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Voici pourquoi on devrait taxer la richesse au lieu du revenu

Comment augmenter la productivité tout en réduisant les inégalités.

Par
Farnell Morisset
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Dès que les terres d’un pays sont toutes devenues propriété privée, les propriétaires […] aiment récolter là où ils n’ont jamais semé, et exigent un loyer même pour les produits naturels du sol.

– Adam Smith, The Wealth of Nations, 1776

Plus quelque chose est profitable, plus les gens le font. L’inverse est aussi vrai – une excellente façon d’amener quelqu’un à faire moins d’efforts, c’est de rendre ce qu’il fait moins profitable.

C’est la logique derrière notre système économique, et malgré ses lacunes, je vous demande, pour le temps de cette chronique, de l’accepter. Vous comprendrez peut-être pourquoi.

Deux problèmes réunis

Au Québec, on constate deux problèmes économiques majeurs : une productivité plus faible que celle de nos voisins, et la croissance de l’écart entre les riches et la classe moyenne. Et année après année, on parle de ces problèmes avec fatalisme, comme si la situation était irréversible.

Pourtant, notre système fiscal rend le travail économiquement productif moins profitable tout en laissant le champ libre à l’accumulation de la richesse.

Avant de poursuivre, clarifions un peu.

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La productivité économique, c’est le résultat du travail des gens, qu’ils font normalement en échange d’une forme de revenu – un salaire dans le cas des employés, des profits pour les entrepreneurs. C’est le nerf de la guerre de la croissance économique. Pour leur part, les gouvernements dépensent des fortunes pour stimuler la productivité, que ce soit à coups de subventions, de programmes de formation, d’infrastructures publiques, voire en investissant l’argent public directement dans les espoirs de production économique – dans les Northvolt de ce monde, par exemple.

Bref, les gouvernements font des pieds et des mains pour encourager les gens à travailler plus et à travailler mieux.

Mais après, ils les découragent en taxant leurs revenus.

Le besoin de financer les gouvernements

« Mais Farnell, les gouvernements ont besoin de se financer », allez-vous sans doute me dire.

Et vous avez bien raison. Mais pour l’instant, contentons-nous d’examiner pourquoi les gouvernements doivent se financer.

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Les gouvernements font l’objet de charges fixes qui incombent à toute société saine, mais la part du lion des dépenses des gouvernements consiste à pallier des réalités sociales largement causées par des inégalités économiques. Qu’on parle de la santé, de la criminalité, de l’éducation, de l’accès aux logements ou même de la fécondité – domaines qui représentent parmi les plus grandes dépenses des gouvernements – le succès d’une population est intimement lié à son statut socio-économique. Une classe moyenne forte a moins besoin de dépenses gouvernementales dans ces domaines qu’une classe moyenne chambranlante. Et plus les inégalités économiques poussent la classe moyenne vers la précarité, plus les gouvernements devront dépenser d’argent pour assurer un maintien des services de base.

Dans le paradigme actuel d’impôt, c’est l’impasse. On tombe dans un cycle vicieux où l’on doit soit augmenter les impôts, ce qui freine davantage la productivité, soit retirer du financement aux services offerts à une population qui en aura de plus en plus besoin, soit produire encore plus de budgets déficitaires qui n’avantagent qu’une minorité de riches créanciers de la bourse publique. Ou peut-être bien les trois.

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Pourtant, les gouvernements ne taxent à peu près pas la cause principale des inégalités économiques croissantes : l’accumulation de richesse.

Taxer les riches, ça n’est pas assez

Ici, certains lecteurs pourraient être tentés d’associer mes propos à l’idée d’augmenter les impôts des riches.

Toutefois, notez que j’ai bien dit l’accumulation de la richesse. Il faut ici distinguer deux formes de richesse distinctes : les gros revenus d’un bord, et l’accumulation excessive de l’autre. Ici, il n’est question que du deuxième bord.

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Si une personne est capable de s’assurer de très grands revenus dans un libre marché, grand bien lui fasse! Mais ça, c’est tant que le marché est réellement libre : celui qui achète le travail d’un autre juge que le fruit de ce travail rend celui qui l’achète plus riche que ce qu’il doit payer pour l’avoir (sinon, il ne l’achètera pas). Au sens économique, ce travail crée de la valeur nette et il n’y a pas de raison de vouloir le décourager (on devrait même l’encourager). On ne parle donc pas de taxer davantage les gros revenus.

Mais si une personne (par ses efforts ou simplement par chance) vient à accumuler beaucoup de richesses et se contente de les garder pour elle-même, elle rend ces ressources indisponibles aux autres et accentue la précarité de ceux qui en ont besoin. Bien sûr, elle pourrait les prêter ou les investir, mais si la richesse est concentrée en oligarchie au point où les plus riches ont le gros bout du bâton, il résulte que ces derniers s’approprient d’avance les richesses à venir, et le fossé les séparant de la classe moyenne s’élargit encore plus.

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Rien de tout ça n’est révolutionnaire. On sait depuis toujours que c’est dans notre intérêt social et économique d’encourager le travail et décourager l’accumulation excessive. Pourtant, quand vient le temps de financer nos gouvernements, on fait l’inverse : on décourage le travail en le taxant, et on encourage l’accumulation excessive en ne la taxant pas.

Pourquoi?

Alliance logique, divisions partisanes

Malheureusement, le problème souffre d’une division partisane qui rend la formulation complète de l’idée politiquement difficile.

La volonté de taxer l’accumulation de la richesse pour réduire les inégalités économiques se retrouve généralement sous le chapiteau de la gauche, tandis que celle de réduire les impôts sur le revenu pour stimuler la productivité se retrouve généralement sous le chapiteau de la droite. Et dès qu’un camp propose sa part de l’équation, l’autre s’empresse de s’y opposer. C’est pourtant seulement dans l’alliance des deux volontés que l’idée trouve sa logique et sa viabilité économique. Sans mouvement politique capable de faire le pont en décidant de taxer l’accumulation de richesses au lieu de taxer sa création, ce sont les riches qui sont de plus en plus avantagés tandis que la classe moyenne continue de s’enliser vers la précarité et la dépendance sur l’État.

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L’idée n’est toutefois pas sans ses détracteurs. Dans notre paradigme actuel, c’est extrêmement complexe d’appliquer une taxe sur la richesse accumulée, entre autres parce que notre système bancaire et financier a du mal à évaluer la richesse nette des gens (surtout lorsqu’il s’agit des plus riches), et il y a plusieurs portes de sortie à la richesse.

Il y aurait aussi un travail hautement nuancé à faire afin de trouver un équilibre entre l’accumulation prudente et normale qu’on veut encourager pour favoriser l’économie personnelle, la retraite, et les imprévus, par exemple, et l’accumulation excessive qu’on veut taxer pour le bien commun.

Mais ça, c’est normal – l’idée de taxer l’accumulation plutôt que la création de la richesse, c’est un changement de paradigme. On manquait tout autant de moyens de calculer et d’assurer le paiement de l’impôt sur le revenu quand il a été introduit en 1918. Mais avec le temps, l’expérimentation, et surtout, la volonté politique, on a fini par y arriver.

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