurie de main-d’oeuvre est un phénomène réel. Le contexte actuel fait en sorte qu’on retrouve plus d’enfants qui nous servent nos quarts de livre avec fromage qu’avant. Ces gamins viennent donc à la rescousse d’un problème de société.
Dans ce reportage de Radio-Canada concernant la cantine La grande gueule de Saint-Alphonse-de-Granby, Amanda, 11 ans, travaille 2 ou 3 jours par semaine et fait jusqu’à 18 heures par semaine. Son père n’y voit pas de problème étant donné que ses notes n’ont pas baissé et qu’il la retirera du marché du travail si ça se produit. La supervision parentale, oui!
Entre-temps, elle garnit déjà son cv, elle fait de l’argent de poche, elle apprend à servir des clients et assume des responsabilités. Bref, tous les avantages d’avoir une job!
Et parfois, ça arrange les parents comme l’explique dans le reportage Roxane Larouche, intervenante représentante nationale au syndicat des Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce: « Certains parents traitent ça comme un camp de jour. Ils viennent déposer l’enfant le matin […] et il n’y a pas de coûts ». J’imagine que c’est dans les positifs?
Les contre
Premièrement, le nombre de blessures des employés de moins de 16 ans a plus que doublé dans les dernières années. On pourrait faire l’hypothèse que le marché du travail est conçu pour des gens ayant fini leur croissance et qu’il est mal adapté pour les kids qui ont aimé Papa est devenu un lutin il n’y a pas si longtemps.
Est-ce que le travail infantile favorise le décrochage scolaire? C’est ce que se demande Roxane Larouche qui relaie la situation d’un enfant de moins de 14 ans qui fait déjà 26$ de l’heure dans une usine. Je veux dire… même à l’âge adulte ce salaire est attrayant. Dans le temps où j’étais actuaire, je ne faisais pas beaucoup plus que ça au départ.
Suivra-t-il un parcours académique qui risque de l’endetter et de lui offrir un diplôme dans « très longtemps » alors qu’il pourrait commencer à empiler (et dépenser!) de l’argent dès maintenant?
Faire travailler des enfants ne règle aucun problème à la source. On ne s’occupe que des symptômes.
D’après une enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire, ceux qui travaillent plus de 11 heures par semaine sont plus nombreux à présenter un niveau de détresse psychologique que ceux qui travaillent moins de 11 heures. Quelque chose me dit que c’est lourd de commencer sa vie en étant déjà débordé d’ouvrage.
Le Québec est une nation distincte et le travail des enfants en est une preuve. D’autres provinces ont fixé un âge minimum pour l’emploi et ça commence souvent à 16 ans. On n’a rien de ça ici, même si nous avons signé la Convention des Nations unies relative aux droits des enfants qui stipule qu’on devrait mettre un âge minimum.
Je veux continuer de trouver ça bizarre
Faire travailler des enfants ne règle aucun problème à la source. On ne s’occupe que des symptômes.
Je pense qu’on a atteint un moment étrange en société quand la survie d’une entreprise repose sur le travail de juvéniles.
Je tiens à dire que je ne pointe pas spécifiquement les entreprises qui engagent des jeunes. Elles essaient juste de survivre dans ce monde capitaliste.
Ma mère a décroché du secondaire pour aider sa propre mère à subvenir aux besoins de la famille. Ça, c’était dans les années 50 alors que la télévision en noir et blanc n’était même pas encore présente dans tous les foyers. Je ne peux pas croire que des enfants vivent dans ces conditions encore aujourd’hui, au moment où nous avons tous des écrans couleurs (et tactiles!) dans nos poches.
La glorification
Comme plusieurs, j’ai été troublé par le tweet ci-haut. Je veux dire, je comprends. C’est possible qu’un enfant aux commandes à l’auto soit à sa place et que ses parents le supervisent et que son employeur le respecte et qu’il fasse un nombre d’heures saines et qu‘aucun client ne lui crie après et qu‘il soit épanoui.
Ce qui me chicotait le plus là-dedans, c’est la glorification du travail des enfants.
Je serais attristé qu’on s’habitue à voir des enfants de 12 ans derrière un comptoir.
Bien que je suis sincèrement content pour les gens qui ont vécu cette combinaison idéale de conditions, je ne veux pas que ça soit la norme de travailler à 12 ans. Je serais attristé qu’on s’habitue à voir des enfants de 12 ans derrière un comptoir.
La puissance des gens louangeant un enfant de 12 ans au travail sur Twitter me porte à croire que nous ne sommes qu’à quelques cycles de nouvelles avant que ça devienne coutume. Ça serait terrible de se rendre à un point où l’enfant de 12 ans qui ne travaille pas se fasse étiqueter de paresseux.
Je veux encore continuer de trouver ça particulier. Et pas si normal.
Et par-dessus tout ça, je ne peux pas croire que j’ai dû écrire un article pour une réglementation concernant le travail des enfants… en 2022.